La plainte des sapins

À lire précédemment :

- On va saccager le cœur de nos Bois Noirs

- La Chouette

- Dialogue entre la Bonne et Mauvaise Conscience d’un conseiller municipal d’Arconsat.

- La malédiction du tombeau de Montllune

- Discours de myrtilliers

- Au confessionnal

- La colère du Montoncel

Je suis sapin, de mon vrai nom Abies alba Miller, ou plus familièrement sapin pectiné. Alba ou blanc, car mes feuilles sont des aiguilles non piquantes, avec deux bandes blanches sur la face inférieure ; pectiné, car mes aiguilles sont disposées sur un seul plan comme les dents d’un peigne. Je forme la seule espèce de sapin autochtone en France, propre à l’étage montagnard humide, celui où, comme pour le hêtre, mon voisin et parfois concurrent, il faut beaucoup de précipitations.

Je suis omniprésent, par milliers et milliers depuis des millénaires sur des milliers d’hectares, au sein de ce massif en amande. Que dis-je ? Je suis l’essence même, au moins pour les trois-quarts, tellement vert foncé que de loin on me trouve noir et que j’ai donné le nom au massif : « Les Bois Noirs ».
Mais, Frères humains, vous devrez, si le funeste projet éolien d’Arconsat voit le jour, changer ce nom de « Bois Noirs » en celui de « Bois dévastés », « Bois calcinés » ou « Bois sacrifiés » !

Frères humains, je protège, sur vos terrains acides, les plants de myrtilles, un fruit de l’été si savoureux. Je fournis l’ombre bienfaisante et l’humus nécessaires à la pousse des nombreux champignons sur lesquels vous vous précipitez en automne. Je permets la vie à de nombreux animaux dont de magnifiques insectes comme les carabes que vous ignorez pour la plupart, mais que les rejets gazeux de vos moteurs vouent à la disparition progressive. Je crée ainsi un espace de loisirs pour les randonneurs, mais suis d’abord une source de revenus pour une foule de propriétaires et une source d’emplois : je fournis du travail à de très nombreuses personnes dans ce massif ou à sa périphérie et constitue ainsi l’ossature des charpentes et les poutres de vos maisons, et même parfois l’énergie qui sert à vous chauffer.
Je supporte bien les grands froids, la neige (sauf lorsqu’elle est trop abondante et lourde, ce qui peut me faire casser ou déraciner) et n’aime pas les fortes chaleurs estivales, ni les gelées tardives. Ma régénération se fait seule : je donne des fleurs sous forme de chatons - Vous avez certainement vu au printemps mon pollen jaune recouvrant le sol -, mes cônes depuis ma cime laissent échapper en automne des écailles qui bientôt vont donner naissance à de jeunes plants. Ceux-ci apprécient l’ombre, puis une mise en lumière lente et progressive, ce qui favorise ma croissance. Je peux vivre des centaines d’années, atteignant ainsi plus de 35-40 m de haut et des circonférences impressionnantes. On me conduit traditionnellement et sagement en futaie jardinée, ce qui permet de trouver au sein de celle-ci des sujets de tous âges. Et j’arrive presque au sommet du Montoncel, à près de 1300 m, où mes représentants adoptent des formes tourmentées face aux rudes conditions climatiques qui y règnent.
Mes adversaires sont peu nombreux : un champignon qui est responsable des fameux « balais de sorcières » et de chancres, un charançon qui creuse des galeries, le gui se nichant de plus en plus sur ma tête… et la pollution atmosphérique. Mais je suis agent de nettoyage, de lutte contre le réchauffement climatique puisque mes aiguilles absorbent toute l’année le gaz carbonique.
Je souffre aussi des coupes à blanc opérées par quelques propriétaires, avides de profits rapides, pour me remplacer par des Douglas, ces migrants américains, agents d’une sylviculture intensive très destructrice de mon écosystème.
Mais aujourd’hui, mon plus grand ennemi est Engie Green, qui avec la complicité de la municipalité arconsatoise, veut implanter 4 éoliennes au cœur des Bois Noirs, entre le col de la Charme et Montlune. Ils vont me sacrifier par centaine, pour creuser leurs 4 grandes excavations et leurs voies d’accès. La pollution de leurs engins, les rave-parties favorisées et, surtout, les prévisibles incendies (ma résine étant hautement inflammable) finiront immanquablement par achever les travaux destructeurs du promoteur éolien.

Frères humains, si vous avez à cœur d’éviter ce désastre, indiquez votre désapprobation à la municipalité d’Arconsat ; et surtout adhérez à l’association « Défense des Bois Noirs » !