Une promenade : salut Thiers

Je pensais salutaire, j’ai écrit salut Thiers, parfois les choses se font d’elles-mêmes, sachant que le hasard n’existe pas. Mais c’est bien d’une promenade salutaire que j’ai envie de vous parler. En quoi me direz-vous ? Mais parce que, contraint et privé d’une certaine liberté durant bien longtemps, je me suis plu et me suis fait plaisir à arpenter des lieux et des rues de notre cité. En cela, je me suis soigné, je me suis fait du bien (Hé ! il n’y a pas de mal à ça). Même le soleil était de la partie et c’est tellement important, cette association liberté et lumière, elle remet les êtres en marche dans leurs habitudes, dans leur comportement et leurs rapports avec les autres en les éloignant du risque de la tristesse. C’était jour de marché sur la place de la mairie (ancienne place des Barres), cette animation, même si elle est encore modeste, donne une image de vie, comme un désir de retrouver ses commerçants habituels, de choisir sa viande sur les étals, son fromage, ses fruits, ses légumes et le reste. La couleur des barnums les fourgons aménagés, alignés, les simples bancs garnis de « pates » (tissus et vêtements) font tout l’attrait d’un marché de plein air. Et puis ces petits vendeurs et vendeuses, venus des fermes des alentours proposant leurs produits : œufs, lait, petits légumes fraîchement cueillis, un bouquet de fleurs de chez nous et autres fruits de saison sont le lien oh ! combien important entre la campagne environnante et les habitants du centre ville. Que perdurent longtemps encore ces pratiques des marchés éphémères ! Ils sont synonymes du plaisir du contact humain, d’ailleurs le commerçant en général n’est-il pas passeur, échangeur, informateur et rapporteur des nouvelles locales ? Ma ‘’guérison’’ ne s’est pas cantonnée à parcourir l’espace du marché de plein air, même si le spectacle de la nature ici est omniprésent : cette montagne verte (premier contrefort du Forez) en face, douce et mamelonnée à souhait, descendant sans trop grande violence jusqu’à la crevasse « durollienne » avec ça et là des maisons et des villages agrippés comme des nids d’humains. Qu’elle est belle cette vision entre le bleu du ciel, le vert des arbres et des résineux hérissant les crêtes et qui passe aussi par le désir des hommes de s’agiter, de travailler, en un mot de vivre dans ce qu’ils ont bâti au cours des siècles ! Me revient à l’esprit cette anecdote arrivée il y a quelques années au bar « Le Central ». Venu prendre mon café du matin, j’ai rencontré, assise dans la salle, Isabelle Aubret, alors, sans faire cas de sa célébrité de chanteuse, je luis glissai : « Mon Dieu que la Montagne est belle » en lui désignant la beauté de la Margeride. Elle acquiesça me disant : « vous avez raison ». En m’approchant de la rambarde qui domine les toits couverts de tuiles romanes (merci au contrôle de la protection des sites), je voyais par le dessus l’école dont la toiture semble divisée en son milieu par une sorte de transept conduisant à la médiathèque toute proche. Ancien bâtiment religieux édifié au XVIIIème siècle, par les Ursulines, ancienne mairie désaffectée sous le mandat du maire René Barnérias (1971-77), agrandi par la volonté d’un autre maire par l’amarrage d’une sorte de vaisseau qui n’est pas sans rappeler par ses matériaux le Nautilus du capitaine Nemo et qui, somme toute, restera comme une réalisation de son époque : nouvelle, moderne, certes décriée au début, que voulez-vous, on accepte souvent difficilement ce qui est nouveau, mais souvenez-vous : la pyramide du Louvre, l’électricité, le centre Beaubourg, le chemin de fer, les colonnes de Buren (enfin toutes proportions gardées !).

A nouveau installé à la terrasse d’un bar de la place, j’y ai vu un grand nombre d’habitués, ceux « d’avant » revenus après une aussi longue absence, j’ai savouré ces retrouvailles, ces têtes dont je ne sais souvent rien mais qui me revenaient, parmi ces clients, plusieurs sont du nombre de mes amis, les cafés se succédant, tous ces gens qui avaient envie de parler, d’échanger sur cette année passée que l’on peut dire entre parenthèse, je crois que je les aimais (mais le mot est peut-être excessif) parce qu’ils étaient autour de leur table et toutes ces tables étaient autour de moi ! Je me suis contenté de ces échanges qui sont souvent superficiels et bien loin des propos d’un café littéraire, pour autant, ils ne relevaient pas non plus de ce que l’on pourrait appeler une philosophie de comptoir, celle débitée dans les « cafés du commerce », mais il faut de tout pour reconstruire notre monde et cette douceur pacifique y participe aussi. Qu’il fleure bon ce déconfinement rythmé sur cette place A. Chastel par les coups répétés de ce forgeron de métal qui fait le « Jacques » toutes les heures !

J’ai continué ma balade, encouragé par cette victoire sur la mélancolie, j’ai flâné, mes pas m’ont porté jusqu’au « Rempart ». J’envie les riverains qui bénéficient de cette vue, cette maison à fronton triangulaire si classique avec son balcon, flanquée de part et d’autre de deux ailes autrefois de même hauteur, mais celle de gauche fut surélevée, on devine encore une petite différence de couleur dans les pierres d’angle. Ces immeubles furent bâtis au XIXème siècle après la construction de la route Nationale (1801), pour ce faire, on dut remblayer jusqu’au niveau que l’on connaît maintenant. Un immeuble échappa à la destruction, celui du regretté Bruno Tournilhac qui se situait à la suite, à côté du jardin suspendu voisin. La maison fut vendue il y a une quarantaine d’années avec le projet de démolition puis de construction d’une banque, ce qui finalement n’aboutit pas. Pour revenir au jardin attenant à la belle maison « Fournet, radiologue », on peut voir depuis la route un bel arbre, genre de cornouiller (à vérifier) qui, bien que fort endommagé par la tempête de 2000, prospère encore après avoir été rapporté des Indes au XIXème siècle. par le propriétaire d’alors.

Ce « Rempart », cette extraordinaire fenêtre, restera sûrement toujours ouverte sur le spectacle des chaînes de montagne. Rien ne viendra jamais gâcher ni la vue ni la beauté de cette grandeur naturelle agrémentée, là aussi, de témoignages de vie, villages, constructions, routes, voie romaine qui parsèment la plaine avant d’atteindre la capitale auvergnate et aussi Riom, qui fut un temps sa rivale. On devine plus qu’on ne voit Issoire, Billom, les châteaux de Mauzun, Tournoël. Au premier plan, la toiture blessée à mort du « Palace », avec son entrée malgré tout encore solennelle aux deux piles flanquées de masques, peut-être la Comédie et la Tragédie : allez savoir ? Là-bas, Sainte Marguerite, Cizolles, les Molles, le manoir de Franc-séjour et puis l’Ecole Nationale professionnelle. C’est une belle partition qui se joue devant les yeux, mise en musique par les bruits de la ville basse, depuis cet endroit si prisé et si connu des Thiernois : les montagnes douces que nous voyons en fermant un peu les paupières, au couchant, le grand espace des Limagnes, toute la beauté tranquille de notre région : des airs de chez nous. D’aucuns me trouveront un peu chauvin, mais que voulez-vous, je suis né dans ce pays !

J’ai progressé encore par les rues, envahi comme par une envie de « reprendre la mer », d’aborder des rivages certes connus, mais qui m’avaient manqué durant de longs mois de navigation contrariée, hors du cercle des amis proches. Comme nous tous, je m’apprête à vivre un temps de renaissance après avoir (à cause de ce satané virus) subi les outrages et les conséquences de mots que l’on croyait bannis à jamais comme couvre-feu, laisser passer, sauf-conduit et autres mots à tiret par lesquels on n’est vraiment pas attiré !
Je souhaite à tous les lecteurs une vraie balade salutaire qui pourrait débuter par un « salut Thiers ».

Jean Paul Gouttefangeas