Vivre à Thiers (et ailleurs) au Moyen-Âge
Je vais survoler ce « vivre à Thiers » au Moyen-Âge, mais il est bien évident que les immenses problèmes causés par le manque d’hygiène et la pollution urbaine que je vais évoquer sont à peu près les mêmes dans toutes les cités du Royaume. Je vais d’ailleurs étendre mon récit à des temps bien moins lointains que la période médiévale, voire jusqu’au XIXe siècle, ce qui montrera tout de même une amélioration de la condition de vie et de l’hygiène des citadins en général. On peut dire que des changements et améliorations apparaissent au cours des siècles, même s’il y a toujours à faire, tant les contraintes sont nombreuses et complexes.
Thiers « la close », je veux dire la ville haute, enserrée dans ses murailles (sécurité oblige) souffre beaucoup du manque de place. Les façades des maisons sont étriquées et les rues très étroites, biscornues et surtout les dénivelés souvent importants. De nombreux ruisselets dévalent, détériorant tant et plus les grandes et petites charrières. Voyager à pied ou en charrette de transport, dans Thiers, il y a six siècles relevait de l’exploit tant les difficultés de tous ordres étaient nombreuses. Les rues n’étaient pas pavées, l’eau ruisselante creusait des ornières accentuées sans cesse par le passage des roues. Tout au plus, les riverains enfonçaient dans la terre, devant chez eux, quelques pierres brutes, de petits rondins de bois, étalant parfois des fagots, ce qui retenait un peu le glissement vers le bas ! Malgré leur étroitesse, ces venelles étaient incroyablement encombrées : tas de bois, immondices, sans parler des animaux divaguant et mordant parfois les passants, oies, porcs, chiens etc. Sans « tout à l’égout », la rue recevait les eaux des toits, sans parler de tout ce qui était jeté par les fenêtres, contenus des seaux d’aisance et « pots à pisser », détritus de cuisine, cendres, carcasses et os d’animaux, au grand risque des piétons, ce qui fera dire plus tard qu’il vaut mieux tenir le « « haut du pavé », c’est-à-dire longer les murs, à l‘abri des encorbellements des immeubles et également pour éviter de marcher dans l’écoulement central continuellement alimenté de crottin et d’urine. Les glissades sont permanentes, causant sans cesse des accidents plus ou moins graves. On relève de la bouillasse parfois enchevêtrée dans les cageots et les paniers, les victimes qui risquent d’être écrasées par les chariots des ouvriers chargés de matériaux en tous genres : fer pour les couteaux, peaux d’animaux, gravats issus de démolition, l’encombrement créé par les maçons (ou apparentés) est le pire, sans parler des bouchers transportant sur leur dos des animaux à découper, des tonneliers roulant leurs pièces etc… Les risques de la rue sont innombrables, il faut se garder des coups de sabot de quelque animal en furie, des étals des commerçants qui débordent sur la rue, sans parler de ceux des ambulants, ces petits regrattiers qui enfreignent très souvent les arrêts du Bailly qui tente de règlementer l’anarchie du commerce dans sa ville.
Parmi ces nuisances urbaines, il faut parler de l’hygiène corporelle des habitants. Il est solidement établi dans l’opinion publique, dans les années 1450, que la crasse est une protection naturelle et un moyen de lutter contre la porosité de la peau, car c’est par elle que les organes s’infectent à l’intérieur ! De par ce principe, un corps couvert de croûtes et de vermine est un rempart contre la peste ! A ce propos, bien que la ville soit assez souvent dotée d’étuves publiques, les opposants au bain ont beau jeu de déclarer qu’une peau lavée se ramollit et devient comme une porte ouverte « car la vapeur pestiférée fait entrer dans le corps des miasmes faisant mourir promptement ! « Dans le même registre, il est fortement recommandé de ne pas changer de vêtements, ce qui favorise la mort des puces, car il faut qu’elles soient sans jour, sans air et enserrées ! De même, il bon de se gratter en public (sauf à table) car il serait malséant de chercher dans son col ou au bas de son dos les puces et autres vermines pour les tuer devant les convives ! Cracher « par devant soi » est recommandé, ce qui permet de rejeter les humeurs malsaines !
Mais à regarder tout cela aujourd’hui, il nous faut faire preuve d’indulgence (et de compréhension). C’est certain, cette crasse individuelle et collective nuit grandement à l’environnement en développant un « air infectieux ». Tous ces habitants aux corps mal lavés sur lesquels sont « collées des guenilles » crasseuses et usagées, entassés dans des taudis insalubres sans air, sans eau subissent les conditions de vie de ces époques. Ouvrir les fenêtres donnant sur la rue (ce qui est pratiquement impossible au rez-de-chaussée) n’est permis qu’en se pinçant le nez (et c’est pire l’été), tant l’odeur est suffocante, de plus au troisième étage, le vis-à-vis de la maison d’en face se trouve à un mètre cinquante, quand la rue fait entre trois et cinq mètres de largeur ! Ce resserrement accentue encore les vapeurs et fumées montant des chaudières et autres cuves malodorantes, des fours (sans conduit jusqu’au toit). La promiscuité des appartements est ainsi encore augmentée par le voisinage. Le moindre réduit est habité, les galetas jusque dans les combles sont occupés. On note même des élevages d’animaux dans les étages ! Le bruit est permanent, venant de partout, l’isolation phonique n’existant pas, ce sont les disputes, les cris des enfants (et des adultes) les allées et venues dans les étroits escaliers, les injures, (et pourquoi pas les chants) les cris de douleur et d’agonie des grands malades, tout cela ajouté aux bruits divers montant de la rue : les boutiquiers derrière leurs bancs, vantant leurs marchandises, les insultes des passants stoppés sans cesse dans leur progression, les culs-de-jatte et autres infirmes maudissant leur état et leur sébile vide, les cris des animaux, ânes, moutons, porcs, chiens etc. les gens du guet invectivant les contrevenants. Pour peu qu’un illuminé perché sur le perron de la tour menant au château harangue la foule à condamner au bûcher quelque malheureuse sorcière et le tableau descriptif de l’ambiance du Moyen Age est en place !
J’ai parlé d’indulgence, j’y reviens. Pour se laver (et pour laver), il faut de l’eau ! Il est attesté que dans les beaux « hostels » comme celui du Pirou (dit château) et chez les grands bourgeois, on trouvait des baquets d’étuve et un savon fait à base de cendres et de suif, des pâtes pour les dents faites de corail en poudre et d’os de seiche, pour compléter ce confort, on trouve, dans ces immeubles, écurie, chambre individuelle et surtout puits. Cette eau toujours précieuse, on la trouve dans les fontaines publiques, dans quelques réserves alimentées par les ruisselets (qui se transforment en torrents lors des orages) et bien sûr, dans la Durolle. Aller la quérir au fond de la vallée ou au Moutier n’est pas aisé. Lors des grandes gelées, tout est encore plus compliqué, outre le fait que le transport depuis le bas est carrément dangereux, il faut prévoir des bras autour des fontaines posées au sol, pour briser la glace jour et nuit (pour éviter l’éclatement des parois). C’est à la ville qu’incombe cette charge.
Quelques mots sur le quartier de la ville basse : le Moutier. Peut-on dire que tout se résume aux bâtiments de l’abbaye, je ne le pense pas, pourtant, force est de constater que l’on ne trouve pas trace de constructions civiles de l’époque de la construction du monastère. Je ne parle pas des XIIe ou XIIe siècles, mais de l’époque gothique, ce qui m’aurait contenté ! Autour des bâtiments religieux (comportant un moulin), sûrement de pauvres maisons faites de torchis, aux toitures de chaume et de bois, en bordure des marais environnants (terrains où a été très vite organisée la grande foire dite « du pré ») que les moines se chargeront d’assécher pour des cultures diverses. Et pour ‘’monter’’ à Thiers me direz-vous ? Eh bien ! On utilise le Pont du Navire, dit parfois romain, pourquoi pas ? Ce qui est certain, c’est qu’il a dû être reconstruit moult fois avant d’arriver jusqu’à nous. De ce côté de la rive, on peut voir, encore de nos jours, quelques maisons modestes très anciennes, construites à pans et croisillons de bois, datant probablement des XVIe et XVIIe siècles. C’est à partir de là que commence l’ascension vers la ville haute par la rue Rouget de l’Isle que les Thiernois connaissent par l’appellation de « pavé ». Ce mot, encore usité, rappelle peut-être que cette rue, qui a été une artère principale pour les voyageurs se rendant à Lyon, a été une des premières à être pavée (appellation courante en France), car, pour les chevaux attelés et les cochers, ce devait être un enfer, tant la pente était rude et la boue l’ennemie. La montée continuait par la rue Gambetta, puis la rue de la coutellerie, (la grande Charrière), à partir de la place du Pirou on soufflait un peu avant d’entamer la descente, tout en entravant les roues et calmant les bêtes. La Durolle traversée, vu ce qui attendait les équipages, on peut dire que les efforts déjà démesurés qu’ils avaient dû faire depuis le Moutier n’étaient qu’un échauffement par rapport à la l’escalade de la Paillette qu’ils allaient devoir subir ! A la fin du XVIIe siècle, et aux siècles suivants, on raconte que les passagers devaient descendre des voitures et pousser pour venir en aide aux bêtes !
C’est dans son ensemble que la vie est difficile au Moyen-Âge, je n’ai pas abordé les conséquences désastreuses des guerres de l’histoire, la guerre de 100 ans (entre autres) qui bouleverse la vie dans une grande partie du royaume, les exodes qui en résultent, l’afflux de populations encore plus démunies, les remparts qu’il faut construire, agrandir ou remettre en état, ces travaux seront souvent confiés à tous ces réfugiés, à des exilés. Ce surplus d’habitants misérables, pour la plupart édentés, (même s’il y avait moins de caries qu’à notre époque), sans cesse malades, encore plus confrontés à l’insalubrité de leurs lieux de vie et aux déficits d’hygiène publique contribue encore à la dégradation de la santé de la population où, il faut bien le répéter, les pratiques domestiques sont (pour le moins) sommaires. Pour parer au plus pressé, faute d’égouts, on se débarrasse des déchets : produit des saignées, viscères, abats d’animaux etc. dans des margouillats, des cloaques à ciel ouvert où croupissent les eaux usées (dans les quartiers habités), comme on jette tout (absolument tout) par-dessus les murailles ou dans la rivière. Sans retraits (cabinets), les matières fécales et les immondices s’accumulent, ce qui provoque des foyers de bactéries nocives, « lascher ses eaues » dans les passages, sous les cochères sous les « peddes » et autres « traboules » et sous la halle est courant (les édifices religieux ne sont pas épargnés). À ce sujet, on peut encore voir en place, dans la ville, des « garde-pisse », dans les angles morts des immeubles, au Rempart, contre l’église Saint Genès, et ailleurs, toujours très utiles, installés vers 1900 ! Les matières organiques que libèrent quotidiennement l’homme et l’animal sont les grands pourvoyeurs de ces rigoles qui se transforment rapidement en « merderons » (merdansson à Billom). Pour mémoire et selon une moyenne, dans l’hypothèse où la ville de Thiers comportait vers 1 45O environ 4 000 âmes, ce sont 201 tonnes de matières solides et un million deux cents mille litres d’urine par an qui s’écoulent à ciel ouvert, sans parler de tout le reste ! C’est vertigineux, on a du mal à imaginer la situation à Billom, qui est la quatrième ville universitaire du Royaume, avec ses 2 000 étudiants, qui augmentent en permanence la population. Thiers, avec son implantation à très forte déclivité, bénéficie d’une évacuation rapide, malgré les courbes sinueuses qui retiennent la saleté. Les rats fréquentant la fange favorisent la propagation des pandémies meurtrières, notamment de la peste (jusqu’au XVIIe siècle à Thiers), sans parler du choléra, de la poliomyélite etc. Il faudrait aussi parler des cimetières (place du Palais), mal entretenus, où les chiens sévissent.
Condamné par l’espace qui m’est imparti pour cette rubrique, je ne peux parler des améliorations qu’apporta le progrès dans les domaines de l’hygiène et de la voirie, mais c’est promis, j’y reviendrai.
Qu’est-ce que c’est bien de vivre à Thiers au XXIe siècle !
Jean Paul Gouttefangeas