Une vie de papillon

Je vous rassure, ça va être court !

Il était plutôt simple, blanc avec seulement quatre petits points noirs, avec un marli presque gris sur le sommet des ailes, il était beaucoup plus qu’une chenille habillée !
Mais surtout habité d’une vivacité et d’une activité débordantes. Que voulez-vous, le temps passe si vite, et l’idée de passer du papillon au « papi lent » l’angoissait ! C’était un ’’local’’, il était né à Thiers (enfin sorti de l’œuf), devenu une belle petite chenille, puis avait subi les mues pénibles mais obligatoires de la métamorphose de la nymphe (chrysalide). Enfin débarrassé de son lourd cocon, il avait pu prendre son envol. À partir de ce moment, il comptait bien mettre à profit les jours que la vie allait lui accorder. En tant que « petit blanc » il savait qu’il pouvait compter sur un bon mois pour découvrir son monde. Après tout, quelques-uns de ses cousins étaient moins bien lotis que lui : certains ne disposent que d’un jour ou deux pour tout faire : les ‘’éphémères’’ ! Rien à voir avec la ‘’noctuelle’’ ou le ‘’monarque’’, qui, lui, atteint l’âge respectable de 9 mois et plus, après avoir migré dans des contrées chaudes éloignées parfois de plus de 6000 kilomètres de son lieu de résidence ! Finalement, il n’était pas mécontent de son sort. Autour de lui, évoluait un grand nombre d’enfants venus de l’école voisine du Fau, qui passaient de bons moments en classe de plein air et de découverte, dans le bois bordant le château, passant des papillons aux grenouilles, abeilles et autres insectes. Il avait aussi gardé un bon souvenir de sa période chenille, cette époque où, en bandes serrées, avec toutes ses petites sœurs, ce petit monde se jetait voracement sur les plates-bandes de choux bien alignés, désherbés et d’un accès si facile. C’était une bombance effrénée, au point qu’après leur passage, il ne restait du légume que le pied et les côtes les plus dures des feuilles. Bien sûr, ça n’était pas sans risque : des humains appelés jardiniers (il avait même vu un spécimen de cette espèce affublé d’un nœud ‘’papillon’’ !) s’évertuaient à stopper leurs élans à grands coups de saupoudrages et autres pulvérisations de produits mortels (pour les chenilles) voire chimiques. Heureusement, d’autres humains ont fini par interdire ces pratiques barbares de l’emploi du chimique, ce qui a donné un peu de répit aux ‘’Piérides’’ (c’était le nom de leur famille). D’autres cousines sont décimées sans relâche (et sans pitié) : la ‘’pyrale’’ dont l’aliment vital est la feuille de buis, l’eudémis de la vigne et bien d’autres.

Sa vie se passait à se nourrir, à chercher de la nourriture, butinant de fleur en fleur à la recherche du précieux nectar, enfonçant sa trompe méthodiquement, avec application, poursuivant inlassablement la même action, aspirant le liquide sucré, emportant au passage dans ses poils le pollen qu’il transportera (inconsciemment) sur les fleurs suivantes. C’est en effet ce précieux pollen qu’il déplacera sans compter pour l’équilibre indispensable et bienfaiteur de la nature, action si bénéfique pour le bien du plus grand nombre. Les femelles au passage pourront pondre leurs œufs, ici ou là. Les mâles, bien lotis côté phéromones et antennes, pour se faire remarquer (c’est souvent le cas), se lancent dans des danses de séduction en plein vol, entraînant leur partenaire éblouie et séduite par cette parade nuptiale ! Tous affectionnent les couleurs vives et odorantes, ce sont celles qu’ils repèrent d’emblée.

Ainsi, il virevoltait en zigzaguant (les papillons connaissent rarement la ligne droite) dans de joyeuses tribulations aériennes, sans jamais regarder en arrière ! inspectant çà et là ce qui pouvait avoir un intérêt pour sa provende (nourriture), ne dédaignant pas de se reposer un instant sur le dossier brûlant d’une chaise de jardin, comme pour reprendre son souffle. Ne sous-estimons pas le souffle d’un papillon, pas plus d’ailleurs que son battement d’ailes, qui, tout le monde le sait, peut avoir des répercussions inattendues sur le climat dans une action se répercutant d’un bout à l’autre de la terre (l’effet papillon) ! Le soleil était son ami, il adorait la chaleur et avait horreur du vent et de la pluie. De même pour les fleurs, certaines avaient sa préférence : la lavande, la verveine de Buenos Aires et une multitude d’autres, mais celle qu’il affectionnait par-dessus tout (et qui sûrement était apparue pour lui) était la merveilleuse fleur du buddleia aux senteurs enivrantes. Cependant, la concurrence était rude dans la récolte, il fallait défendre son territoire et disputer la nourriture aux abeilles en particulier, qui, sitôt qu’une infime odeur de sucre se faisait sentir, devenaient redoutables et agressives. Elles n’étaient d’ailleurs pas les seuls dangers dont il fallait se méfier, il y avait beaucoup de prédateurs : les lézards, sans parler d’un grand nombre d’oiseaux qui fauchaient leur vie à tire d’aile. Le chat même, dans des sauts des plus périlleux et des plus sportifs, acrobatiques en diable, tentait de le saisir en vol. Essayant toujours de passer au travers des dangers, il aimait courser ses congénères, faire des loopings, des entrelacs aériens et aussi, poussé par un instinct naturel, rencontrer l’âme sœur (ou l’aile sœur) même furtivement et aller plus loin si affinité ! le tout dans le cycle naturel (et perpétuel) de la vie.

Notre papillon avait aussi une âme de « touriste » avec des envies de découvertes et de voyage. Il avait entendu parler d’un buddleia exceptionnellement bien placé au sommet d’un mur de l’église Saint Genès, hors d’atteinte des prédateurs du sol ! Il avait fini par céder à cette envie, et, par une journée très ensoleillée, avait quitté son fief habituel et entrepris le voyage de sa vie. Sa première visite avait été pour le parc de l’orangerie du Moutier, il avait été tenté de pénétrer dans le bâtiment lui-même mais avait finalement renoncé, sachant trop bien trop le danger mortel que courent les insectes en tous genres, derrière les verrières, où, pris au piège, ils meurent d’épuisement. Il avait pris le parti d’une vue d’ensemble du jardin. Pour ce faire, il s’était posé sur la balustrade en bois qui relie les deux tours de l’abbaye toute proche. D’un coup d’aile, il était au cimetière Saint-Jean, des fleurs, quelques bouquets, avaient retenu son attention mais la plupart avaient déjà rendu l’âme ! Qu’à cela ne tienne, la profusion des sculptures, la chaleur des pierres surtout, associée à la beauté des tombeaux, en faisaient un lieu chaleureux et accueillant (pour les papillons). Ayant repris son voyage, il avait bivouaqué dans les jardins du vieil hôpital envahis d’enfants, occupés par leurs jeux et leurs batailles. Trop de bruit à son goût, d’un saut il était sur la place du Palais à pied d’oeuvre. Il chercha en vain l’arbre sur le toit mais ne le trouva pas. Dépité, il trouva refuge dans le petit jardin jouxtant l’ancienne maison du Chapitre où un congénère lui apprit que, quelque temps plus tôt, une équipe de « voltigeurs » mandatés par les autorités avaient supprimé l’arbre acrobate, des paroissiens craignant que le sanctuaire ne rappelle trop une « Babylone » aux jardins suspendus !

Malgré tout, à y réfléchir, il n’était pas mécontent de son excursion dans la cité coutelière où, sur la place centrale, il s’était désaltéré dans le bar-bassin du Jacquemart, prenant garde de ne pas glisser car, piètre nageur, il ne pratiquait pas la brasse (dite) papillon ! C’est dans ce quartier qu’il avait entendu une expression qui l’avait beaucoup amusé. Un client d’un bar voisin criait à un passant qui rejoignait sa voiture : « tu as un papillon sur ton pare-brise ! » Notre papillon avait eu beau regarder, il ne l’avait pas vu ! Dans un petit atelier au fond d’une impasse, attiré par le bruit, il avait découvert, derrière la verrière, un vieil homme qui ne s’était sans doute jamais résigné à débarrasser « tout ça » tourets, meules, caisses en partie vides, courroies, outils au repos depuis bien longtemps, sauf le marteau avec lequel il donnait quelques coups sur l’enclume (dont il ne se séparerait jamais), chaque fois qu’il passait à proximité. Le papillon avait été tenté de se poser sur la vieille enclume un peu meurtrie par les coups, mais non, un accident est si vite arrivé ! Il ne comprenait pas bien la longueur d’existence de tous ces objets qui l’entouraient, pas plus d’ailleurs que celle des humains, considérant, de son point de vue, que ce n’est pas la longueur d’une vie mais plutôt sa qualité qui compte (quoique !) c’est un avis de papillon !

Sur la voie du retour, il eut envie de faire un détour pour visiter les ruines de l’arrière de l’église Saint-Symphorien mais le courage lui manqua, fatigué de l’agitation du monde, il décida de rejoindre son habitat de prédilection, le château de la Chassaigne. Il était moins léger qu’à l’aller (ce qui est un comble pour un papillon !).

Il fit encore quelques arabesques sur les asters d’automne, essayant encore de se saoûler, de butiner sans perdre de temps pour remplir le temps qui lui était imparti. Entre temps un orage éclata, il tenta de se réfugier sous une feuille d’hosta mais ne parvint pas à l’atteindre, ses forces déclinaient, ses battements d’aile, dont l’usure était bien visible, étaient moins réguliers. Une bourrasque plus forte que les autres l’emporta et le précipita dans une flaque d’eau d’où, inerte et pitoyable, il ne se releva pas. C’en était fini des escapades gracieuses parmi les libellules et les insectes butineurs, il ne survolerait plus les couleurs et les beautés de la nature dans la course active de la vie, il ne connaîtrait plus sa légèreté légendaire, il ne papillonnerait plus, si gracile et si fragile, il était mort.

Alentour, sur une branche de laurier sauce, un petit amas d’œufs déposé quelques jours plus tôt attendait l’heure de l’éclosion. L’été n’était pas fini, c’était le temps de la « foire au pré », tout espoir n’était pas perdu : chenille, chrysalide, etc. etc. et tout recommencerait dans le merveilleux cycle de la vie, sous la splendeur du ciel.

Jean Paul Gouttefangeas

Merci à François-Noël Masson pour le cliché qui illustre cette chronique.