BRUGIÈRE - BARONS DE BARANTE - portraits I

Du 23 au 25 mars dernier, 1350 lots de la bibliothèque du château de Barante – riche au XIXème siècle de quelque 60 000 ouvrages, ce qui en fit le fonds le plus important de France en mains privées- ont été mis aux enchères à Clermont-Ferrand. L’histoire de la famille de Barante est une histoire fascinante à laquelle, Georges Therre , professeur de Lettres en retraite et sans conteste le plus fin connaisseur de l’histoire thiernoise, a consacré une longue étude publiée par la Société des Études Locales de Thiers dans son bulletin N°54 de Janvier 2018. C’est cette saga que nous vous présentons au travers de huit portraits que nous publierons en plusieurs fois avec l’aimable autorisation de la SELT. Quatre textes suivront : le premier sur Barante au XXème siècle, le deuxième sur la bibliothèque du château, puis un texte sur les deux ventes aux enchères de 2016 et 2017, et enfin, le texte publié en introduction des trois superbes catalogues édités par l’étude de Maîtres Vassy et Jalenques, commissaires priseurs à Clermont-Ferrand, qui ont procédé à la dernière vente, les 23, 24 et 25 mars 2021.

À lire précédemment : BRUGIÈRE - BARONS DE BARANTE - Une famille thiernoise et son fief

Les huit portraits

- Antoine II BRUGIÈRE

Petit-fils d’Antoine, l’acquéreur de BARANTE, il est l’intermédiaire entre les BRUGIÈRE thiernois et les gens de robe qui leur succèdent à RIOM dans les générations suivantes. Né à Thiers en 1642, mort en 1694 à Barante, ce docteur en droit épouse en 1666 Marguerite PROHET, sœur de Claude Ignace PROHET, célèbre jurisconsulte de Riom. Beaucoup des livres de celui-ci figurent dans la bibliothèque de Barante, et "Claude-Ignace" sera désormais un prénom de prédilection chez les BRUGIÈRE. À RIOM, Antoine exerce la profession d’avocat.

- Claude-Ignace I BRUGIÈRE (1669-1745) est né et mort à Riom. Ce fils d’Antoine II devient procureur du Roi, et ne serait qu’un homme de loi parmi d’autres, s’il n’était en même temps un grand lettré, à la fois auteur de théâtre et de poésie, d’ouvrages savants, tout en secondant d’austères amis de la famille, les jansénistes ARNAULD et NICOLE. Tout cela pendant sa jeunesse parisienne. La littérature nous paraissant plus attirante que le droit, faisons un sort à cette carrière où l’érudition et la fantaisie font bon ménage.
Peu soucieux de célébrité, il ne signe que rarement ses œuvres, ou adopte des pseudonymes. Lié avec des littérateurs qui ont laissé un plus grand renom, comme FURETTIERE, LESAGE, REGNARD, c’est sous l’initiale B. ou le nom de BIANCOLELLI (un comédien d’alors) qu’il fait jouer six comédies au Théâtre Royal Italien. Ajoutons deux autres comédies où il collabore avec DUFRESNY. Elles sont imprimées sans son nom dans le Théâtre italien de GHERARDI. L’étudiant en droit n’y attache sans doute pas d’importance.


Deux gravures du Théâtre Italien, 1697

Claude-Ignace est aussi un latiniste averti, et il se pique de poésie. En 1692, il fait paraître Les Amours de Psyché et de Cupidon, d’après l’Âne d’or, œuvre latine antique d’APULÉE, et cette traduction personnelle jouit d’un tel succès qu’elle reparaît en 1696, puis en 1719, cette fois enrichie de figures en taille-douce, là encore sans son nom. En 1802, c’est encore cette traduction qui est éditée avec les figures de RAPHAËL.


Fontispice : Les Amours de Psyché et de Cupidon, 1719

Il est impliqué dans une querelle littéraire qui a fait assez de bruit pour que LA BRUYERE, dans les Caractères, chapitre "Des quelques usages" y fasse une discrète allusion. "Laissez à Corinne, à Lesbée, à Canidie, à Trimalcion et à Carpus la passion ou la fureur des Charlantans", écrit-il. Or Trimalcion est un célèbre personnage du Satyricon de PETRONE, l’écrivain contemporain de l’empereur Néron.

Un officier, François NODOT, a publié en 1692 une traduction française de ce roman antique, complétée des chapitres manquants dans ce qui nous est parvenu. Se heurtant au scepticisme des lecteurs, il diffuse en 1694 une nouvelle édition, comportant cette fois le texte latin en face de la traduction sous le titre : Pétrone latin et françois, traduction entière suivant le manuscrit trouvé à Belgrade en 1688".


Pétrone, Satyricon, 1709

Notre érudit auvergnat se penche sur le texte latin, relève les nombreuses fautes des soi-disant nouveaux chapitres, et dénonce une supercherie. Deux savants voyageurs, SPON médecin à Lyon et l’Anglais WHELER, parlent d’un manuscrit authentique. Non pas celui prétendument trouvé à Belgrade, mais un autre : lui aussi recèlerait un Satyricon complet.

NODOT se fonde là-dessus pour entretenir l’équivoque. La polémique est à son comble. CHARPENTIER, doyen de l’Académie Française, soutient NODOT, qui publie une contre critique où il combat Barante, qu’il appelle B...
Finalement, l’imposture est démontrée, NODOT est un charlatan, et malheureusement le texte complet de Pétrone n’a jamais été retrouvé. Aucune édition moderne sérieuse n’accorde une ligne au prétendu manuscrit de Belgrade.

Nous pardonnera-t-on une digression ?
Une quinzaine d’années avant l’affaire du faux Pétrone, un autre lettré thiernois, GUILLET de SAINT-GEORGES, publiait deux récits de voyage bien informés sur Athènes et Sparte, qu’il disait fondés sur les aventures de son frère, appelé la GUILLETIÉRE, dont on ignore s’il a existé.
Qui a mis en doute la réalité de ces voyages ? SPON et WHELER. Qui les a soutenus ? CHARPENTIER. Décidément, ceux-ci n’appréciaient pas nos compatriotes. Dans le cas de GUILLET, peut-être n’avaient-ils pas tort. N’empêche que ce Thiernois était si bien informé que lorsque CHATEAUBRIAND, plus d’un siècle après, entreprend l’Itinéraire de Paris à Jérusalem, c’est aux livres de GUILLET qu’il se réfère fréquemment.

Georges Therre

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