Courtesserre ou Curta Serra : Le testament d’un Commandeur de Courtesserre en 1519

À lire précédemment, cinq chroniques Courtesserre ou Curta Serra

- Une bien belle histoire…
- La commanderie du Château
- Château et chapelle de Laudant
- Église Saint-Martin du bourg de Courtesserre
- L’Ordre Hospitalier de Saint-Jean de Jérusalem…mais pas que !

Sixième partie d’une bien belle histoire : Courtesserre ou Curta Serra

Le Groupement de Recherches Archéologique et Historique du Livradois-Forez publie, dans son bulletin annuel de 2021 N° 43, pages 19 à 90 de ses chroniques historiques du Livradois-Forez le mémoire, richement illustré : «  Les vitraux de la chapelle sainte-Catherine du château de la Barge à Courpière, entre Renaissance et guerres de religion, un ensemble de la fin du XVI ème siècle unique en Auvergne » (*)

de Soline Morihain, qui y a consacré son mémoire de Master 2 Recherche à l’Université Clermont Auvergne où elle est actuellement doctorante en histoire de l’art.

Après des échanges avec l’auteur et la communication des publications «  d’une bien belle histoire », celle-ci nous a signalé la présence d’un document concernant Courtesserre aux archives départementales du Rhône.

Grâce à l’entraide généalogique, Juliette Marcon s’est rendue aux archives pour photographier ce document : de Pierre de Saint-Symphorien, Commandeur de Courtesserre, écrit en 1519 en présence de Jacques de La Barge, chevalier de l’ordre de Saint-Jean de Jérusalem, son bras droit à Rhodes et son parent. Ce document a été transcrit dans la foulée par Lucien Drouot, président du G.R.A.H.L.F., grâce à sa maîtrise de la paléographie, puis reformulé par Soline Morihain.

Ce document, a été transcrit, dans la foulée, par Lucien Drouot, président du G.R.A.H.L.F., grâce à sa maitrise de la paléographie.

Jacques de La Barge, en habit d’Église par-dessus sa cuirasse, vitrail de la chapelle Sainte-Catherine du château de la Barge à Courpière. Cl. © Soline Morihain.

« (…) François de La Barge, chevalier de l’Ordre du roi, son père Antoine III et son oncle Jacques, chevalier de l’Ordre de Saint-Jean de Jérusalem, sont tous trois figurés, en armure, sur les vitraux de la chapelle familiale, leur casque et leurs gantelets posés à terre, devant eux. Chacun arbore un vêtement distinctif de sa dignité, par-dessus sa cuirasse métallique. Frère Jacques, chevalier de l’Ordre militaire des Hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem, outre la fraise à petits godrons qui, en ornementant son armure, amplifie la noblesse du personnage, porte une chape noire sur laquelle est cousue, à hauteur de son bras droit, une croix de toile blanche à huit pointes, afin qu’il se souvienne de porter dans son cœur la croix de Jésus-Christ, ornée des huit vertus qui l’accompagnent : la croix de Malte1 (…). »

1 - Soline Morihain, Les vitraux de la chapelle Sainte-Catherine du château de La Barge à Courpière, Puy-de-Dôme, mémoire de Master 2 Recherche sous la direction de Laurence Riviale, vol.I : texte, 363 p., vol.II : planches, 176 p., Clermont-Ferrand, UCA, 2019, p.175.

Transcription du testament du Commandeur de Courtesserre, Pierre de Saint-Symphorien,
le 18 avril 1519

Comme il est ainsi que noble et religieuse personne Frère Pierre de Saint-Symphorien, Chevalier de l’Ordre de Saint-Jean de Jérusalem à Rhodes et commandeur de Courtesserre, a chuté de son cheval en allant voir ses étangs et se trouve depuis gravement blessé, son état inspire plus la mort que la vie.
C’est pourquoi aujourd’hui 18 avril 1519, devant le notaire soussigné et les témoins ci-après nommés, ont été réunis en personne, noble et religieux Frère Jacques de La Barge, Chevalier de l’Ordre de Saint-Jean de Jérusalem à Rhodes, et Frère Laurent de La Aye, commandeur de Puy-de-Noix. Lesdits Frère Jacques et Frère Laurent, se tenant au chevet du lit du commandeur de Courtesserre dont la mort est désormais certaine et imminente, l’ont invité à exprimer ses dernières volontés. Ledit commandeur de Courtesserre a alors dit, reconnu et confessé que les gages de son châtelain et de son fondé de pouvoir leur demeuraient dûs depuis qu’il était commandeur dudit Courtesserre, ce qui correspond à une somme de 60 sols par an pour le châtelain et de 50 sols par an pour le fondé de pouvoir.
Le commandeur poursuit sa donation en précisant qu’il souhaite rémunérer Frère Jacques de La Barge, son bras-droit à Rhodes et son parent, en reconnaissance de son amitié et des services qu’il lui a rendus. Il fait apporter et poser devant lui trois sacs de monnaie et deux bourses, dont une de cuir jaune dans laquelle il prélève 50 écus d’or au soleil qu’il remet audit Frère Jacques.
Il veut aussi que soit payée à Messire Étienne Layat, son serviteur et prêtre, pour les agréables services qu’il lui a rendus, la somme de 10 écus d’or, en plus de ses gages et des frais de fondation d’une messe pour le salut de son âme.
Il donne ensuite à sa servante, afin qu’elle prie Dieu pour son âme, la somme de 5 livres tournois ; à Jean de La Chée son serviteur, 6 livres tournois ; au bouvier, 1 écu ; à messire Mathieu du Puy, prêtre et vicaire de Courtesserre, 50 sols ; à messire Jacques Bastisses, prêtre, autres 50 sols ; enfin par l’aumône à trois pauvres femmes du village, un setier de seigle à chacune ; ainsi qu’à l’Anthonie, fille de l’Annette, par aumône et charité pour les agréables services faits en sa maison et pour aider à la marier.
Il demande enfin auxdits Frère Jacques de La Barge et Frère Laurent, de veiller à l’exécution de ses volontés testamentaires ci-dessus exposées et de les faire connaître à l’ensemble des Frères de la commanderie et de l’Ordre, afin qu’ils acceptent et valident le présent testament.
Pour faire foi aux Frères de la Religion, en présence de Frère Jacques de La Barge, Frère Laurent, messires Mathieu du Puy, Jacques Bastisses et Étienne Layat, prêtres, les jour et an susdits, le notaire, A. Rolin

Archives départementales du Rhône, 48 H 245, n°7, p.19-22.

Laissons, pour conclure, la parole à Soline Morihain :

« Ce testament est intéressant à plusieurs titres, notamment car il montre la précision de la titulature des frères chevaliers de l’Ordre de Saint-Jean de Jérusalem « à Rhodes » et l’importance qu’elle revêt pour eux. Après avoir été chassé de Saint-Jean-d’Acre en 1291, l’Ordre hospitalier de Saint-Jean de Jérusalem était parvenu à conquérir l’île de Rhodes, et s’y maintenait encore en 1519, malgré trois tentatives d’invasion ottomane. Ces guerriers de la Foi étaient donc fiers de leur force de résistance et de leur présence dans cette île méditerranéenne, qu’ils inscrivaient ainsi ostensiblement dans les textes. C’est le siège ultime de Rhodes par Soliman le magnifique, qui mettra fin à la présence de l’Ordre sur l’île, en 1522. Un long siège meurtrier de cinq mois, dont Jacques de La Barge reviendra vivant et avec les honneurs. C’est Charles Quint qui finalement leur octroiera l’archipel de Malte en 1530, faisant désormais d’eux Les chevaliers de Malte. L’Ordre des Hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem tenait sa fortune de ses nombreuses possessions foncières à travers le monde. Un patrimoine réparti en prieurés et commanderies. La commanderie de Courtesserre, dont il ne subsiste que l’église Saint-Martin, était une commanderie « chef », rattachée au Grand Prieuré de la Langue d’Auvergne. Ainsi ce testament met aussi en évidence la présence de Jacques de La Barge dans cette commanderie, voisine du château familial et des possessions des La Barge alentour (Sauviat, Saint-Gervais, Tours-sur-Meymont…), expliquant la peinture de ses armes sur l’une des clés de voûte de l’église Saint-Martin. Il montre encore les liens qui unissaient Jacques de La Barge au commandeur de Courtesserre, Pierre de Saint-Symphorien dont il était le bras-droit à Rhodes, et, surprise… un parent, si l’on en croit le testament, ce qui offre une nouvelle piste de recherche, à suivre…  »


Écu aux armes de La Barge, d’argent à la bande de sable, vitrail de la chapelle Sainte-Catherine du château de La Barge à Courpière. cl. © Soline Morihain.


La Tour Saint-Georges à Rhodes, protégée par les Chevaliers de l’Ordre de Saint-Jean de Jérusalem de la Langue d’Auvergne, lors du siège ottoman de 1522. cl. © J.B. de Vaivre.


Bastion de la Langue d’Auvergne, zone défendue par les Chevaliers de l’Ordre de Saint-Jean de Jérusalem de la Langue d’Auvergne, lors du siège ottoman de 1522.

* - Devrait faire l’objet d’une prochaine communication dans le webzine Escout’ Moi Voir.