Château de Ligones à Lezoux

Un lieu mal connu chargé d’histoire

« Ligones semble avoir été peu, ou mal connu des historiens et des archéologues qui se sont intéressés à l’Auvergne. Sa brève existence (moins d’un siècle), sa quasi-totale destruction, expliquent vraisemblablement cette indifférence pour une œuvre qui fut cependant l’objet d’une admiration, ainsi qu’en témoigne l’historien clermontois Dulaure, qui a visité Ligones vers 1784 et nous en a laissé une minutieuse et enthousiaste description … »
Avant-Propos, page 3 Le château de Ligones, Henri Fayet, Auvergne littéraire 1960.

1 - Ligones

La terre ou seigneurie de Ligones est située à la lisière est de la Limagne, à deux kilomètres au nord-ouest de Lezoux, proche de l’actuel échangeur de l’autoroute.
C’est aujourd’hui une propriété privée, qui ne se visite pas et se situe au bout d’une voie sans issue.

Extrait agrandi carte de la Limagne d'Auvergne de SIMÉONI,1561

Ligone, est représenté sur la carte de la Limagne d’Auvergne, en 1561, par le florentin Gabriel Siméoni, qui est connu pour avoir été le premier à mentionner le lieu de la bataille de Gergovie.

Il existe, sur la commune d’Ambert un autre lieu dénommé Ligonne. Il abritait une commanderie de Saint-Jean de Jérusalem qui dépendait de la commanderie « chef » de Courtesserre, paroisse de Courpière, cf Courtesserre ou Curta Serra : une bien belle histoire …, en six communications, publié en 2022.

L’orthographe du lieu diffère selon les documents anciens : Lygones, Ligone, Ligones etc.
On trouve, dès 1286 des écrits qui relatent la présence d’un château primitif qui aurait appartenu à Etienne de l’Higonne.
Intéressons-nous, tout d’abord à la famille de Chazerat les derniers propriétaires, avant la révolution, qui sont à l’origine de la création du nouveau château :

2 - Famille de Chazerat

C’est en 1683 que Claude de Chazerat, venu du Bourbonnais s’installe en Auvergne, achète le château à Jean de Ribeyre de Fontenilles, seigneur de Lezoux.
Il est à l’origine des importants travaux entrepris au château de Ligones au début du XVIIIème siècle.
Son fils, Antoine-François, né en 1695, est Premier Président de la Cour des Aides de Clermont. Il se marie avec Claude Amable de Ribeyre.
Son petit-fils Charles-Antoine, né en 1728 à Ligones, est Intendant d’Auvergne de 1773 à 1789. Marié à Gilberte Rollet de Mirabel, à Riom.
Le couple n’eut pas de descendance. Charles-Antoine réside dans son hôtel particulier, à Clermont, où il décède à 96 ans, après avoir été exilé quatorze ans à Genève à la Révolution. Il venait se reposer à Ligones dans sa « maison des champs » !
Le bas du cadre doré de la peinture du portrait du dernier propriétaire mentionne qu’il a été donné par François Lecourt de Saint-Aigne Président de, la Cour des Aides de Clermont-Ferrand, marié à Jacquette, Marguerite, Françoise de Chazerat, la propre sœur de Charles Antoine.

Blason desChazerat

© Daniel Juric Armorial de France

« D’azur à l’aigle d’or ; à la bordure cousue de gueules chargée de huit besants d’argent. »

En héraldique l’aigle est toujours au féminin. En principe, elle est éployée (il est donc inutile de le préciser) sauf quand elle est au "vol abaissé’ (les ailes vers le bas) qu’il faut blasonner.

3 - Le nouveau château de Ligones au XVIIIème siècle

Les dates de construction du nouveau château de Ligones sont inconnues. Probablement au début du XVIIIème siècle par Claude de Chazerat.
Le château, vaste demeure de plaisance, pouvait contenir 16 appartements. Il était inspiré du modèle de « Marly » à Marly-le-Roi (Yvelines), de plan carré de 33 m de côté composé :

- d’un large fossé
- d’un sous-sol éclairé et aéré
- d’un rez-de-chaussée avec salon circulaire
- d’un étage avec un corridor
- d’un dôme percé de huit œils-de-bœuf
- du salon d’été.

À l’entrée principale de la propriété se trouvaient deux maisons du concierge et des gardes, la cour d’honneur et une pièce d’eau « quadrilobée » : le bassin de Neptune (un des rares vestiges du parc encore visible).
Une chapelle dédiée à Saint-Antoine se trouvait à l’entrée de la propriété.

Le parc « à la Française » de 115 hectares, clos de murs (près de 3 km) comportait plusieurs bassins et se terminait par un canal, formant rivière, d’une longueur de 320 mètres sur 30 mètres de large, inspiré de celui de Versailles.

Le « parc de l’Ile » fut créé en 1785

- Une gravure de 1760 représente le plan d’ensemble de la propriété, publié en page 52 de l’ouvrage de Sonia Roussy ;
- Cadastre napoléonien de 1825 cote 55 FI 548 : Ligonne 1ère feuille.

Carte de la Limagne d’Auvergne Siméoni 1561. Bibliothèque du patrimoine de Clermont Métropole.

À partir de 1794, l’allée de Ligones a vu un trafic incessant de transport de matériaux. Les travaux de démolition découlaient des décisions de Couthon (*) qui avait ordonné la destruction du château le trente brumaire de l’an second de la République une et indivisible (20 novembre 1793) :

« Les représentants du peuple prenant en considération la pétition républicaine et philosophique de la Société Populaire de Lezoux arrête que la maison fastueuse du ci-devant intendant, connue sous le nom de Ligones sera détruite, …etc »

(*) Georges Auguste Couthon, député du Puy-de-Dôme, natif d’Orcet, signe sous le nom d’Aristide Couthon.

4 - Farce : Le Rèi-Barnat de Mr de Chazerat
Où il est question de bœufs délandés !

Histoire transcrite par Etienne Coudert, (le Tiène Codert) contée en patois par les vieux de Lezoux, Seychalles et Orléat dont son père Claudius et d’autres figures locales !

C’est avant la révolution que se passe cette histoire.

À l’arrière-saison, après avoir fini les vendanges et tiré le vin, les jeunes de Seychalles s’ennuyaient bien un peu. Toujours est-il que dans une cave, il y en eut un qui dit :

- Eh bien, vous savez pas ? On va faire une farce à de Chazerat !
Le château de Ligones se tient à quelques lieues de Seychalles, pas vrai,
- Et qu’est -ce que tu veux lui faire à de Chazerat ?
- Eh bien, on va lui faire une farce ! On va lui mettre un coffre sur un char et devant, on y attellera trois paires de bœufs pour le tirer. Mais des bœufs délandés !
Pour les « délander », les bœufs, il faut mettre celui de gauche à droite et celui de droite à gauche. Quand les bœufs ou les vaches sont pas habitués à tirer du même côté que de coutume, ils font le « charivari », joli travail !
- Et qu’est-ce que tu y mettras dans cette « arche », donc ?
- Et bien, nous y mettrons un « Roi Bernard »* que nous mènerons à de Chazerat pour lui faire une farce et se moquer de lui !
Alors, vous savez bien, quand la jeunesse s’y met, les bêtises ne lui font pas peur !
Toujours est-il qu’ils mirent un coffre sur un char attelé de trois paires de bœufs délandés, et qu’ils menèrent, à travers chemins fangeux, le char, le coffre et le roitelet !
Et les voici qu’ils arrivent dans les bois de Ligones.
Quand ils entendirent un tel remue-ménage, les gens de Ligones se demandaient ce que c’était que ça. Un valet s’approcha :
- Qu’est-ce que c’est donc tout ce bruit que vous faites ?
- Allez donc chercher de Chazerat, nous avons une surprise pour lui !
Et ils allèrent chercher leur maitre qui arriva aussitôt.
- Qu’est-ce donc, enfin…tout ce bruit ?
- Eh bien, nous vous amenons un « bœuf » ! Et dans ce coffre, il y a un bœuf ailé !
- Ah ! ha ! ha ! Un bœuf ailé ! Et faites voir comment il est votre bœuf ailé !
Et ils soulèvent le couvercle du coffre. Aussitôt le roitelet sort : vrrrt ! S’envole dans les bois de Ligones.
- Eh bien, mes citoyens, c’est bien ! Mais c’est pas tout ça : vous m’avez porté un bœuf ailé ! Mais maintenant il faudra le nourrir. Alors, savez-vous ? Vous me porterez tous les ans, trois setiers de blé, avec toute la paroisse de Seychalles … de Seychalles ! …Ça fera quelque chose pour le nourrir ; on fait du bon blé à Seychalles !

© histoire de la ville de Lezoux, Sonia Roussy page 89 à 93.

5 - La faïencerie de Ligones

A la suite des démolitions du château de Ligones, dès 1794, les murs du salon à « l’italienne » de forme circulaire ont été conservés et recouverts d’un toit. Cette construction a servi à abriter une faïencerie pendant quelques années. On y fabriquait essentiellement de la vaisselle en faïence blanche et des récipients vernissés de couleur marron (pichets, bols à « oreilles…) Des tessons sont dispersés en abondance autour des ruines et à proximité de la maison actuelle.

© histoire de la ville de Lezoux, Sonia Roussy page 80.

Le château n’ayant été démoli, en 1794, que jusqu’au niveau du rez-de-chaussée, on construisit, vers 1830, sur les substructions du grand salon, un bâtiment de même forme que ce dernier, c’est-à-dire circulaire, et destiné à servir de magasin à une fabrique de faïence établie à Ligones et qui n’eut qu’une brève existence…
On installa dans le sous-sol du salon un manège auquel on attelait un cheval, pour actionner les machines à broyer la terre et les émaux nécessaires à la fabrication de la faïence.

© un Versailles en Auvergne, Henri Fayet page 23.

D’après les travaux d’Estelle Delahaye, on doit à André Décroix, le propriétaire du domaine, acheté après la Révolution, la création de la faïencerie.
André Décroix exerça les fonctions de maire de Lezoux en 1840 puis en 1871.

Les informations collectées sur les registres d’état civil, lors de recherches généalogiques, permettent de faire des découvertes et d’en apprendre plus sur la vie de nos ancêtres et les lieux où ils ont vécu et travaillé.

6 -BIBLIOGRAPHIE

LE CHÂTEAU DE LIGONES un Versailles en Auvergne. Auvergne Littéraire 09/1960 Henri Fayet
Histoire de la ville de LEZOUX et ses environs. Imprimerie Beauvoir Courpière 02/2002 Sonia Roussy
LE CHÂTEAU DE LIGONNES A LEZOUX DANS LE PUY DE DÔME. Monographie d’un édifice disparu. Volume I : textes, volume II Annexes et pièces justificatives Estelle Delahaye. Mémoire de Master 1 d’histoire, université Blaise Pascal Clermont-Ferrand, année 2008/2009.

7 - LIEN UTILE

LE CHÂTEAU DE LIGONES, UNE SPLENDEUR DISPARUE

8 - REMERCIEMENTS

Anne-Cécile Barthelemy, chargée des collections et de la documentation, Musée départemental de la céramique de Lezoux.
Christian Bournat, adjoint au maire, commune de Lezoux.
Sandrine Feral, service communication commune de Lezoux.
Daniel Juric, héraldiste, Amorial de France
Sonia Roussy, écrivaine, Lezoux.
et Thomas Bordes.

ILLUSTRATIONS
Liste et légendes

- Plaque émaillée, ville de Lezoux : ALLEE DE LIGONNE , cliché DG.
- Plaque émaillée, ville de Lezoux : RUE Charles DE CHAZERAT, cliché DG.
- Carte de la Limagne d’Auvergne de SIMÉONI, 1561, bibliothèque du patrimoine de Clermont Métropole.
- Extrait agrandi carte de la Limagne d’Auvergne de SIMÉONI, 1561, bibliothèque du patrimoine de Clermont Métropole.
- Portait de Charles-Antoine de Chazerat,© Musée Mandet/Riom Limagne et Volcans.
- Blason des de Chazerat par Daniel JURIC héraldiste.
- Reproduction de la gravure du château de BILBÉNIA, cliché DG.
- Attelage de bœufs © Jacques POINSON illustrateur. Carte à jouer N°6 : débardeurs, famille des forestiers 1996.
- Assiette faïence blanche, collection A. Maillot, CD63, Musée départemental de la céramique Lezoux.
- Dos d’assiette faïence blanche, collection A. Maillot, CD63, Musée départemental de la céramique Lezoux.
- Carte postale ancienne : château de Ligonne, VDC éditeur, collection DG.

© Daniel Groisne novembre 2024