Vous avez dit une vie intérieure ?
Cette vie que je veux aborder aujourd’hui humblement (et très superficiellement), c’est comme un magasin d’épicerie où l’on peut trouver des tas de choses plus ou moins intéressantes mais qui a la particularité de ne pas connaître de jour de fermeture et où l’on peut découvrir entre mille produits une nourriture intellectuelle et spirituelle et atteindre peut-être sa vie profonde. C’est dans cette sorte de cabinet secret que l’on trouve sagement rangés le fourmillement des pensées, les sentiments qui peuvent amener les réflexions apaisantes, le stock des souvenirs, les dialogues avec le ciel et l’éveil des sens etc. car ce lieu des plus intimes se situe au carrefour du visible : les événements du monde extérieur et la vie secrète de l’intérieur. Ce que nous pouvons appeler la conscience où l’on peut puiser la force de notre caractère qui sait aussi être un lieu secret de recueillement s’acquiert depuis l’enfance puis se développe progressivement durant l’adolescence : c’est alors l’activité mentale, puisée dans la réserve de nos pensées, base de nos influences. Ce don est distribué à tous les êtres humains (la grande distinction d’avec les animaux) et nous sommes en mesure de connaître ce frémissement intérieur et c’est une nécessité.
Même si en apparence il ne se passe rien, en chacun de nous il peut y avoir une vie intérieur car c’est là une faculté qui nous est propre ‘’une silencieuse communion de soi avec soi’’ qui peut se manifester parfois comme une confuse agitation intérieure, souvent alimentée par les aspérités de notre caractère.
La vie intérieure est une force, elle a ce pouvoir, en nous nourrissant, de développer notre possibilité de transfigurer le réel, elle nous mène à l’introspection, à la réflexion, à l’inspiration. Comme le dit si bien le philosophe A. Comte Sponville : il nous faut entendre ‘’ce murmure confus du bruit de nos âmes’’. Sans cela nous courons le risque d’une vie de surface informe, à la fois horizontale et chaotique pouvant mener à la sécheresse intérieure. C’est à nous de faire taire à nos oreilles le gigantesque tumulte du monde (car le monde ne connaît que ce tumulte) , là où tout est mélangé et où tout s’accumule et se superpose, pour entendre et trouver sans peine (si nous avons assez de force) les réponses de la vie intérieure et partir à la recherche de la vérité. C’est certain, l’homme extérieur dépend des sens et l’homme intérieur dépend de la raison : la roue tourne mais la tranquillité c’est l’axe !
On pourrait penser en lisant ces derniers paragraphes que je prône l’exil de la place publique et encourage à rester isolé dans la solitude de la vie intérieure, voire à rompre avec le monde, pourtant il n’en est rien car c’est aussi dans la vie de tous les jours, dans la vie ‘’ordinaire’’ qu’est puisée l’inspiration, celle des poètes, des artistes, des compositeurs, des romanciers, des croyants et autres créateurs artistiques même si certains malades tels Marcel Proust souvent alité, Beethoven sourd et d’autres artistes pour d’autres raisons doivent beaucoup à une certaine vie intérieure, ils ont su aller vers une sorte d’indispensable retraite, pour le musicien vers un silence intérieur favorable à la création musicale et le mystique vers la recherche d’une verticalité de l’être. La poésie et la musique sont peut-être les arts supérieurs de la vie intérieure. Malgré tout, il faut aller aussi, disais-je, dans le monde réel malgré la tentation de l’oublier pour en inventer un autre qui répondrait à une extravagance chimérique contenue parfois dans la vie intérieure.
La nature qui nous entoure favorise la création intérieure et en particulier pour les artistes en tous genres elle est grande inspiratrice, c’est un terreau de création. Si notre coeur vivait à l’unisson de la nature nous entendrions chanter le fond de nos âmes comme la mélodie ininterrompue de notre vie intérieure mais cette mélodie est trop souvent couverte par le vacarme. La lumière intérieure devient plus vive au contacte de cette nature tout comme le rythme des saisons et celui des sentiments intimes. Souvent ce n’est pas nous qui agissons sur les choses, ce sont les choses qui agissent en nous. D’où naissent en nous un désir, une idée, une inspiration ? Souvent par une vision, un son, le bruit de l’eau en cascade, les vagues se brisant sur les rochers ou au contraire l’eau plate d’un lac de montagne, la splendeur d’un cèdre centenaire, un chant d’oiseau, la naissance d’un enfant. C’est ce spectacle naturel qui nous inspire. Ce n’est pas nous qui créons même par rêverie parce que nous ne sommes point actifs dans la rêverie et elle est peut être un danger pour la vie intérieure à moins qu’après l’avoir combattue nous ne la considérions comme une force, sachant qu’elle est plus contrôlable que le rêve. Par contre, tout ce qui se bâtit dans notre cerveau durant le sommeil de la nuit n’est autre que du rêve qui échappe totalement à notre volonté.
Ce qui est certain c’est que c’est dans la vie intérieure qu’est situé le centre des puissances affectives et sentimentales comme elle est aussi celui de la vie intellectuelle et des forces qu’elle engendre comme la raison, l’intelligence etc. C’est là que s’acquièrent la sagesse et l’imagination (entre autres). Entendons ‘’cette musique que tout homme a en soi’’ (V. Hugo).
Veillons à fréquenter souvent la zone de notre vie intérieure, ne lui fixons pas de bornes, ouvrons la au monde en tentant de garder un équilibre qui peut être fragile mais sans jamais oublier que, comme cela a déjà été dit : ‘’c’est la vie intérieure qui rend agréable le repos du dehors’’.
Cherchons à être nous-mêmes, c’est-à-dire soyons en conformité avec ce que nous désignons ‘’notre être véritable’’, sans nous laisser détourner à passer du temps à battre des buissons au risque de nous laisser envahir par le chahut si souvent trompeur du monde qui s’agite.
S’il existe une perfection, elle réside peut-être dans l’équilibre fixe et salutaire du corps et de l’esprit.
Jean-Paul Gouttefangeas
Crédit photo Vincent Treussier, "De la France à l’Asie à vélo : le voyage extraordinaire de Vincent, Céline, Émile et Fernand TREUSSIER".