Paul Bechon : chercheur, poète et incompris

À la fin de sa longue vie, Paul Bechon tirait une remorque Michelin qu’il remisait dans les « communs » de son deux pièces d’une HLM Avenue Philippe Dufour à Thiers. Il s’en servait pour faire ses courses. Personne ne connaissait cet homme si discret qui pourtant, avait fait parler de lui dans les années 20. Fils d’un fabricant de coutellerie ruiné, Paul Bechon n’eut de cesse de venger sa famille. Et le 22 décembre 1922, en fin de journée, embusqué rue Terrasse, il surina le banquier qu’il jugeait responsable de ce déshonneur. Après quoi, il alla derechef se constituer prisonnier au commissariat. Le banquier s’en tira mais pour Paul, les ennuis commençaient. On le mit en prison à la Pierre Levée à Poitiers où il resta un an. Jugé aux assises, il fut alors… acquitté. Et le 23 avril 1923, Paul Bechon-Gironde (de son nom complet), débarquait en gare de Thiers où des centaines de personnes l’attendaient. C’était pour la plupart de simples couteliers qui eux, n’avaient jamais douté de lui. On le porta en triomphe. Commença alors pour lui la première quête de sa vie : récupérer ses biens. Il fit signer pétitions sur pétitions, lui qui n’avait plus un sou se lança dans des procès interminables et onéreux. Découragé, aigri, désespéré, il se présenta aux élections législatives du 22 avril 1928 comme candidat républicain et indépendant conspuant « la canaille qui nous gouverne ». Il ne récolta que quelques voix et ne retrouva jamais sa maison, son usine. Il lui restait son honneur. Alors commença sa deuxième quête : montrer que sa petite patrie, Thiers, était… comment dire le point de départ d’une civilisation pour ne pas dire de LA civilisation occidentale ! Pendant son service militaire, il avait effectué plusieurs voyages dans les Balkans. Il en avait profité pour apprendre le serbo-croate et d’autres dialectes et en avait déduit que les langues occidentales dérivaient en partie d’une langue orientale, l’araméen parlé dans l’antique Chaldée et langue mère de l’hébreu et… du celte. Alors, en appliquant les racines de l’araméen à la toponymie (étude des sons) locale de Thiers, il eut une révélation, point de départ à des décennies de recherches : Pour lui, la bataille de Gergovie se serait déroulée à Thiers, et Thiers fut capitale de la celtique et le haut lieu du Sénat Gaulois, etc. Il écrivit : « Je suis comme un voyageur qui après avoir laborieusement gravi les flancs abrupts d’une de nos belles montagnes, Puy-de-Dôme ou Montoncel, découvre soudain en accédant au sommet un tour d’horizon immense, vertigineux qui le récompense de ses peines ». Et c’est ainsi qu’il construisit une chaîne mystique allant de l’Europe à l’Asie. On y trouve dans l’ordre : le Puy-de-Dôme, le Montoncel, le Mont-Blanc, les Balkans, l’Olympe, les Monts célestes de Chine, les sommets enneigés du Japon… Lorsqu’on opposait à sa thèse la rigueur scientifique, Paul n’en prenait pas ombrage, il était sûr de lui. Il en rajoutait même : « Il y a dans les Bois noirs le plus formidable des secrets, caché là depuis deux mille ans » *. Il était comme ça Paul qu’un écrivain auvergnat qualifia de fou mais qui était tout simplement un rêveur, un poète qui tenta toute sa vie de retrouver son enfance. Un jour en fouillant dans une vieille malle qu’il m’avait donnée, au milieu de ses lettres, écrites quand il était soldat, d’un exemplaire du Pagès sur la coutellerie, des vieilles cartes postales, d’un casque colonial, d’une vieille paire de jumelles, de manuscrits qu’il n’a jamais publiés, j’ai retrouvé un livre à tranche dorée. A l’intérieur, un petit billet : « Collège de Thiers. Année 1902-1903. Premier prix de Français décerné à l’élève Paul Bechon ». Le titre du livre : L’enfant gaulois.
C’était son point de départ comme son point d’arrivée.

Jean-Luc Gironde

*C’est l’objet de ses recherches parues sous le titre : L’Origine ar-verniste de la civilisation indo-européenne dont nous vous proposons de lire un chapitre.

En illustration dans le bandeau, photo de Paul Bechon sergent au Deuxième Génie ; deuxième en partant de la droite.