Le coq qui se raconte

Ce qu’il y a de bien avec le conte, c’est qu’il donne à l’auteur la possibilité (jusqu’à l’infini) de dire ce qui est vrai, mais surtout l’invraisemblable et c’est là le plus intéressant dans une histoire ! Je vais donc continuer de vous débiter des coquecigrues.

Aujourd’hui j’ai envie de vous faire entendre le chant du coq dans tous ses états. Je suis bien dans ma peau, disait-il, même si pour la nommer (ma peau) on parle surtout de chair de poule ! Mon sort par bien des points est enviable. De roi de la basse-cour, mon règne s’étend bien au-delà, me menant à des sommets. Du haut du clocher, fier comme un coq je domine villes et villages, donnant officiellement aux bonnes gens la direction du vent. Il y a très longtemps, le Gallus que j’étais (du même nom donc que les Gaulois), faisait figure de symbole solaire. Pas étonnant donc que chaque matin, par reconnaissance, je commence ma journée par un hymne à l’astre solaire, conscient tout de même que si je ne chante pas, le jour se lèvera quand même ! Pour les Chrétiens dont je coiffe le toit du temple, je symbolise la lumière et la résurrection du Christ, d’aucuns prétendent même que je suis capable de faire reculer démons, lions et autres bestioles souvent assimilés à l’esprit mauvais.

Je jouis, il faut le dire, d’une rare popularité, au point que suis devenu symbole dans un peu tous les genres et peut-être pas toujours les meilleurs, mais comme on ne me demande pas mon avis, je m’adapte. Parfois, j’éprouve une grande fierté, notamment sur les stades quand, ornant la poitrine des sportifs, j’entends résonner l’hymne national, je tire gloire de la solennité que m’apporte cette marque de vêtements : ‘’le coq sportif’’, j’attends même en secret le jour où on décidera en haut lieu que les shorts seront imprimés de motifs en ‘’pieds de coq’’ ! Soit dit en passant on m’a rapporté qu’un de mes congénères avait traversé le stade juste avant le coup de sifflet du début de la partie, il aurait sûrement préféré être ailleurs ! Lors de la ‘’grande boucle’’ je suis aussi de la partie, par les maillots jaunes, verts et même à pois, tous délivrés par le même fournisseur. Dès le chant du coq, les jours de rencontre, les boxeurs de la catégorie dite ‘’poids coq’’ se préparent aussi à l’affrontement, ces coqs alors hérissent leurs plumes, évitant l’un et l’autre de se faire plumer tout en étant souvent rouges comme des coqs, le vaincu se gardant bien alors de coqueliner par des cocoricos intempestifs !

Le succès aidant, je suscite de nombreuses jalousies de la part de plusieurs espèces d’oiseaux galliformes n’ayant rien à voir avec le coq de paroisse emblème de vigilance séculaire que je suis. Grand nombre d’entre eux auraient tendance à se prendre pour des coqs de village et à vouloir se placer plus haut que leur perchoir au simple motif que par une bonne fortune, leur plumage et leur port seraient plus riches et colorés que le mien. Je pense en particulier à ce fameux coq de bruyère qui se prend pour un Samouraï, se parant même des plumes du paon pour faire la roue. Véritable fantasme pour certains amateurs de nature qui n’arrivent plus à le rencontrer tant il vit caché dans le silence absolu du plus profond des bois de certaines régions, dédaignant les humains jugés par lui trop ‘’modernes’’. Ce Grand Tétras (c’est son nom) devrait savoir qu’il ne suffit pas de se parer d’une plume (même) bien placée, voire d’un rouge éclatant, pour ressembler à un vrai coq ! Et puis il y a le coq faisan, le coq de perdrix, le tétras lyre, le petit coq de bouleau, le minuscule coq de roche sans parler de l’énorme coq d’Inde (le dindon) si loin de ma grâce. Dans les régions côtières, on a même poussé le bouchon jusqu’ à appeler certains poissons des coqs de mer ! (daurades et rougets) c’est vulgaire ! Même les humains cherchent parfois à me brimer avec des dictons comme ‘’ Laissez le coq passer le seuil, vous le verrez bientôt sur le buffet’’. En Auvergne, ils ne sont pourtant pas les derniers à me solliciter pour connaître le temps du lendemain : ‘’ quand le coq chante à la veillée, il a déjà la queue mouillée’’, on ne peut pas être plus explicite. La moquerie est facile en ce qui concerne les hommes qui ont des jambes ‘’ grêles ‘’ on dit alors qu’ils ont des ‘’mollets de coq’’ ! Qu’est ce qu’ils ont mes mollets ? Et ceux qui ont une voix aigrelette sont de suite catalogués de ‘’voix de coq’’ ! Mais je sais chanter que diable ! Je rappelle au passage pour ceux qui l’auraient oublié que j’ai habité les temples en tant qu’attribut des dieux romains (Mercure) et que dans ces lieux sacrés, il y avait des chants, d’ailleurs il n’est pas rare lors de fouilles de retrouver de nombreux ‘’coqs votifs’’.

Allez, je déverse un peu de fiel mais tous comptes faits, ma vie n’est pas si mal, je suis plutôt honoré et mis en valeur, on a frappé monnaie à mon effigie (10 et 20 francs or), je suis le ‘’coq Gaulois’’ symbole de ce pays, j’orne des fanions, je suis le ‘’Coq Hardi’’ à la patte levée de blasons très anciens, j’ai été pendant près de vingt ans le journal de milliers de petits Français (toujours sous le nom de Coq Hardi), des restaurants portent mon nom, un buron au Grand Genevrier vers Saint- Anthème s’appelle la jasserie du coq noir (ancienne ferme d’estive). Les horlogers ont aussi fait parler de moi avec les ‘’coqs de montre’’ et autres coquerets et rosillons, sorte de calandre protégeant le balancier. Je suis aussi acteur (bien malgré moi) dans la Bible, ce qui explique ma présence parmi les attributs de la Passion.

Des passionnés de gallinacés se dévouent pour mon espèce, ils sont aux petits soins pour nous, pleins d’attention, allant même jusqu’à nous faire voyager (comme des poules de luxe) dans tous les pays pour des concours de beauté. Nous sommes chez eux comme des ‘’coqs en pâte’’ : Vieille expression datant de trois siècles qui vient du fait que ces mêmes éleveurs délicats nous enveloppaient pour le transport dans des nacelles douillettes en ayant pris soin auparavant d’oindre tout notre plumage d’une pâte (un onguent gras de protection) afin de protéger nos plumes et les rendre plus brillantes encore.

Rien à voir donc avec ces infâmes coqueleurs qui, eux, n’ont en vue que ces méprisables combats de coqs qui se déroulent (pas chez nous) dans des gallodromes, jeux cruels venus d’Asie il y a très longtemps. Je sais que nous avons des qualités belliqueuses mais de là à faire de nous des ‘’coqs combattants’’, il y a une marge.

Non, mon domaine c’est la ferme et le monde paysan, c’est mon univers, c’est dans cette basse-cour que j’étends mon pouvoir, entouré de mes sujets. C’est moi qui sonne le réveil : ‘’c’est un seul coq qui chante et tout un village se réveille’’. J’ai un rival dans ce registre aussi, il se nomme réveil–matin, un ‘’jazz’’ où, pour tromper son monde, le fabricant osa mettre l’image d’un coq sur le cadran, c’était en l’an de grâce 1967, cette usurpation m’a été désagréable.

Pourtant, dans cet univers campagnard où tout devrait se dérouler normalement, calmement, il arrive que des éléments perturbateurs entrent en scène de manière inattendue. Les conflits de voisinage (entre humains) sont fréquents à propos du meuglement des vaches, du bruit des cloches des tondeuses et des tracteurs et bien sûr du chant matinal des coqs. Un de mes congénères a même été traîné au tribunal (il s’y était fait représenter par son avocat). Un de ces énergumènes de citadins à commis l’irréparable, tuant avec préméditation le coq incriminé, c’est dire le niveau de compréhension de certains en matière de vie à la campagne ! Paix à ton âme Marcel coq martyr.

Pour ma part, j’ai connu le drame dans mon milieu, chez moi. Le fermier d’à côté mettait un point d’honneur à élever des coqs dits chapons, (on en parle surtout au moment des fêtes, ce qui n’est pas forcément la leur). La particularité de ces coqs vierges est de vivre isolés et surtout privés de certains attributs intimes. L’un d’eux, victime sûrement de son instinct naturel malgré sa mutilation, poussé par une envie irrésistible, franchit le Rubicon et pénétra dans mon palais-poulailler. Mon sang ne fit qu’un tour : il n’y a pas de place pour deux en ce lieu. Le bougre faisait le fanfaron dans une attitude hardie et arrogante, il se prenait pour ‘’ le coq de village’’, agissant comme un galant espérant courtiser les belles du lieu. Je comprenais son émoi mais moins son comportement : ‘’Un coq sans poule est comme une cruche sans eau’’. Mais c’est bien connu, ‘’le conflit survint quand la poule parut’’. Mais comme l’a dit le vieux Sénèque : ‘’Le coq est roi sur son fumier’’. Ce fut alors entre nous le début de l’host. Venue d’alentour, ‘’ la gent qui porte crête au spectacle accourut’’. Il me fallut bien l’admettre et quoi qu’il m’en coutât, au terme d’un combat loyal, à coups de bec et d’ergot, je fus battu. Ainsi, ‘’mon rival autour de la poule s’en revint faire le coquet’’, ‘’Je laisse à penser quel coquet, car il eut des femmes en foule’’. (Vous avez reconnu, chers lecteurs, les vers de Monsieur de La Fontaine). Mais à ma pièce il y eut un deuxième acte. Le fermier, alerté par le bruit qu’avait causé cette révolution de palais, constatant les dégâts que j’avais malgré tout infligés au chapon, le voyant saignant et craignant les représailles de son voisin fermier, me prit à son tour à partie m’annonçant sans détours que j’allais finir en coq au vin ! Venant de lui, je ressentis ces mots comme une trahison (je n’avais fait que défendre mon honneur). J’avais déjà entendu parler de trahison dans mon entourage par le fameux ’’ chant du coq’’ symbole du reniement de saint Pierre rapporté dans la Bible par saint Matthieu.

Pour revenir à la menace dont j’étais la cible (et sans passer pour autant du ‘’coq à l’âne’’, moi, ‘’malheureux objet d’une injuste rigueur !’’ je n’osais imaginer la sentence. L’idée de finir en marinade, oignons, carottes et vin rouge ne me convenait pas du tout, même entre les mains d’un grand chef fût-il nimbé d’étoiles. Malgré la longueur de mon propos, je ne peux m’empêcher de développer cette légende auvergnate du ‘’coq au vin de Chanturgues’’ tant elle est succulente (si j’ose m’exprimer ainsi). Le récit se situe en 52 avant notre ère, lors du siège de Gergovie par le général Romain Jules César. Le chef de la tribu des Arvernes (que nous connaissons tous), est-il besoin de le nommer ? Oui. Vercingétorix fit parvenir à César un superbe coq (Gaulois donc), objet symbolique en diable s’il en fut : combativité, hargne etc. à l’image donc de ses combattants Gaulois. Et le Romain prit la pâtée. Hélas, un an plus tard c’est Alésia : je n’en parlerai pas ! Notre chef à nous fut emmené à Rome et César qui souffrait, c’est certain, de ‘’troubles de la digestion’’ convia son prisonnier à une ultime ‘’cena’’ et devinez ce qu’il fit servir à son hôte à table : le coq-cadeau mijoté au vin rouge !

C’est là que reprend le cours de mon récit. Tout de même, moi qui ai toujours bénéficié de cette association flatteuse du Gaulois et du coq, moi qui ai précédé l’usage des cloches jusqu’à leur apparition au V ème siècle, moi qui suis aussi le symbole de plusieurs saints (dont Saint Pierre : le coq et les clefs), moi qui figure au sommet de l’insigne officiel de tous les maires de France, sans parler de ma présence justifiée dans nombre de monuments aux morts, après avoir été réhabilité par le dernier roi des Français (Louis Philippe) côtoyant ainsi la Fleur de Lys comme meuble héraldique, avoir figuré sur de nombreux timbres-postes, être érigé en mascotte dans d’innombrables manifestations et être enfin devenu le symbole reconnu de la ruralité, on me promettrait de finir à la casserole ? J’en appellerais presque au Président de la République à qui mon souvenir est rappelé chaque fois qu’il sort du Palais de l’Elysée par la ‘’porte du coq’’. Aussi vrai que le ‘’cochet’’ (coq du clocher) tourne au vent, j’ai envie de justice et même de vengeance. Pourtant, quoi qu’on dise, quand on me traite d’orgueilleux, de batailleur agressif et toujours en noise, je sais aussi faire preuve de sagesse et de magnanimité. Dans un désir de paix et donc pour mettre fin à la guerre, sans autre forme de procès, je pris la décision de chanter à tue-tête en plein jour, afin d’être entendu par le plus grand nombre. Ce concert serait une preuve que c’est toujours moi le chef. Pour donner plus de solennité et d’ampleur à l’affaire, je choisis un après-midi de gros orage et montai au faîte du toit de la grange, me mettant à trompéter mieux qu’un aigle !

Un évènement naturel et imprévu me fut fatal, transformant la scène en ‘’mort du cygne’’. En un éclair, par Zeus je fus foudroyé devant mon harem médusé !

C’est certain, la Patrie reconnaissante me conduira au Panthéon (des coqs) !

Jean Paul Gouttefangeas