La Commune, elle souffla aussi à Thiers - 5 : interrogatoire de Chassaigne
À lire précédemment : Le procès : interrogatoire de Mosnat
Suite de l’audience du 22 août
D. Vous n’êtes âgé que de vingt ans, et quoique fort puisque jeune vous êtes signalé comme un très mauvais sujet, paresseux, maraudeur. Vous avez été condamné nombre de fois en simple police pour tapage, et ce qui est plus grave vous avez été condamné deux fois pour vol par le tribunal correctionnel ?
R. Oui.
D. À ce compte là, l’émeute était certaine de vous avoir parmi ses soldats. Reconnaissez-vous vous y être trouvé, avec Faye ?
R. Je ne m’en rappelle pas.
D. Vous l’avez avoué dans vos interrogatoires ; seulement vous avez soutenu n’avoir rien fait ; vous niez toute participation à l’émeute et vous prétendez vous être couché à 7 heures ?
R. Je suis rentré vers 7 heures et demie à 8 heures ; mai je n’ai été pour rien dans l’émeute.
D. Vous prétendez que vous n’y étiez pas ; cependant, le lendemain on a trouvé chez vous un fusil qui a été pris au poste de la mairie ?
R. Je prouverai qu’il était chez moi avant la guerre.
D. Vous avez bien crié contre le sous-préfet ; vous n’avez pas crié : Vive la Commune ?
R. Non, je n’ai pas crié du tout, assez d’autres criaient, mais pas moi.
D. N’avez-vous pas dit : "Ce ne sont pas les républicains qui font l’émeute, mais bien les courants avec leur argent ?"
R. J’ai dit que ce n’étaient pas les républicains qui faisaient le mal. Je ne nie pas que je ne sois républicain ; puisque nous sommes en République, c’est tout naturel ; mais ce n’est pas une raison pour faire du mal, au contraire. Que ce soit la République ou la Royauté, on ne doit pas faire de mal ; à quoi ça sert ?
D. Ce sont là de fort beaux sentiments. Je désire que vous les justifiez ; mais je vais vous citer ce qu’ont dit sur vous les témoins, et cela ne ressemble pas du tout à ce que vous prétendez.
N’avez-vous pas vu Roddier, l’adjudant de la garde nationale, et ne lui avez-vous pas donné dans la poitrine un coup si violent qu’il faillit être évanoui ?
R. Si je l’ai fait c’est sans le vouloir, ça aura été en me débattant pour repousser la foule. Je ne suis pas un homme méchant et je n’ai jamais fait de mal par volonté, au contraire.
D. N’avez-vous pas aussi bousculé violemment deux fonctionnaires et n’êtes-vous pas entré de force dans la sous-préfecture ?
R. Je ne m’en souviens pas. Je ne sais pas bien comment ça s’est passé, mais il me semble me rappeler qu’il n’y avait pas de gardes nationaux du tout. En tous cas, j’étais incapable de leur faire du mal.
D. On prétend que vous faisiez beaucoup de bruit et que, loin de pacifier, vous cherchiez à exciter au contraire la foule. C’est ainsi que vous disiez au procureur de la République, très haut : "Nous avons assez souffert ; il faut que les riches payent".
R. Je n’ai pas parlé de tout cela. D’ailleurs, je ne connaissais pas le procureur de la République. Je sais qu’il s’appelle M. Durif, mais je ne connaissais pas sa personne. Si je l’avais connu, je lui aurais parlé, mais pas pour lui dire du mal, au contraire. Je ne voulais que tout pacifier. J’ai passé plus d’un quart d’heure à repousser le peuple.
D. On vous reproche au contraire d’avoir fait tout ce que vous avez pu pour l’irriter ?
R. Ça n’est pas.
D. Il parait, du reste, que vous avez eu pendant l’émeute une attitude à double effet. Tantôt vous étiez calme, regardant pacifiquement et impassiblement l’émeute, tantôt au contraire, vous preniez une attitude des plus violentes, vous étiez très exalté et vous usiez vigoureusement de la force dont vous êtes doué ! Voici une fait qui dénote le jeu que vous jouiez : vous approchiez amicalement des gendarmes, vous leur offriez une prise de tabac, et s’ils acceptaient, vous profitiez de ce moment pour sauter sur eux et les désarmer ?
R. Je ne pensais pas à ça, au contraire. Je ne pensais qu’à mettre de la tranquillité. Les gendarmes peuvent bien dire ce qu’ils veulent ; ils en ont bien dit d’autres. Mais c’est bien malheureux pour moi qu’on se soit trompé sur mon compte. Demandez à M. Passeneau ce qu’il pense de ma conduite.
M. le procureur général. Je reconnais que vous avez protégé la personne de M. Passeneau, qui courait un certain danger.
M. le président. M. Passeneau est témoin. On l’entendra, ainsi que les autres témoins dont j’ai rapporté les témoignages.
À suivre : interrogatoire de Saint-Joanis
Merci à Georges Therre pour nous avoir confié ces documents.