Visite de THIERS en 2095
Il s’agit bien sûr d’une visite fiction faite en rêve de notre bonne ville de Thiers. Je me suis mis en tête de la visiter une fois encore. C’est un voyage dans le temps avec tous les changements que nous apporteront les temps nouveaux, ceux du futur, tels que je les imagine.
Je dois dire que je jouis de moins de libertés qu’aujourd’hui, déjà il faut que je surveille l’heure car le couvre-feu en vigueur depuis 40 ans m’oblige à rentrer avant 22 heures sous peine de sanctions graves. J’ai commencé par la rue de la coutellerie, bien transformée depuis qu’une partie de la place St-Genès s’est effondrée, entraînant dans sa chute les bâtiments qui la bordaient à l’ouest, notamment un très vieux bâtiment dit de la Caisse d’Epargne. Une légende raconte qu’il y avait eu des maisons encore plus vieilles qui bordaient cette rue et qui s’étaient déjà effondrées, emportant à jamais des boiseries aux sculptures grivoises venues du Moyen-Âge, Dieu seul sait ce qu’elles sont devenues. Un peu plus loin des immeubles avaient été rebâtis dans un espace resté béant après un autre effondrement, ces constructions nouvelles étaient un sujet de discorde, depuis des années mené par les propriétaires perchés au-dessus, c’est-à-dire rue du Palais et dont les jardins, ainsi suspendus, avaient bénéficié d’une ouverture sur la chaîne des Puys depuis 50 ans, les toitures reconstruites des nouveaux immeubles cachant à nouveau la vue (d’où la source de la "brouillerie"). Toujours dans cette rue, un rompe cul nommé Petite rue du Palais menait aux grands emmarchements de l’église supprimés depuis longtemps au profit d’une entrée latérale prise sur l’ancien cimetière, lui-même supprimé depuis belle lurette. Un grand bâtiment qui servait autrefois de Palais de Justice est devenu un centre de communications entièrement géré par l’I.A. sans aucun personnel humain. L’église en face réunit tous les cultes à tour de rôle dans la semaine, à l’arrière un jardin-cloître abondamment arboré et fleuri a été reconstruit, lieu très prisé depuis que les chiens ne sont plus admis, d’ailleurs tout chien errant est abattu sur le champ par les gardes civils.
Aucune voiture ne stationne sur ce qui a été longtemps un parking, depuis que l’accès de la ville est réservé aux seuls véhicules de résidents possédant un garage (pas de garage, pas de voiture en centre-ville).
Un curieux véhicule à crémaillère sillonne les rues depuis le Moutier, transportant ses passagers dans tous les quartiers. J’ai été de ceux-ci pour me rendre à l’auditorium qui n’était autre autrefois que l’église St Jean, consolidée dans ses soubassements depuis que l’ancien cimetière qui la jouxtait avait glissé dans la gorge de la rivière. Après des travaux gigantesques, un immense terre-plein a été aménagé pour les véhicules des spectateurs se rendant aux concerts. Nouvelle esplanade, donc, desservie par une route montant de la vallée. Les soirs de spectacle, les ascenseurs fonctionnent à plein régime entre le parking et la salle.
Plus haut j’ai remonté la vallée dont le relief de l’ancienne route a bien changé car surélevé. Tout ce qui était vieilles usines ruinées, bâtiments encaissés a été détruit une partie de la rivière a été enfouie en souterrain pour ressortir en importante cascade au niveau du Centre d’art contemporain, ce qui donne un spectacle superbe et étonnant. L’avenue Pierre Guérin, bordée de chaque côté de cerisiers en berceau au-dessus de la chaussée est une vision féérique au moment de la floraison. On vient de toute la région pour admirer ce prodige. L’ancien marché couvert surélevé et transformé depuis des décennies en centre de réception accueille les drones réservés aux affaires de santé des habitants : transport de documents, résultats d’analyses et de médicaments urgents, sang etc (songez, ils volent à 150 kms. heure). Cet espace devenu vital au cours des décennies est très fréquenté de tous les Thiernois. C’est aussi dans ce centre ville que les festivals de musique de rue battent leur plein. La place A. Chastel, transformée en amphithéâtre abrite dans ses sous-sols un centre d’apprentissage et de perfectionnement des techniques internet pour les personnes ne maîtrisant pas ces manipulations. Même si en cette fin de siècle des progrès considérables ont été faits, il ne faut pas oublier que, durant des années, un grand nombre de personnes a beaucoup souffert de ne pas connaître ces pratiques, alors que le monde autour d’elles les augmentait à une vitesse fulgurante, sans tenir compte de leur incompétence due souvent à l’âge.
Rue Terrasse, un grand restaurant : ‘’La rotonde’’ (dans la tradition du lieu) et dans les étages, une école formant aux métiers de santé. À la suite, ‘’le Rempart’’ dont le mur de soutènement avait été doublé à quelques mètres et comblé de terre, ce qui avait permis à une imposante alignée de grands palmiers de faire de cette promenade un lieu des plus prisés où l’on pouvait contempler les volcans, et le soir, d’admirables couchers de soleil.
Malgré la grande crainte (légendaire) des années 2030, le mur de soutènement bordant la ‘’Rue Haute’’, n’avait jamais cédé sous la pression des constructions de l’ancien couvent devenu par la suite la Maison des Associations, avec son élévation de six étages (la plus haute de la ville pour ce qui est des immeubles anciens). Il faut dire que des moyens spectaculaires avaient été mis en place pour parer à cette éventualité. Des contreforts en arcs boutants avaient été installés (sous lesquels la rue continuait). Pour ce faire, les maisons en pointe du bas de la rue avaient disparu. Ce même procédé avait d’ailleurs été choisi sous les murs du ‘’rempart’’ et en d’autres endroits tant la ville depuis toujours avait tendance à ‘’glisser’’ vers la plaine. Vus du bas depuis Pont de Dore, bien avant le Moutier, ces contreforts donnaient une vision à laquelle on s’était habitué, étant devenus une vision de Thiers unique et caractéristique, voire attrayante.
Avenue des Etats-Unis, le quartier des Capucins s’est aussi transformé, tout l’ensemble formant la Sous-Préfecture et les jardins en dessous a été à nouveau réuni, (la Sous-Préfecture n’existant plus depuis plus de 30 ans) l’ensemble des bâtiments étant devenu un centre de recherche concernant l’eau potable et de géothermie pour chauffer l’ensemble de la ville. À cela s’est ajouté depuis une vingtaine d’années le traitement des déchets ménagers, sujet qui devient très préoccupant.
Aux abords, ce qui était, il y a fort longtemps la place du foirail, là où il y avait des rangées de barres métalliques où l’on attachait les bestiaux avait cédé la place à un immense bâtiment à l’architecture futuriste, débordant sur la placette dite de la poudrière, préfigurant les lignes du siècle prochain, complexe entièrement dédié à la coutellerie. Il faut dire que la ville est la capitale mondiale de la coutellerie. Son renom grandissant sans cesse, outre les milliers de touristes qui envahissent les rues, les professionnels et les délégations étrangères qui affluent pour rencontrer tous ceux et tout ce qui touche au couteau. Le musée installé aux abords de l’église St-Symphorien dans un bâtiment de verre et d’acier est un des fleurons de la ville. C’est aussi dans ce quartier que se tient depuis un siècle le grand salon de la coutellerie mondialement connu, reconnu et apprécié. Rien d’étonnant quand on sait que se déroule en ces lieux depuis l’an mille une foire très populaire dont le créateur serait (car on a oublié la vérité) un moine nommé Dupré !
L’avenue Léo Lagrange desservant des stades et équipements sportifs des deux côtés a été définitivement débarrassée de tous ses poteaux et fils électriques (maintenant enfouis) et de tous panneaux publicitaires, ils se trouvent maintenant alignés sur une autre avenue parallèle au sud, réservée en zone commerciale et autres magasins de grande surface en tous genres, notamment alimentation et vêtements hommes-femmes, la différence de s’habiller n’existant plus de nos jours, la mode pour les femmes ayant rejoint celle des hommes (comme quoi ils ont encore une certaine influence !) Ces enseignes ont été remplacées par une alignée sans fin de cyprès de Florence, maintenant immenses, avec un terre-plein central de mimosas, véritable festival méditerranéen, notre région étant devenue de plus en plus chaude. Parsemées au milieu de cette végétation, ont été installées des œuvres rescapées et restaurées datant du fameux symposium de sculptures monumentales de la fin du XXème siècle.
L’entrée de la ville a ainsi retrouvé une grandeur digne du spectacle qu’elle offre et qu’elle mérite, à savoir une vision de maisons en cascades sur les flancs d’une douce montagne.
Dés le pont franchi sur la Dore, en venant de Clermont, on aperçoit sur l’île de l’étang du Chambon l’imposante sculpture de l’artiste Denis Oppenheim, pour arriver au rond-point routier qui avait été transformé depuis longtemps en double rond-point, étant donné le trafic de plus en plus dense. il est orné en son centre d’un immense groupe sculpté en bronze et pierre représentant des couteliers et forgerons s’appliquant à leur ouvrage. Juste reconnaissance envers ceux qui ont fait la renommée de Thiers depuis plus de six siècles. Tout ce quartier a connu durant ce siècle une profonde mutation. Un complexe très important a vu le jour, dédié à la restauration et à la pratique de la langue française, largement délaissée de nos jours. En effet, depuis un siècle, un grand nombre d’usagers n’écrivent plus sur leurs appareils de communication que par des abréviations plus ou moins approximatives, abandonnant ainsi toute construction de phrases. Les pouvoirs publics se rendant compte de l’appauvrissement vertigineux de la langue ont mis à la disposition du public et ce, de façon gratuite, un apprentissage obligatoire. De plus, le vocabulaire s’étant réduit comme peau de chagrin, les mots manquent pour une bonne compréhension entre les individus, tant dans le parler que dans l’écrit, d’où souvent une incompréhension entre les individus. Les tics verbaux, par leur répétition outrancière ont envahi les phrases, les rendant insupportables jusqu’au grotesque.
Par ailleurs, route de Courpière un village a été construit, il accueille (c’est obligatoire dans toutes les villes) des familles déplacées, venues de pays en guerre. Ce phénomène s’est accentué, les méthodes de guerre ayant évolué, puisque maintenant les bombardements visent en premier les zones urbaines et en particulier les écoles et hôpitaux, souvent devenus des centres de logistique militaire dans leurs sous-sols.
Je crois que la visite de la ville était surtout un prétexte à me projeter dans un temps pas si lointain de nous, j’aurais aussi pu aborder un tas d’autres sujets qui seront préoccupants pour les générations futures mais il y a tant de choses que j’ignore sur ce que sera le XXIIème siècle que j’attends la suite, en essayant de jouir de la vie car il est peut-être beaucoup plus tard que nous le pensons !
Jean -Paul Gouttefangeas
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Crédit photo : Jean-Luc Gironde.