La Commune, elle souffla aussi à Thiers - 7 : interrogatoire de Bourgade
À lire précédemment : Le procès : interrogatoire de Saint-Joanis
Suite de l’audience du 22 août
D. Vous passez également pour un ivrogne ?
R. Permettez-moi de dire sur cette question que quant à moi je ne suis pas un ivrogne. Vous vous donc nous mettre ici tous dans la même catégorie.
D. À peu près ?
R. Non. L’homme qui boit n’a plus sa raison. Si je bois, je bois chez moi, mais quand je sors j’ai toujours ma présence d’esprit. Il y a ici deux agents de police : vous leur demanderez s’ils m’ont jamais mis la main au collet et si jamais ils m’ont vu ivre.
D. On leur demandera ; mais ce qu’ils ont toujours constaté, c’est votre présence dans toutes les émeutes ?
R. Dans les émeutes ? Et dans quel but ? Jamais.
D. Il paraît que vous élevez votre fils dans les mêmes principes ?
R. Je l’élève dans des principes de bienséance et de bienveillance. J’ai peu d’éducation, mais j’en ai assez pour bien l’élever.
D. Vous êtes un grand liseur de journaux ?
R. Faites excuse, je n’ai pas le temps d’en lire, quoique ce soit bien permis à tout le monde. Ce n’est pas quand je travaillais l’hiver dans la neige pour gagner 80 C. et me geler les orteils que je pouvais lire les journaux. Je ne m’occupe pas de politique. J’élève mon fils dans la crainte de Dieu. Je ne ferais pas à mes semblables ce que je ne voudrais pas que l’on me fît à moi-même. Mon fils sera comme son père, un honnête homme.
D. Malgré tout ce que vous dites, vous aurez peine à faire croire à MM. les jurés que vous n’êtes pas un homme politique, puisque vous avez subi deux condamnations politiques.
R. Permettez-moi de donner connaissance de ces deux jugements à MM. les jurés.
D. Nous n’avons pas besoin d’explications, les condamnations nous suffisent. Venons à l’insurrection ; vous prétendez, ne pas y avoir pris part.
R. Non, Monsieur. Mon enfant vendait des journaux. Quand j’entendis du bruit et que je vis beaucoup de monde assemblé, j’y pénétrai pour chercher mon enfant. Je rencontrai M. Durif, le procureur de la République, qui me connaît parfaitement et qui me dit : Bourgade, aidez-moi donc à dissiper l’attroupement. Au même moment, un enfant jeta une pierre qui atteignit le brigadier de gendarmerie ; presque aussitôt les gendarmes, assaillis de pierres, furent obligés de se retirer.
L’accusé entre alors dans des explications interminables pour raconter, comme St-Joanis, la garde qu’ils montèrent à la mairie pendant la nuit.
D. Est-ce que vous n’avez pas crié : Vive la Commune ?
R. Qu’est-ce que la Commune ? Il n’y a pas 50 personnes ici capables de le définir. Je l’ai demandé à beaucoup de personnes, je n’en ai pas rencontré qui aient bien pu me l’expliquer.
D. On vous reproche cependant d’être entré dans une grande exaltation et d’avoir crié : Vive la Commune ! Versailles ne gagnera pas. À bas les gendarmes ! Ce sont des assassins ?
R. Ce sont des bourgeois qui en veulent au peuple, ce ne sont pas des ouvriers qui ont dit ça.
M. le procureur général. Répétez ce que vous venez de dire ?
R. J’ai dit : ce sont des bourgeois.
D. Vous avez ajouté autre chose.
L’accusé hésite, se tourne vers Chomette, puis dit au procureur général : Répétez donc votre question, je ne vous ai pas entendu.
M. le procureur général. Heureusement que MM. les jurés ont entendu comme moi les paroles que je viens de répéter.
M. le président. Vous niez donc avoir crié vive la Commune ?
R. Il appartient à un âne de parler de ce qu’il ne connaît pas. J’ai assez de bon sens pour ne pas faire de même. Je ne sais ce que c’est votre Commune ; pour moi, la commune c’est la mairie.
D. La nuit vous étiez de garde quand arriva l’éclaireur des cuirassiers. Vous lui criâtes. Qui vive ! Il vous répondit : France ? Non content de cela vous lui demandâtes le mot d’ordre. Naturellement, il n’en avait pas. Alors vous le mites en joue en criant : N’avance pas, retour, ou je fais feu.
R. Comment voulez-vous que je l’ai menacé de faire feu, non seulement je n’avais pas de cartouches, mais j’avais un vieux fusil qui datait de plus d’un siècle, qui était tout rouillé ; il aurait fallu quatre hommes et un caporal attachés à une corde pour le faire partir.
D. Le cuirassier ne savait pas si votre fusil était chargé ou non ; le fait n’en subsiste pas moins.
À suivre : interrogatoire de la femme Guérin, dite Fanchette.
Merci à Georges Therre pour nous avoir confié ces documents.