Expressions toutes faites
Notre association avait décidé de faire une sortie pour visiter un château, des jardins et faire deux bons repas, un vers midi et un autre le soir sur le chemin du retour.
La destination n’avait pas été facile, entre ceux qui ne savaient pas, les indécis, ceux qui voulaient ménager la chèvre et le chou, ceux qui n’étaient pas du tout d’accord et ceux qui pensaient que ça allait être trop fatigant, ces derniers n’avaient peut-être pas tort quand on connait la suite du déroulement de cette soirée !
Il fallait veiller à ce que ce voyage mi-culturel, mi-gastronomique ne nous mène pas au diable vauvert, ne coûte pas trop cher, sans pour autant voyager dans une bétaillère et retenir les repas dans des gargotes. Comme tout cela était débattu en assemblée générale, la parole était libre. Il y eut quelques incidents de séance ! Il faut dire qu’avait été inscrit à l’ordre du jour le renouvellement des membres du bureau. Autant le dire tout de suite, ce fut la croix et la bannière. Aucun fil rouge dans le débat, le président d’emblée se faisait du mouron bien que ce soir-là il fût bien luné, le secrétaire quant à lui était une chiffe molle, perpétuellement dans la lune et souvent à côté de la plaque. Le trésorier était absent, malade et, paraît- il, à l’article de la mort, tout le monde savait qu’il avait brûlé la chandelle par les deux bouts ce qui l’avait très vite conduit au bout du rouleau. Tout de même, passer l’arme à gauche à son âge était triste.
Les candidats ne se bousculaient pas, le président avait bien compris qu’il ne fallait pas trop faire la fine bouche, néanmoins élire un bureau d’association, ce n’est pas de la petite bière, de plus, il ne voulait pas plus tard se faire appeler Arthur pour négligence et préférait d’emblée montrer patte blanche et mettre en coupe réglée toute l’affaire, quitte à se mettre en quatre pour cela. Donc, il était bien décidé à tenir la dragée haute à l’assemblée, en étant droit dans ses bottes, pour autant, il n’était pas question de bâcler ça en catimini, au risque de se retrouver un jour (comme déjà dit) dans le pétrin, sachant que, par les temps qui courent, ça peut coûter bonbon. La salle s’échauffait, ça faisait un bail que l’on n’avait pas ressenti pareille tension. Le premier rang se tenait tranquille comme Baptiste. C’est du fond de la salle que grondait l’opposition aux quelques candidats qui avaient courageusement levé la main, indiquant ainsi leur candidature. On entendait même siffler des noms d’oiseaux, alors que d’autres cassaient du sucre sur le dos de leur voisin, le vouant aux gémonies. Un géant (qui avait la tête près du bonnet) au milieu de la salle avait une dent contre celui qui souhaitait prendre les finances de l’association, le traitant de tronche de cake. Là, le président intervint très justement en lui remontant les bretelles. Rien n’y fit, notre homme s’en moqua comme de l’an quarante et continua de plus belle à tirer à boulets rouges sur sa tête de Turc (alors qu’un grand nombre de participants le regardaient en chiens de faïence, il affirmait que le candidat, depuis toujours, adorait le veau d’or. À ses dépens, certes, mais il avait fait un tabac dans la salle. Pour le président, c’était toujours le parcours du combattant, au risque de devenir chèvre, il savait qu’il allait bientôt être au taquet, il commençait même à avoir le bourdon, pourtant, bon an mal an, il lui fallait bien aller au charbon. Courageusement il accepta la candidature du futur trésorier, soutenu par la majorité de l’assemblée et demanda qui briguait le poste de secrétaire. Une petite dame leva la main, elle avait dû coiffer Ste Catherine il y a bien longtemps mais avait conservé de beaux restes de sa frêle personne. Bien connue dans la ville, elle avait la réputation de voir midi à sa porte et de ne pas avoir ses deux pieds dans le même sabot. Elle n’avait jamais travaillé mais par ailleurs jamais tiré le diable par la queue, semblant avoir du foin dans ses bottes. Elle avait un nom à coucher dehors, mais tout le monde l’appelait Mademoiselle, étant célibataire, elle n’était sous la houlette de personne et même avait du chien et disposait de beaucoup de temps libre, le seul reproche que l’on aurait pu lui faire, c’est qu’elle était atapinée comme Tafurs, c’est-à-dire habillée comme un as de pique. Visiblement tout le monde s’en moquait comme de l’an 40. Là, je vous le donne en mille, curieusement ni cris, ni houle, toute l’assemblée donna son accord. Je dois dire quand même pour tempérer mon propos que grand nombre de participants des deux premiers rangs en écrasaient ‘’grave’’ et dormaient sur leurs deux oreilles.
Lorsque la salle applaudit des deux mains, manifestant aussi sa joie à tue-tête, ceux- là furent réveillés en sursaut. Deux d’entre eux, croyant la réunion terminée, plièrent les gaules et prirent la poudre d’escampette ou la tangente, c’est selon. Un autre, l’air hagard, semblait revenir de Pontoise et battre la campagne ! Sa voisine crut bon de l’informer que ça n’était pas fini, à cette nouvelle il resta comme deux ronds de flan, elle essaya encore un instant d’éclairer sa lanterne mais finit par renoncer dans un soupir de sansonnet d’ailleurs, visiblement il commençait à lui courir sur le haricot. Sur le banc derrière, une dame semblait elle aussi être à l’ouest, apparemment le roi n’était pas son cousin et elle avait son content, elle aussi voulut prendre la poudre d’escampette ! L’homme qui se tenait à la porte (et qui avait le bran de Judas), censé contrôler les va et vient, tenta de la raisonner mais pas folle la guêpe, elle joua des coudes, alors plutôt que prendre la mouche, il préféra la laisser filer, après tout il n’était pas payé au marc le franc elle pouvait bien aller à dache ou aller se faire voir (chez qui vous savez) !
Après cela il fallut trouver un ou une responsable des banquets et des diverses activités. D’aucuns poussèrent du coude un homme qui semblait être dans les vapes et qui bien malgré lui fut mis sur la sellette. Il commença par déclarer qu’il était patraque et qu’il n’avait aucune envie de travailler pour le roi de Prusse. D’emblée, on comprit tous que l’ours mal léché ne conviendrait pas, d’ailleurs ce profil de candidat à l’air faux jeton ne cassait pas trois pattes à un canard, nous avions eu le nez creux de ne pas le retenir. Nouvel appel : de but en blanc, un bras se leva. Celui là, tout le monde savait qu’il avait une araignée dans le plafond et qu’il passait son temps à peigner la girafe tout en développant une propension à faire la bombe. Après tout, cela ne l’empêcherait peut-être pas de mettre la main à la pâte pour cette fonction, sans pour autant nous rouler dans la farine, c’était collectivement qu’il nous fallait veiller au grain et ne pas craindre de monter au créneau si le besoin s’en faisait sentir, il n’était pas question que par cette activité il en profite pour mener une vie de patachon. Bien encadré, il lui serait difficile de nous faire prendre des vessies pour des lanternes, à nous de mettre flamberge au vent et veiller à ne pas réchauffer un serpent dans notre sein. Après quelques atermoiements l’assemblée finit par l’accepter à ce poste.
Le pire était à venir , le président sortant le savait, à bâtons rompus il posa la question redoutée : qui désignez-vous pour la présidence ? La question passa comme une lettre à la poste mais ce fut bien la seule, elle fut sans réponse. À la répétition de la question une jeune fille leva la main : « je peux chanter une chanson si cela peut détendre l’atmosphère » que n’avait-elle pas dit la pauvre, un lourdaud bas de plafond, depuis le fond rétorqua : tu chantes comme une seringue ! Le compagnon de la jeunette qui avait, c’était évident, un cœur d’artichaut, des yeux de merlan frit, tout de go se leva et voulut mettre son grain de sel, bonne poire qu’il était. C’est à ce moment que la belle tomba dans les pommes ! Il faut dire qu’elle avait un polichinelle (vous savez où), ce n’était un secret pour personne, (il était de polichinelle !). Toute la salle comme un seul homme se porta au secours de ‘’l’enceinte’’, on l’allongea, on la ‘’dégrafa’’, on l’éventa etc. Depuis l’estrade la voix prépondérante se fit entendre : il faut vous décider, je suis démissionnaire alors arrêtez de raconter des salades Le président avait parlé, essayant de reprendre du poil de la bête et ne voulant pas passer sous les fourches caudines. Pour tout dire, il en avait sa claque. Une dame enfin, de la société bourgeoise de la ville se leva en disant : je veux bien poser ma candidature à ce poste. ‘’Minute papillon’’ vociférait une voix, cette dame n’est pas représentative de notre association, tout le monde sait que c’est son mari qui se présente aux élections municipales (malgré ses casseroles) qui l’a envoyée, de plus elle-même a maille à partir avec la direction des impôts. Cris multiples. Le président dut encore intervenir avec la formule : la femme de César ne peut être soupçonnée. Aux derniers rangs un brouhaha grossissant se fit entendre, quelques énergumènes en étaient venus aux mains. C’était la goutte d’eau qui allait faire déborder le vase et mettre le feu aux poudres et peut-être aussi un peu de vin ! Chacun choisit son camp, sûrement un peu avinés, certains qui étaient jusqu’alors cul et chemise, donc copains comme cochons se tabassaient à qui mieux mieux dans un branlebas de combat général, les coups pleuvaient comme à Gravelotte. Pour le pauvre président, l’épée de Damoclès qu’il avait sur la tête était tombée, c’en était trop, le crin de cheval avait cassé. Il dut se résoudre la mort dans l’âme à composer le 17 sur son téléphone face à une situation qui partait à vau l’eau, il était dans de beaux draps. En opposition à la mêlée générale, à l’extérieur, il faisait un temps de curé. Les bœufs carottes arrivèrent rapidement, ils étaient bien 13 à la douzaine, ils ne cherchèrent pas midi à quatorze heures, choisissant parmi les plus excités, ils les alignèrent en file indienne, tout de même, certains se défendirent becs et ongles, à vue de nez une dizaine poussée à hue et à dia monta dans le panier à salade (dont un avec un œil au beurre noir) sous les cris de : en voiture Simone au moins ceux-là avaient cessé de faire les Jacques.
Le calme revint dans ce qui restait de l’assistance. La parole s’enhardit, après tout, les cris de putois disparus, tous avaient droit au chapitre, certains même passant du coq à l’âne, vidèrent leur sac librement et calmement, criant bon vent à ceux qui étaient partis.
Le président qui, en gesticulant, s’était cogné le petit Juif sur son bureau avait repris les rênes ; le choix pour la présidence, sans avoir à couper les cheveux en quatre, se porta sur un homme frappé au coin du bon sens et qui avait pignon sur rue. En deux coups de cuillère à pot il accepta la charge. On savait qu’avec lui aux manettes il n’y aurait pas de lézard.
Dans un baroud d’honneur, le président, qui ne voulait pas jeter le bébé avec l’eau du bain et qui, maintenant, avait les coudées franches passa aux votes dans la foulée, qui ne firent pas un pli. Secrètement, il était aux anges et même aux petits oignons. Au cours de cette soirée, il avait dû boire le calice jusqu’à la lie et avaler bien des couleuvres mais il devait se contenter d’une victoire à la Pyrrhus.
La séance prit fin un peu en queue de poisson, elle serait à marquer d’une pierre noire, pour ce qui est de sabrer le Champagne, on attendrait encore un peu ! Avouez tout de même que cette réunion qui restera dans les annales, fera du bruit dans Landerneau.
Une prochaine réunion aura lieu pour parler du voyage (ce qui n’a pas été abordé), je ne manquerai pas de vous faire parvenir une convocation !
Jean-Paul Gouttefangeas
La suite ! LA SORTIE, suite des « Expressions toutes faites ».