Une histoire d’Antiquité

Ou comment le Musée du Louvre acquiert des oeuvres retrouvées

Il fut un temps, dans les professions libérales, dans les administrations, chez les hommes politiques et dans bien d’autres catégories, en plus de la spécialité du métier, on rencontrait des gens cultivés, ayant au moins un bagage et de bonnes connaissances en plusieurs domaines. Force est de constater qu’il n’en est pas de même aujourd’hui, tout au moins ce n’est pas légion. D’emblée je m’empresse d’ajouter que ce manque n’est pas généralisé et nous nous en réjouissons, il existe toujours, heureusement, des gens cultivés, voire très cultivés. Il était fréquent (il n’y a pas si longtemps) que les médecins, les avocats pour ne parler que de ces professions, connaissaient le grec, le latin, trouvant le temps de faire des recherches, publiant parfois sur des sujets sans aucun rapport avec leur métier. Les temps ont changé (très rapidement), un médecin aujourd’hui a-t-il le temps de s’occuper d’autre chose que de ses malades ? J’en doute, étant donné la raréfaction des médecins en France, leur entraînant des surcroîts de travail.

Ceux auxquels je fais allusion étaient passionnés aussi par d’autres sujets et souvent, ils l’étaient vraiment. Par mon métier, j’ai fréquenté de ces gens habités par la passion : des amateurs, des chercheurs, des collectionneurs. Leur rencontre a toujours été pour moi un privilège, je les ai parfois vus franchir la porte de ma boutique d’antiquités le coeur dévoré par l’envie. La matérialisation de leur désir, parfois de leur rêve se réalisait par la présence de l’objet convoité. De plus, chez les ‘’mordus’’, le plaisir est renouvelable, à moins de collectionner les tours Eiffel ou les Vénus de Milo ! Il y a de quoi faire car le champ d’investigation est sans limite pour les collectionneurs On peut justement parfois être surpris par les thèmes retenus, pour autant, se pencher sur les objets usuels de cuisine en fer blanc (rares à trouver parce que sans valeur) n’est pas moins louable que jeter son dévolu sur les sièges de la Renaissance. S’intéresser à l’antiquité en général c’est s’intéresser à l’Histoire, à la chronologie des rois et des époques, aux styles et aux influences, à la progression du confort, aux arts, aux guerres, aux fouilles , au temps etc. la liste est sans fin parce que s’intéresser aux objets anciens, c’est non seulement fouiller le passé dans tout ce que l’on peut y découvrir et en faire surgir, en en extrayant les valeurs et les souvenirs artistiques, esthétiques, historiques etc. , mais c’est surtout les conserver et enfin les transmettre. C’est aller à la redécouverte des témoignages, souvent des vestiges, voire des fragments (faute de mieux) et cette démarche peut procurer une indicible joie à celui qui les aime.

Durant près de 40 ans j’ai fait de belles découvertes, j’ai la prétention de dire que j’ai découvert et sorti de l’oubli de très belles choses. Je vous conterai l’histoire de plusieurs de ces trouvailles que j’ai pu extirper de l’oubli.

Aujourd’hui, je m’en tiendrai à un seul objet (lié d’ailleurs à un second). L’histoire que je vais vous narrer se situe en 1979, il y avait à cette époque dans le métier que j’exerçais des ‘’déballages’’ qui se tenaient dans d’immenses halls d’exposition ou en plein air quand ce n’était pas les deux conjointement tant ils étaient importants, mais réservés exclusivement aux professionnels venus du monde entier (il y en a encore, mais pas dans les mêmes proportions). Ainsi plusieurs fois par an, nous étions conviés à ces gigantesques manifestations commerciales dans le but de nous approvisionner. Répandues sur tout le territoire (pour ne parler que de la France), certaines étaient plus renommées que d’autres, par exemple Montpellier, Lyon, Le Mans, Paris la Villette et surtout Chatou. Il faut bien le dire, l’époque était propice, brocantes et antiquités avaient le vent en poupe. C’était un temps ou toute une classe de nos concitoyens avait une maison de campagne qu’il fallait meubler et décorer. Inévitablement, les cambriolages dans de ces maisons souvent isolées étaient fréquents et il fallait remeubler ! Oui, là je suis un peu cynique mais je pense que vous me pardonnerez ! Je ne vais pas aborder ce sujet, parfois dramatique à bien des égards.

Parti de Thiers vers 2 heures du matin j’arrivais ce jour là à la Villette (anciennes halles de Paris) vers 7 h. pour une ouverture à 8 h. Après quelques achats qui entraient dans mes cordes, je me rendais à Chatou vers le milieu de la matinée. Il faut dire que tous ces camions ouverts, ces milliers de marchands s’activant à qui mieux mieux pour vanter leur marchandise, je n’ai pas dit ‘’présenter’’ tant on était loin de cette manière de faire, c’était même exactement le contraire. C’était une masse monstrueuse de marchandises des plus hétéroclites déposées pèle mêle à même la bouillasse (par temps de pluie). Et chacun de chercher, de fouiner, de chiner dans ce dantesque bric-à-brac avec le secret espoir (pourquoi pas) de trouver l’introuvable, de trouver l’erreur du vendeur, de faire un chopin explication : quelque chose de non reconnu. Ce jour pour moi ce fut le cas.

Devant moi, posé sur le sol entre une poussette d’enfant des années 1940 et un prie-Dieu dépaillé de l’époque de Napoléon (troisième du nom) : un buste en marbre de 90 cms. de haut, en parfait état, coiffé pour ce jour de sortie d’un chapeau pointu de carnaval en carton ! Premier choc esthétique (pas pour le couvre-chef). Sans déparer de ses atours le buste aux allures d’empereur romain, je demandais le prix au vendeur. L’affaire fut faite en deux temps trois mouvements. Me voilà parti à ma voiture avec le diable (je parle du véhicule transport) et ma trouvaille ficelée dessus. Inutile de dire que j’étais poursuivi (et là le mot n’est pas trop fort) par une meute d’envieux voulant acquérir la chose. Je ne cédais point, voulant rapporter mon bien en Auvergne, ce que je fis. Une petite description de l’objet, (je vous dois bien ça). Il s’agissait d’un buste en marbre dit ‘’rosso’’ (fait en Italie vers 182O dans des marbres antiques de récupération) et représentant Antinoüs (vous savez, le favori de l’empereur Hadrien). A Thiers c’est un marchand parisien qui en devint propriétaire et qui le céda ensuite depuis sa galerie parisienne au marché américain. Fin de l’histoire.

Je pourrais maintenant vous inventer une fiction sur la suite de l’histoire du buste ornant maintenant la somptueuse villa d’un acteur célèbre à Hollywood ou à Beverly Hills ou coulant de beaux jours au Musée Paul Getty à Malibu etc. etc. Non, j’arrête, je me réserve pour une autre occasion.

Je passe maintenant au plat de consistance. Revenu auprès de mon vendeur pour lui ramener son diable, qui ce jour là ne m’avait tenté en rien, j’engageais une conversation des plus intéressées avec lui (le brocanteur), lui demandant s’il n’avait pas d’autres statues de cet acabit. Dans un premier temps, ce fut non, mais usant de persuasion dans mon interrogatoire, il finit par me dire qu’il lui restait une ‘’bonne femme’’ en pierre, de jardin, mais si abîmée que ça ne valait pas le coup d’en parler, d’ailleurs, me dit-il, je l’ai laissée dans mon dépôt en banlieue.

Et moi, tenace : mais comment elle est faite ? ‘’Elle est destroyed, y a plus de pieds, y’a plus de bras, y a même plus de tête, à la place il y a un trou à la place du cou’’. C’est le détail qu’il fallait me donner. Je savais que dans l’Antiquité, sur les statues en marbre de grande qualité, la tête était parfois rapportée, souvent dans une autre matière, bronze ou marbre de couleur différente. Mon sang ne fit qu’un tour. Voudriez-vous me la montrer ? ‘’ Mais c’est loin’’, j’insistai et obtins le rendez-vous pour le soir même. Le taxi me déposa dans un quartier perdu au milieu d’entrepôts et de hangars miteux. Mon homme était là. Il me fit traverser un assez grand parc de ferrailleur, jusqu’à un hangar dont il ouvrit une des portes coulissantes. Deuxième choc émotionnel de la journée ! Face à moi, couchée sur le dos sur un tas de ferraille, une statue antique en marbre de femme drapée ! Le prix, l’accord, le transport, rien ne traîna.

Description : Victoire ou ‘’Nikê’’ du Ve. siècle avant J.C. , le pendant masculin étant le Kouros. C’est le Siècle de Périclès, la statue se situe à la période de transition entre la sculpture archaïque et la période classique, c’est celle des plus grands sculpteurs, dont Phidias, Athènes alors étant à l’apogée de sa puissance. D’une très belle facture, elle est acéphale (sans tête) de grandeur nature, très finement sculptée, debout et vêtue d’un chiton et d’un long péplos plissés et ‘’transparents’’, retenus par une ceinture, la jambe gauche esquissant un léger mouvement. L’illustre objet semblait m’attendre.

Imaginons ensemble (j’aime bien le rêve, il aide à avancer) un chemin parcouru par notre statue âgée de 2500 ans (je dis notre parce qu’elle appartient à nous tous maintenant), peut être la déesse ornait-elle à Athènes une riche maison, un temple ou une place publique, encore parée de ses attributs personnifiant le succès et présentant la gloire au vainqueur de quelque exploit militaire : une couronne tressée de lauriers. C’était le temps de sa première jeunesse. Puis vint le temps du chaos, les guerres, les invasions, le sac des villes, ce furent alors les voyages, l’exil par la mer et en char à boeufs, une nouvelle gloire peut-être, pour un temps à Rome dans la villa d’un patricien, ornant alors un ‘’patio’’. Même là, les barbares arrivèrent, tout fut détruit et pillé encore. La statue aurait pu servir de soubassement, incluse comme remploi dans un bâtiment, pour réapparaitre des siècles plus tard lors de travaux de démolition.

La fiction du paragraphe précédent s’arrête ici, ce qui va suivre est bien réel. Beaucoup plus tard, reconnue, la statue passa alors dans le commerce de l’art pour aboutir dans la première moitié du XXe. siècle chez un amateur éclairé. En France ,la guerre encore, toute la famille fut déportée dans un ultime voyage dont elle ne revint jamais. L’esthète, sentant venir l’innommable avait pris soin avant de partir d’entreposer tous ses biens dans un garde-meuble. Les années passèrent, comme le paiement d’avance du loyer était épuisé, le gardien commença à vendre les biens de son client (il en avait le droit) pour se payer. Il appela le brocanteur, le priant de débarrasser de sa cour toutes ces ‘’pierres’’. Ensuite, c’est le Louvre qui fut mon client, grâce à la compétence d’un conservateur averti qui décela la qualité de la pièce, le département des acquisitions suivit son avis d’expert.

Lorsque dans notre grand Musée National, vous arpenterez la grande salle des antiques grecs, celle où domine la Victoire de Samothrace, vous chercherez ‘’ma’’ Victoire, vous n’aurez pas de mal à la trouver, vous aurez un avantage sur les autres visiteurs, vous connaîtrez beaucoup mieux son histoire !

Il y a dans l’avant dernier paragraphe qui précède un moment horrible dans mon récit, mais les faits que je rapporte sont un jalon dans l’histoire de cet objet d’art, liés à un véritable amateur, à un vrai connaisseur. Ce dernier a-t-il besoin de réconfort là où il est maintenant ? Si c’est le cas, je souhaite ardemment si c’est possible qu’il le trouve dans le fait de savoir que ce choix qu’il avait fait en choisissant cet antique, sans se tromper sur sa qualité et son époque, au point de l’acquérir et d’en jouir, a contribué à sa sauvegarde. On peut penser que maintenant et à jamais, cette Victoire a retrouvé sa fonction première : être admirée. L’objet d’art est comme un parfum qui séduit et peut être parfois enivre, mais c’est sûrement dans certains cas un parfum d’éternité.

Et c’est ainsi que le musée s’étoffa d’une pièce importante dans ses collections.

Jean-Paul Gouttefangeas

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