Une histoire d’escargot (à Thiers)

Son quartier de prédilection c’était surtout les bords de la Durolle et en particulier les alentours de l’ancienne usine de la Croix-Mary. Là, c’était la fraîcheur et l’humidité, deux éléments qu’il affectionnait particulièrement. Il était né dans ce coin mais ses origines étaient bourguignonnes mais difficile de savoir exactement, on compte 80 000 espèces au milieu de 200 000 mollusques répertoriés, (il y a même des poilus mais pas chez nous !) 500 rien qu’en France ! On a même repéré l’hélicelle des steppes à la sortie de Thiers en direction de Puy Guillaume et une autre (cousine) dite des Balkans sur le pont enjambant l’autoroute au niveau d’Orléat. D’après les spécialistes ces tout petits gastéropodes à coquille voyageraient sur les camions transportant des légumes.

Celui de Thiers dont je parle était de belle taille, belle coquille, beau pied, (d’ailleurs on ne peut voir que ces deux composantes) avouez que cette coquille est belle, il faut y voir une spirale logarithmique ou spirale d’or ou harmonie divine (rien que ça !).Il trouvait dans ces lieux la nourriture qui lui convenait, il était omnivore, zoophage et souvent phytophage, il ajoutait même du calcium qui lui servait à entretenir sa coquille, ce qui était vital à son existence. C’était sa maison qu’il portait sur son dos bien sûr et à l’intérieur tout était réuni : organes internes, poste de commandement, intestins etc. Il s’estimait heureux de cet habitacle où il pouvait pénétrer entièrement, ce qui n’est pas le cas pour certains congénères moins bien lotis qui n’y trouvent pas
suffisamment d’espace : les semilimax et les semi-limaces. Pourtant deux ou trois choses lui manquaient : la laitue, les choux, les tomates et quelques autres friandises. Il y avait bien un jardin juste à côté, celui de la maison qu’habite un ancien maire de la ville mais tellement en hauteur et un autre au bord de la rivière attenant à une autre maison autrefois aussi habitée par un autre maire mais il fallait traverser la route et tous les escargots connaissent ce péril redoutable et si dangereux, (songez, six centimètres à la minute !) Donc il se contentait de ce qu’il avait, de plus il possède des neurones géants (ça aide !) En été quand le sol devenait trop chaud il grimpait en haut des grandes herbes ou après les murs de la vieille usine. La température idéale pour lui tournait autour de 20°, en se ménageant un peu, en cherchant l’ombre et la rosée du matin, en se délectant de la pluie, il pouvait espérer vivre cinq bonnes années, bien sûr c’est moins long que pour ses congénères entretenus par des héliciculteurs, ceux-la ont une espérance de vie de 10 à 15 ans, mais vivre en escargotière n’était pas sa tasse de thé. De plus il était à l’abri des conséquences terribles occasionnées par les pesticides, il savait que dans les champs cultivés il n’y a plus d’escargots. Et puis la nature l’avait gâté, en cas de manque d’humidité pour éviter la déshydratation, il pouvait se rétracter à l’intérieur de sa coquille dont il obturait l’entrée par une matière blanche bourrée de calcaire, sorte de voile muqueux, ce procédé lui servait aussi dès l’approche de l’hiver avant de s’enterrer sous dix centimètres de terre où il pouvait rester de trois à six mois. À propos de la coquille hélicoïdale, il est amusant de remarquer que la belle spirale qui la dessine part souvent dans le sens des aiguilles d’une montre, mis à part quelques excentriques qui la font partir à gauche (lévogyre) dont le Jeremy (mais c’est normal, il vit en Angleterre !) N’allez pas pour autant penser qu’ils sont légion (un individu sur un million !) ces non-conventionnels, puisque le dernier Jeremy trouvé dans un parc Londonien est mort il y a une dizaine d’années. Ce n’est qu’après de vains appels et recherches de ‘’cagouilles spéciales’’ tournant à gauche dans toute l’Europe que l’on trouva deux de ces ‘’oiseaux rares’’. On essaya en vain sous haute surveillance cet accouplement : que nenni, le résultat ne donna que 170 sujets ‘’normaux’’, de Jeremy, aucun. Enfin, avec une persévérance hors du commun et des boute en train hors pair, après moult tentatives et essais successifs le miracle se produisit, quelques mois plus tard 56 descendants tournant à gauche sont nés. Vous me direz avec ces mollusques il faut s’attendre à tout, il y a même des poilus : Trichia Hispida, Helicodonta etc.

Pour revenir à notre escargot local, il y a quelques temps il avait procréé, possédant une glande sécrétant des hormones et un ‘’dard d’amour’, il en avait usé puis déposé ses œufs en terre et attendait l’éclosion qui devrait se produire au bout de quatre semaines (mais pour ce qui est de la vie sexuelle des escargots qui sont hermaphrodites, nous y reviendrons peut-être lors d’un autre chapitre !)

Une envie l’avait pris, il ne pouvait plus lui résister : il voulait monter au Puy Seigneur sur le rocher de St Roch, là où fut bâtie, au XVIIème siècle, la chapelle St-Roch construite par le sieur Bodiment, d’une famille de papetiers, bienfaitrice de la ville qui, par son vœu de 1630 conjura l’extension de la peste, sauvant ainsi la population du fléau. Escalader cette montagne n’était pas une petite affaire pour la bestiole. L’escargot, avec ses yeux au bout des cornes ne voit pratiquement rien, ses tentacules sont malgré tout rétractiles, ce qui lui épargne bien des chocs. En plus, il est complètement sourd. C’est en dessous de ces yeux que tout se joue : deux autres tentacules, plus petites, qui sont en fait des organes olfactifs et également tactiles et qui lui permettent de se diriger.

C‘était le voyage de tous les dangers qu’il estimait à une durée de trois ans et demi. Le jour dit, il s’élança (façon de parler !) Il passa sous le pont dit de St-Roch, ainsi il n’avait pas la route de la Vidalie à traverser et aborda la falaise parfois abrupte. Cet exercice ne présentait pas pour lui de difficulté particulière, en effet il sécrète un mucus épais, la bave, qui peut durcir ou sécher au contact de l’air et en fonction des besoins, on voit bien la trace luisante qu’il laisse après son passage. Il glisse sur les obstacles sans aucune crainte des épines. Son ‘’pied’’ est un gigantesque muscle qu’il contracte ou allonge alternativement rejoignant ainsi le principe de reptation qu’utilisent les serpents. Il peut ainsi se fixer aux parois les plus verticales (et même en surplomb). La seule restriction, il ne peut pas reculer. En chemin il s’alimentait en fonction de ses trouvailles et des saisons grâce aux possibilités exceptionnelles de sa langue, je devrais dire sa râpe puisqu’elle est équipée de 2000 dents !

Il se méfiait des hérissons, des rongeurs et des oiseaux, certains sont voraces comme les pies, les geais, les corbeaux, mais il savait aussi que le milan des marais (qui se nourrit exclusivement d’escargots) ne vit qu’en Amérique du Sud et aux Caraïbes, donc pas de danger de sa part. Il en est de même d’un autre terrible prédateur se nourrissant aussi d’escargots dits ‘’Satsuma’’, un serpent très spécial qui ne vit qu’au Japon. Pourquoi spécial : parce que sa mâchoire est asymétrique, elle comporte plus de dents à droite qu’à gauche ! Ainsi, il attaque toujours ses proies par la droite (destre) de la coquille, pénétrant ainsi plus profondément dans l’habitacle pour saisir la chair. Ah la nature !

Bon an mal an il progressait, il eut bien en chemin quelques accidents de coquille mais il répara, sa boite à outil c’était la calcite, sorte de calcaire pur qu’il trouvait en chemin et qu’il appliquait sur les blessures. Il n’avait pas trouvé de sel sur son chemin et s’estimait heureux (c’était pour lui un élément mortel) comme il n’avait pas trouvé non plus ni ail ni persil et encore moins de beurre, mais là c’est plus rare, il prenait cette association des trois pour une ‘’farce’’ !

Enfin, après des mois d’efforts, il parvint au sommet de la colline mais il en avait bavé ! Il faut reconnaître que si pour certains, il symbolise la lenteur et la paresse, ce qui ressort de cet exploit c’est surtout la persévérance et la patience.

Là-haut, il se reposa quelques jours contre le mur de la chapelle, recroquevillé. Il déclencha un grand ralentissement, autrement dit une ‘’opération escargot’’ ! Il respirait enfin après l’immense effort par son orifice adéquat situé (curieusement) près de l’anus !

Il considérait cette ascension comme un pèlerinage, aussi voulait-il le parfaire en montant jusqu’au toit et au-delà, jusqu’au sommet de la croix. Il attaqua la face ouest de la chapelle, glissant sur les vitres de la fenêtre. Etonnamment en touchant les vitres, le bord de la coquille laissait percevoir un petit bruit comparable à celui que fait un baiser ou comme si la coquille devenait un archet en produisant un son ressemblant à celui d’un violon. D’aucuns ont pu remarquer aux abords des escargotières que l’on entend des sons semblables à celui de la flûte quand les pensionnaires reçoivent leur nourriture. Plus tristement, ce sont des lamentations d’agonie que l’on entend quand on jette les escargots dans la casserole d’eau bouillante !

Arrivé à la cime, il ne se sentait plus de joie, il grimpa tout en haut de la croix et enfin dans un sursaut démesuré escalada le coq pour parvenir à sa caroncule (crête), il en bavait de plaisir, c’était l’extase. Voulant aller encore plus haut, sûrement par orgueil, victime de son ego, (ça existe aussi chez les escargots ! Ebloui de lumière, il se planta sur son pied mais sa surface d’appui réduite et trop peu musquée il lâcha prise, son pied glissa et ce fut la terrible chute. Quittant le toit il rebondit sur le sol en pente et commença une dégringolade irréversible de rochers en rochers. Dans un élan fatal il passa par-dessus le pont, heurtant au passage le garde-fou métallique pour finir par rejoindre encore plus bas le quartier où il était né, disloqué et écrasé. C’en était fini, l’escargot était mort.

Jean-Paul Gouttefangeas

Merci à François-Noël Masson pour la superbe photographie qui illustre cette chronique.

D’Alexandre Vialatte :
La science ne cesse de s’enrichir par des mensurations précises.
On a enfin déterminé la vitesse moyenne de l’escargot : elle est de 1,609 mètre à l’heure (parfois même de 1,610).
On voit par là qu’elle est bien inférieure à celle de l’aigle, de la carpe et du Chinois de la Chine du Nord. Mais l’escargot peut également aller moins vite.
En revanche il ne recule jamais. Ce qui l’apparente au chasseur alpin.
(Chronique de l’ineffable - La Montagne – 26 juin 1962)