Thiers en plein dedans ! suite
À lire précédemment : Thiers en plein dedans.
Je reprends la balade sur les monuments historiques de Thiers, comme prévu à la fin de la première partie de mon dernier récit.
Si vous avez l’occasion de survoler en avion et à basse altitude, la vallée des usines, ça peut arriver, (il y a bien des poissons volants, même s’ils ne font pas légion ! ) penchez-vous à l’aplomb du pont de Seychalles, vous serez surpris de l’image que vous voyez. On a comme l’impression que le pont fait barrage au « paquebot » (l’usine toute proche) qui apparaît alors comme stoppé net. Cet effet est encore accentué par la vision de la vallée verte très boisée où sont implantés les deux monuments. De mémoire d’homme, il a dû toujours y avoir un pont à cet endroit reliant les deux berges quand on sait l’importance de cette voie qui descend furieusement de la ville haute pour grimper héroïquement par la Palette en direction de Lyon (entre autres). Il paraît que les chevaux (en particulier) haïssaient cette route ! Je me suis laissé dire que les voyageurs partageaient aussi ce point de vue !
Voulez-vous que je vous parle du château de la Chassaigne ? Vous en savez sûrement autant que moi, depuis le temps qu’on en parle. Le manoir fut inscrit à l’Inventaire Supplémentaire des M.H. en deux temps, le bâtiment, il y a une trentaine d’années et les jardins un peu plus tard. L’intérêt pour les jardins en ce lieu ne date pas d’hier. Le marquis de Simiane s’y intéressa dès son arrivée à Thiers, en 1728, il fait capter des sources dans la montagne toute proche, pour avoir de l’eau en abondance sur la propriété. Cet homme (qui arrive d’Aix en Provence) a de grands projets. Il transforme la bâtisse en faisant repercer de grandes fenêtres sur toute la façade donnant sur la chaîne des Puys, réordonne la cour d’honneur, continue (peut-être) la culture de la vigne (des pieds de vigne escaladent encore les arbres en quelques endroits) déjà bien implantée en ce lieu (les caves sont immenses). Alentour, plusieurs bâtiments d’exploitation dont une grande ferme dont il ne reste plus rien qui se situait pratiquement à vingt mètres de l’actuelle autoroute. Mais notre marquis a une autre passion : les orangers ! N’oublions pas que c’est un méridional (mais on sent bien là l’influence des goûts à la mode de Versailles). Pour ce faire, il fait construire une orangerie dont quelques arcades sont parvenues jusqu’à nous, le bâtiment qui était surmonté d’une bibliothèque a brûlé au début du XIXème siècle. Il fait venir 24 orangers qu’il installe dans d’énormes caisses. Pour la petite histoire, lorsque Mr. de Simiane revend la propriété à la famille de Montmorin en 1765, il leur vend aussi, mais par un acte séparé, ses orangers. L’anecdote, c’est qu’actuellement, il reste, entreposés dans des communs du château de la Barge, deux de ces fameuses caisses et même la carcasse du « carrosse à caisses » de leur transport (de l’époque).
J’ai envie maintenant de parler de trois maisons de la rue de la coutellerie, parce qu’elles ont en commun d’avoir été construites à peu près à la même époque, à la fin du Moyen-Âge, c’est-à-dire au XVème siècle, et bâties en encorbellement sur la rue pour gagner de la place dans les étages. Il s’agit des immeubles portant aujourd’hui les numéros 12, 14 et 19. De plus elles devaient posséder à l’origine des échoppes donnant sur la charrière (rue). Ces constructions n’ont jamais été des immeubles luxueux malgré leurs croisillons soignés. Qui habitait ce genre de maisons ? Des commerçants, des serviteurs, quelques couteliers, des artisans et colporteurs thiernois quand même un peu nantis mais ne nous y trompons pas elles étaient habitées de bas en haut, jusque sous le toit, dans les galetas et là, les locataires logés sous les combles n’étaient pas les plus fortunés.
Je décris maintenant deux autres immeubles de la même rue, mais leur qualité de construction les place bien au-dessus des trois précédentes. D’abord la Maison de l’Homme des Bois, toujours gothique en diable. Curieuse appellation pour le personnage principal représenté, qui n’a, semble-t-il, aucun rapport avec les bois (j’entends venu des bois) outre le fait qu’il présente une tête un peu hirsute !(mais on en connaît d’autres). Je sais, certains y ont vu un ouvrier (bitton) du bois flotté sur les rivières, (la Dore, l’Allier et peut-être la Durolle) en équilibre sur les flots et sur les billes, (je ne vois ni plancher ni support sous ses pieds !) bardé de peaux de bêtes pour le préserver du froid et des coups, tenant en main un pieu pour guider la dangereuse manœuvre mais avouez que le dit pieu a une bien bizarre allure, couvert d’aspérités, sortes de bourgeons qui rendraient la manœuvre bien impossible et périlleuse pour les mains ? Curieux vraiment notre personnage, ne serait-ce que par une pilosité qui le recouvre de bas en haut. Si elle est naturelle, (autrement dit s’il est nu) on comprend que ses parties intimes soient visibles et tellement évidentes que l’on a cru bon de mutiler notre homme (les traces d’herminette sont visibles) Dans la deuxième hypothèse, c’est-à-dire celle où le personnage est recouvert de peaux de bêtes, ce qui semble le plus plausible quand on voit les raccords répétés, comme cousus à espaces réguliers des pieds jusques au cou, on en déduit que le doute n’est plus possible. Il est habillé. Mais l’énigme reste entière, si cette fourrure est son habit, on comprendrait mieux une simple proéminence qu’il présenterait en dessous du niveau du ventre, mais non, « tout est dehors » ! Ce qui est certain, c’est que son allure devait être obscène dans les deux cas, (mais que voulez-vous, c’est le Moyen-Âge !) Alors que reste-t-il comme autres possibilités ? Ne pourrait-on imaginer dans cette représentation quelque sage à l’aspect assez ambigu, tourmenté toujours par la folie (son vêtement, son allure) et surtout dominé par les forces de l’errance : la tête de marotte qui termine son bâton étant la plus haute sculpture de toute la façade ornée de l’immeuble, comme si finalement la folie dominait tout ? Ah sacrée question ! Était-ce une maison d’alchimiste ou un lieu de réunion de chercheurs de la pierre philosophale ? Peut-être a-t-on tenté de déceler ici le moyen de changer le plomb en or en débattant d’une philosophie hermétique. Mais tout cela, cette science, réputée secrète, était réservée à des adeptes initiés, on ne comprend alors pas pourquoi cet étalement de symboles (le personnage principal, les petits personnages ou ‘’tenants’’) exposés à la vue de tous les passants ? Faut-il voir dans cet ensemble de sculptures, (il en manque de très importantes dans la partie droite) un message religieux ? Souvenons-nous qu’il existe dans l’église de Maringues un « homme des bois » identique, même si la perche qu’il tient dans ses mains est bien lisse, donc compatible avec un bâton de bitton (conducteur de convoi). Pour conclure (momentanément) sur ce sujet, il est étonnant que le décor entier d’une façade (à Thiers) soit consacré à une corporation somme toute importante au Moyen-Âge (les nautoniers) mais sûrement pas plus que celle des couteliers, (pour ne citer que ceux-là) qui, eux, n’ont rien d’approchant à Thiers (en matière de décor ou de construction) ? Quand allons-nous découvrir une statue gothique de coutelier, de papetier ou de tanneur encore enfouie dans quelque cave ou souterrain ?
Visiter cette très ancienne ville de Thiers ou ses abords c’est toujours aller vers des découvertes, une seule de ces rues renferme des éléments d’architecture ou de décoration du plus grand intérêt. Je continuerai dans une prochaine rubrique (toujours sous le titre : « Thiers en plein dedans ») mes déambulations et je ne manquerai pas de vous en donner mes impressions.
Jean-Paul Gouttefangeas