LA SORTIE, suite des « Expressions toutes faites »

Le nouveau président de l’association avait pris les choses en main et par crainte de renouveler le climat de tension de la dernière réunion avait réuni les seuls membres du bureau et la destination de la sortie annuelle avait été décidée dans le calme et tous avaient du cœur au ventre, même celui qui battait le briquet à sa voisine et l’importance du secrétaire qui se prenait pour le moutardier du Pape ! Le bureau, néanmoins, avait carte blanche. Après les courriers aux membres mentionnant toutes les informations, à savoir un voyage en autobus, visites culturelles comprenant château et jardins et un repas à midi et un durant le voyage du retour.

Dès potron-minet, le jour du départ étant venu, le président, le secrétaire et la trésorière étaient à la tâche à l’accueil avant l’embarquement : alea jacta est (les dés sont jetés). Comme à l’habitude dans ce genre d’événement, c’est monnaie courante, quelques personnes manquent à l’appel, on passa des coups de téléphone, les réponses étaient variées : « mais je croyais que c’était la semaine prochaine ou ‘’mon réveil n’a pas sonné’’ ou bien encore ‘’ma voiture est tombée en carafe’’ ou ‘’je dormais comme une souche’’ sans parler des grincheux ‘’mais j’y vais pas, il va tomber des cordes et en plus c’est trop loin, ça va durer trois plombes on n’avait pas besoin d’aller à Tataouine’’ pour se divertir. Un autre qui pensait faire la grasse matinée ! On vous attend encore dix minutes, passé ce délai vous faites une croix sur ce voyage, il faut y mettre du vôtre car vous nous mettez dans la mouise. Nous vous remplacerons par le premier chien coiffé ‘’ah mais il ferait beau voir ! J’arrive, il n’y a pas le feu !’’ Quant à la dame qui habite très près du lieu de départ et qui, d’habitude, a du peps tout en étant tête de linotte, elle était à quia au téléphone.

Enfin, ceux qui étaient à la bourre étant arrivés, le car s’ébranla, pas sur les chapeaux de roue, certes, mais il démarra. Le président ne manqua pas de graisser la patte au chauffeur, histoire de se le mettre dans la poche. Il savait que s’il avait besoin d’un coup de main il pourrait compter sur lui. Ce gaillard semblait solide comme le Pont neuf. Prenant le micro pour souhaiter la bienvenue, des voyageurs ce ne fut qu’un cri « Vive Zemu ! » et il attaqua comme prévu : « je suis ému.... » incluant au passage le fameux carpe diem, (profitez du moment les amis). Les passagers s’étaient rassemblés par affinité, ceux qui étaient à tu et à toi étant assis côte à côte. Le monsieur d’un couple souhaitait changer de place mais comme c’était la dame qui portait la culotte, allant à Canossa, il dut renoncer à son projet. Au fond les vieux de la vieille commençaient à faire du bruit, visiblement, ils n’avaient pas l’intention de se faire de la bile. Le président était quand même sur le qui-vive, craignant les débordements, les avait à l’œil, sachant que déjà certains buvaient en Suisse. Ils jouaient les boute-en-train en faisant florès, ce qui amusait la galerie et c’était heureux, mais il ne fallait pas tout laisser partir à vau l’eau, même si tous semblaient partir la fleur au fusil, il fallait rester dans les cordes.

Dehors le temps était au beau malgré un vent à décorner les bœufs, le long de la route en pleine campagne il n’y avait pas un chat, le paysage varié défilait. Un premier petit incident survint, une dame assise sur son siège versait des larmes de crocodile en voyant le spectacle du bord de la route, des cantonniers mettaient les écureuils à pied, en écologiste convaincue (et avec une sensibilité à fleur de peau) elle marquait à la culotte tout ce qui touchait à la nature, profitant d’une époque qui avait le vent en poupe sur le sujet en en rajoutant un peu car piquée de la tarentule !

Venant des joyeux drilles de l’arrière du car, des jérémiades se firent entendre, sans coup férir et sans barguigner, un énergumène pressé comme un lavement se planta sur ses jambes de faucheur et prit la parole entamant en même temps une danse de saint Guy « alors, on s’arrête quand ? Vous ne vous rendez pas compte, à l’arrière il y a plus de trépidations, il faut changer l’eau du poisson et en plus les gaz d’échappement dessèchent la gorge ! On est en panne ! Ces propos étaient cousus de fil blanc, le président n’était pas dupe, cependant voulant avoir la paix et connaissant le zigoto de réputation, il savait qu’il était menteur comme un soutien-gorge, il promit un arrêt au prochain bar routier, ce qui ne tarda pas. Sitôt dehors, les premiers satisfaits furent ceux qui se mirent à fumer comme des pompiers, les seconds entreprirent un copieux arrosage des arbres alentour ! Un grand nombre passa à l’intérieur pour se rincer la dalle sans pour autant se piquer la ruche mais quand même pour tuer le ver ! Il n’empêche que l’ambiance de la salle était à la gaîté. Le patron à l’aise bien dans son assiette, bien que débordé, se portait comme un charme. Pour lui cette halte faisait la rue Michel. Comme il n’avait pas les yeux plus gros que le ventre et connaissant ses limites dans le coup de feu, il faisait mettre les clients à la queue leu leu devant le comptoir, après tout, comme on fait son lit on se couche ! À ceux qui voulaient boire tout leur soûl il en servait sans leur tailler des croupières, mais en veillant toujours à se faire payer car son entreprise, ça n’était pas le Pérou, il gardait la tête froide (et sur les épaules). Les aigrefins qui tentaient de resquiller il les connaissait, ceux qui n’attachent pas leur chien avec des saucisses et qui ne se gênent pas lorsque vous les rappeler à l’ordre de vous chanter pouilles. Bon an mal an, tous plus ou moins rassasiés, il était temps de mettre les bouts.

En remontant dans le car une dame se cassa la margoulette, autrement dit se ramassa une gamelle heureusement sans gravité, cependant elle émit l’idée qu’on la mène à l’hôpital afin d’y passer une radio ! Avec beaucoup de délicatesse le président lui dit d’aller se faire tâter, l’affaire s’arrêta là. Dans le bus, à cette réponse, beaucoup se fendirent la poire il faut dire que le climat était favorable grâce aux brèves de comptoir qui circulaient. Le reste du voyage nous mena au jardin qu’il était prévu de visiter. Certains, c’était palpable, s’en moquaient comme de colin tampon et se seraient bien fait la belle pour aller siffler une bouteille à l’auberge voisine, alors le jardin ils s’en battaient l’oeil. C’est dommage, le lieu était beau et la guide compétente et charmante. Mine de rien, elle sut convaincre et intéresser malgré quelques personnes qui avaient les portugaises ensablées mais je vous prie de croire que ce n’était pas une sinécure pour cette jeune femme, à se demander si ça n’était pas donner de la confiture..... La fin de la visite fut un peu écourtée à la demande du président, il avait décelé un coup de pompe chez un grand nombre de ses ouailles, la faim gagnait du terrain. A nouveau dans le bus, les grincheux donnèrent encore un peu de la voix. Une fleur de nave, décréta que tout ça cassait pas trois pattes à un canard un autre apporta de l’eau à son moulin en disant qu’il n’y avait vraiment pas de quoi manger l’oreiller. Le coup de pied de l’âne vint d’un troisième larron qui s’avança à dire que c’était de la crotte de bique et que l’on aurait mieux fait d’aller se taper la cloche directement ! C’en était trop, le président sentit la moutarde lui monter au nez il sortit de ses gonds, soutenu par la grande majorité de l’assemblée et de fil en aiguille d’autres, comme s’ils avaient mangé du lion mirent les pieds dans le plat voire changèrent leur fusil d’épaule et n’y allèrent pas avec le dos de la cuillère en soutenant mordicus et bille en tête qu’ils n’avaient rien à faire ici et devraient sûrement se satisfaire d’une vie de barreau de chaise en restant sur la touche car c’était leur lot, là ils en prirent pour leur grade.

Le temps passé avant d’arriver au restaurant fut un peu plombé. Enfin, on arriva, d’emblée la bonne humeur revint. Sans attendre, comme un pet sur une toile cirée tous se mirent à table, le dos au feu et le ventre à table, d’autant que la plupart avait l’estomac dans les talons et une faim de loup. La patronne prenant la parole raconta une histoire à dormir debout nous prévenant que la marée n’avait pu arriver à cause d’une grève des camionneurs et que le chef se faisait un mouron d’encre craignant même le pire dans son comportement (a beau mentir qui vient de loin). L’inquiétude de danser devant le buffet grandit, si on ne servait pas, c’était la fin des haricots, l’idée de se brosser était insupportable alors qu’ils comptaient bien s’en mettre plein la lampe, il ne fallait pas les mener en bateau. Quand le secrétaire alla se renseigner de savoir si oui ou non on allait pouvoir manger, on lui fit une réponse de Normand, ce qui ne rassura personne. L’heure tournant à l’horloge du Palais, tous étaient prêts à manger de la vache enragée. Sur ce coup nous étions bons comme la Romaine et prêts à avaler ce que l’on voudrait bien nous donner, ce qui fut fait dans un train de sénateur. Effectivement il n’y eut pas de poisson et pas beaucoup du reste. Au moment de l’addition la situation tourna au vinaigre dans une levée de boucliers, sous les yeux d’un président malheureux comme les pierres, qui était la cheville ouvrière de cette sortie, il y avait vraiment de quoi faire tout un pataquès de ce fiasco. Les plus remontés criaient qu’ils s’étaient fait pigeonner, disant qu’ ils ne s’attendaient pas à faire la tournée des grands ducs mais tout de même il y a des limites à se faire prendre pour des canards sauvages, ils avaient bouffé des briques. D’autres ayant consulté le menu avouaient avoir été prêts à manger à s’en faire péter la sous ventrière ! Un grand nombre poussaient des cris d’orfraie à l’idée de payer leur addition. Tout en en ayant gros sur le cœur, le président (grand seigneur) régla la totalité des notes impayées en demandant à tout le monde de rejoindre le car pour se rendre au château à visiter, censé être le clou de la journée.

Le calme revint, certains s’assoupirent au point même d’en écraser profondément. C’est à ce moment que des hoquets violents et répétés réveillèrent tout le monde. Le car venait de tomber en rideau. C’était le bouquet ! Branle-bas de combat général, tout le monde dehors, le chauffeur a déjà levé le capot en essayant de réfléchir mais ventre affamé n’a pas d’oreilles. Les passagers s’installent dans l’herbe ou sur les rochers surplombant la rivière toute proche. L’équipe dirigeante trouvait que la situation de cette journée allait de mal en pis, même si alentour l’ambiance était plutôt bon enfant. Les anciens avaient remis le couvert pour les libations (le stock semblait inépuisable), ils buvaient comme des Templiers ! Soudain des cris, des précipitations au bord de l’eau : un des hommes (parmi les plus joyeux) venait de glisser d’un rocher et de tomber à l’eau ! Et ses amis de hurler : il ne sait pas nager. Le courant faisait son œuvre. Un jeune homme, le benjamin du groupe, n’écoutant que son courage en cinq sec alors que la plupart se contentaient de battre l’eau, ayant du sang de navet, plongea et ramena le papy sur la berge, maintenant tout mouillé à l’extérieur. Hourras de l’assistance, félicitations, larmes d’émotion etc. A l‘écart on sécha et rhabilla (tant bien que mal) le héros et son complice. Sur ces entrefaites arriva (par hasard) l’estafette des gendarmes, curieux de cet arrêt en rase campagne et de tout ce remue-ménage. Le président préféra passer au caviar l’affaire du ‘’bain’’, redoutant de tuer un âne à coups de figues avec la maréchaussée. Ces derniers suggérèrent de commander un véhicule de remplacement avant de repartir comme ils étaient arrivés. L’heure tournait et c’était la solution envisagée. C’est alors que des rugissements se firent entendre, le moteur tournait normalement assura le chauffeur (en sueur). « En voiture », ni une ni deux chacun regagna sa place. Etant donné l’heure avancée, le bureau présent décida de nettoyer les écuries d’Augias en ramenant tout ce petit monde à la maison sans autre forme de procès. C’est sans coup férir que le président annonça à la cantonade cette décision et personne ne prit la mouche, plus de château, plus de dîner, tous n’avaient qu’une envie : rentrer au bercail à plein badin.

Jean-Paul Gouttefangeas

À lire précédemment : Expressions toutes faites.