La Commune, elle souffla aussi à Thiers - 11 : interrogatoire de Chomette
À lire précédemment : Le procès : interrogatoire d’Antoinette Douris
Suite de l’audience du 22 août
D. Vous êtes considéré comme le chef occulte de l’insurrection.
R. Je déclare que s’il y a un chef occulte, ce n’est pas moi. Il y a eu quelques bruits dans la ville de Thiers, on ne peut pas appeler ça une insurrection. S’il y a eu des menées occultes, elles ont eu lieu contre moi, pour me faire incarcérer ; c’est du moins l’opinion publique à Thiers.
D. Ce que vous ne prenez pas pour une insurrection a cependant consisté à briser la sous-préfecture, le télégraphe, la mairie, et à produire de nombreuses effusions de sang parmi les représentants de l’autorité.
R. Non, une insurrection a un but et là je n’en aperçois aucun.
D. Il y avait le but de changer le gouvernement.
R. Quand bien même deux ou trois individus se seraient emparés de la mairie, que pouvait faire une force pareille, surtout sans organisation ni munitions. Pas un homme pourvu de bon sens ne considérera ce fait comme une insurrection.
D. Il est cependant certain que jusqu’à l’arrivée de la troupe la terreur a régné...
R. SI on avait voulu organiser sérieusement la garde nationale, elle aurait suffi pour éloigner une cinquantaine de gamins dont le plus âgé n’avait pas plus de 18 ans.
D. Vous avez dit n’y avoir pris aucune part ?
R. Je défie de citer un seul fait contre moi. Ceux qui me connaissent savent que je ne peux y être pour rien. Voici ma vie...
Chomette remonte à 1848 et entre dans des détails inutiles pour le compte-rendu.
M. le président. Tout cela n’a pas trait à l’insurrection, je vous répète que l’accusation vous considère comme en étant le chef. Vous êtes un homme intelligent.
R. Ceci n’est pas bien vrai, j’ai une intelligence ordinaire. Je me crois un peu de logique.
D. Vous êtes un ancien élève de l’école polytechnique, ce qui prouve que vous êtes intelligent.
En 48 des troubles éclatèrent à St-Rémy, vous y avez pris part.
R. Il est fâcheux que l’affaire ne soit pas venue devant le jury, car si la société a à se venger, elle doit le faire par ses membres. Moi, républicains, chargé de juger les royalistes, je serais toujours accusé de partialité ; or, Luis-Philippe n’avait pas chois ses magistrats parmi les républicains.
D. En 1850, vous avez encore été condamné pour fabrication illicite de poudre. En 1851, vous fûtes désigné comme très ardent, mais aucune décision ne fut prise contre vous.
R. Si, Monsieur.
D. Comment ? Quelle décision ?
R. Une décision occulte me condamnant à l’exportation, que je remercie l’accusation de ne pas avoir produite pour l’honneur de la magistrature, car j’ai été condamné sans jugement et sans défense par une commission mixte.
D. Il n’existe aucune condamnation contre vous ?
R. Si ; les notes sont à la préfecture. Le Républicain les a reproduites et personne ne les a démenties.
D. Enfin, vous tenez absolument à avoir été proscrit ?
R. J’étais à Genève, ce qui empêché l’exécution de la sentence. Si je n’avais pas été proscrit je n’aurais pas été amnistié.
D. Vous avez profité de l’amnistie générale, mais passons sur ce point.
R. Je conviens que ce genre de condamnation n’est pas flatteur, mais quand on a commis des fautes il faut les avouer.
L’accusé entre dans de longues explications sur ses affaires de famille et sa position de fortune. Il prétend que la séparation de biens demandée par sa femme n’a pas eu pour motif le péril où il pouvait mettre une dot qu’il n’avait pas touchée, mais un intérêt de conservation pour cette même dot. Enfin, il prétend qu’il jouit actuellement d’au moins 50,00 fr. de fortune.
On revient ensuite aux faits du procès, et de longues explications sont échangées entre le président, le procureur général et l’accusé sur les diverses réunions publiques qu’il a organisées ou auxquelles il a assisté, ainsi que sur les différentes phases de son voyage auprès de la Commune, en vertu de la délégation qui lui fut donnée à cet effet par une réunion publique tenue à Clermont.
Nous ne pensons pas devoir reproduire de nombreuses explications fournies de part et d’autre sur ces points, utiles à mettre en relief aux yeux du jury, mais tout à fait inutiles pour le compte-rendu.
Chomette fait un long discours sur son séjour à Paris et les rapports qu’il a eus.
D. C’est à votre retour de Paris que vous organisâtes à Thiers des réunions publiques ?
R. Oui, j’organisais les associations où la première dépense devait être pour acheter une grammaire et un dictionnaire, afin de mettre par l’instruction le peuple en état de s’éclairer en lisant les journaux. Pour moi, le vrai principe est : Liberté, instruction, car le suffrage universel ne sera grand qu’à la condition d’être éclairé.
D. Dans les réunions, l’on lisait les feuilles publiques.
R. Oui, monsieur, mais je ne pense pas qu’à ce moment il y eut en France beaucoup de feuilles exagérées. Oui, on lisait les journaux, on les commentait, afin de s’instruire. Je m’occupais aussi avec l’argent disponible, d’organiser la vie à bon marché ; en ceci je ne crois pas voir commis de crime.
D. De retour de Paris, vous demandâtes des secours d’argent pour la Commune ; vous disiez avoir reçu mission de faire une quête pour lui envoyer des volontaires.
R. Ce sont des fables.
D. Je dois vous faire connaître un propos extrêmement grave, tenu le 30 avril, à 3 h du soir, dans une des rues de Thiers. Un groupe d’individus causait de façon à être entendus par un témoin, lorsque l’un d’eux dit ces paroles : "C’est convenu ; il faudra faire comme dit Chomette, porter tout à la mairie, et nous partagerons ensuite".
R. M. le président, en réponse à des propos que je ne vaux pas m’abaisser à révéler, permettez-mois de lire un démenti que j’ai fait insérer dans le journal.
Chomette en donne lecture, puis fait passer le journal à la Cour.
D. Vous comprenez la gravité de ce propos, il définit le but de l’insurrection, c’était de piller la ville de Thiers. Ces paroles : nous ferons comme dit Chomette, prennent de l’importance par ce fait qu’immédiatement après, vous voyant venir, un des individus groupés s’écria : Ah ! voilà Chomette. Vous allâtes en effet à eux leur distribuer des bulletins. Il y avait donc entre ce groupe et vous un lien évident ?
R. Tout le monde à Thiers protestera contre cette infamie. On essaie de salir les hommes les plus purs. On peut briser ce corps (mettant la main sur son coeur) mais cette conscience, j’en défie.
Chomette donne également des explications sans beaucoup d’intérêt sur la vente et la distribution par Fanchette des journaux qu’il recevait de Lyon.
Il réfute ensuite divers propos ou conversations que lui rapporte M. le président et qui reviendront plus utilement au compte-rendu lors des dépositions des témoins.
D. Vous vous vantiez partout d’exercer sur les ouvriers une grande influence ?
R. Malheureusement, je ne l’avais pas assez grande.
D. Cependant, lorsqu’on chassa le sous-préfet et que vous vous installâtes à la sous-préfecture, vous disiez vous-même : Le peuple me veut ; si je faisais passer une dépêche à Gambetta, je serais nommé ?"
R. C’est vrai.
D. Eh bien ! Quand vous avez vu vos concitoyens en venir aux mains, au lieu de rester impassible, vous auriez dû user de cette influence et venir dire au peuple : Arrêtez-vous !
R. Ah ! On aurait bien voulu, quand on avait ameuté une foule de galopins, me voir paraître. On n’aurait pas mieux demandé que de me compromettre d’une façon positive et réelle. Je n’ai pris part qu’à une seule insurrection populaire, celle du 2 décembre, et j’étais en tête. SI j’avais préconisé celle du 30 avril, j’aurais été à la tête aussi. Tout le monde sait que je suis trop brave pour prendre un rôle occulte.
D. On a fait une perquisition à votre domicile ?
R. Oui.
D. Y-a-t-on trouvé les papiers que vous portiez, cousus dans la doublure de votre paletot, lors de votre voyage à Paris et dont vous disiez à un témoin que si on les trouvait il y aurait de quoi vous faire pendre.
R. On peut bien dire tout ce qu’on voudra.
À suivre : interrogatoire de Vedel.
Merci à Georges Therre pour nous avoir confié ces documents.