Un Noël de chien (comme un conte)
En cette soirée du 24 décembre les invités arrivaient à la maison, ils traversaient le jardin, portant paquets enrubannés, bouteilles et autres boîtes plus ou moins importantes et même un petit vélo d’enfant dont les couleurs brillaient en passant près des ampoules électriques du sapin installé au bas du perron à l’occasion de Noël.
Vector, c’était son nom, était le chien de la maison, sa niche était située sous l’escalier, protégée du froid. C’était sa résidence principale, il ne s’en plaignait pas, fort habitué à cette condition. Il faisait fête à tous ceux qui passaient sans distinction aucune. Certains des invités avaient une attention pour lui, qui une caresse, qui un mot gentil ! D’autres ignoraient complètement l’animal, tout le monde ne peut pas aimer les chiens, il avait quand même du mal à être traité comme un chien ! Pourtant même sans amertume apparente, il n’en pensait pas moins ceux-là, il leur gardait un chien de sa chienne ! Ce soir, c’était apparemment jour de fête, il aurait apprécié un geste à son égard. Souvent quand même il était retourné à sa niche, la queue entre les jambes, le monde est plein de gens ingrats. L’heure de la réception avançant, une espèce de tristesse l’envahit. Par ailleurs, on le faisait rentrer souvent dans la maison car ses maîtres étaient très gentils mais de toute évidence cette douceur lui serait refusée ce soir. Songez, les robes des dames, les pantalons des messieurs, l’excitation des enfants, ça faisait beaucoup d’occasions pour l’éliminer, sans compter les odeurs qui n’allaient pas manquer de s’échapper de la cuisine, à la sortie de chaque plat : foie, rôts et autres senteurs auxquels il était difficile de résister sans leur manifester un certain intérêt. Autant dire tout de suite qu’il n’aurait pas donné sa part aux chiens !
Il sentait bien que la soirée n’allait pas être des plus folichonnes pour lui. Une idée venait de germer dans sa tête de chien : et s’il allait faire un tour dans le village tout proche ? Sitôt dit sitôt fait. Profitant de ce qu’un couple (sans doute un peu distrait), oubliant par inattention de fermer complètement le portail, prestement, il se faufila entre les deux battants, et ni vu ni connu, prit la poudre d’escampette.
Lui qui ne connaissait que les promenades en laisse, savourait pleinement cette grandeur nouvelle de liberté. Il avait conservé le collier mais pas la longe ! Ce petit détail changeait tout. Il pouvait à son aise sentir les bords du chemin, s’arrêter où il voulait, marcher à son rythme et parfois sentir de plus près quelque congénère en aboyant doucettement. Et tous ces poteaux, tous ces arbres plantés un peu partout dont il pouvait humer à son aise les senteurs et se ‘’soulager’’ sans restriction aucune ! Nom d’un chien c’était un vrai délice !
Il trouvait aussi toutes ces décorations très jolies, la nuit était déjà bien noire et les éclairages apportaient une lumière féérique. Il découvrait les goûts des humains plus ou moins bizarres pour ce qui touchait aux décorations de fin d’année. Guirlandes en tous genres, petits sapins plantés un peu partout, curieux bonshommes en robe rouge, certains (sûrement acrobates) grimpaient même aux façades des maisons, petites constructions de bois qui ressemblaient à des niches avec sur le devant de minuscules tas de bûches (comme si l’on pouvait allumer du feu dans ces cabanons !), petites palissades qui ne clôturaient rien d’autre que des lutins, etc. sans parler des champignons aux couleurs improbables, plus gros que des chiens. Néanmoins, tout cela amusait Vector. Ses pattes le portèrent jusqu’au parking du supermarché. Il trouvait drôles les petits trains de chariots avec leur poignée rouge, enfilés à la queue leu leu sur une forêt de petites roulettes sagement tournées dans la même direction. Dans l’un d’entre eux, son regard fut attiré par une petite boîte joliment enveloppée et ceinturée d’un large ruban doré. S’approchant, très vite il détecta une odeur (il était très sensible aux odeurs) qu’il appréciait particulièrement, celle du chocolat. Il n’avait pourtant pas souvent l’occasion d’en manger car ses maîtres avaient (arbitrairement) décrété que c’était mauvais pour sa race ! Mais où étaient-ils allés chercher ça ? Vector ne mit pas longtemps à faire sortir la boîte de sa cage de fer et en trois coups de cuillère à pot, la boîte éventrée laissait choir sur le bitume les précieux palais de chocolat. Ce fut un vrai régal, longtemps après avoir ingurgité le dernier, il s’en léchait encore les babines, au risque d’être malade comme un chien !
La neige s’était mise à tomber, ce qui ne l’empêcha nullement de poursuivre sa promenade. L’église se profilait maintenant devant lui, les vitraux étincelaient. Devant le portail principal, il vit un chien assis, auquel il trouva un air de chien battu, c’était un chien d’aveugle en mission, son maître assistait à la messe de minuit. En s’approchant, il entendit des chants qui résonnaient tout autour où il n’y avait pas un chat. D’ailleurs, à propos des chats, lorsqu’un spécimen s’introduisait chez lui dans le jardin, il le regardait promptement en chien de faïence et ne manquait pas de le courser comme un dératé jusqu’à ce que celui-ci grimpe dans le marronnier, y restant parfois jusqu’au soir. Jamais il n’avait réussi à l’attraper (mais au fait le voulait-il vraiment ? secrètement ne s’entendaient-ils pas comme chien et chat ? ) le jeu en valait quand même la chandelle, cet exercice lui procurait une distraction sportive du meilleur aloi.
Mais pour revenir à l’église, la petite porte sur le côté était restée entrebâillée, il glissa sa truffe et se trouva nez à nez avec l’arrière d’un âne ! Je précise qu’il était en terre cuite, d’ailleurs à côté se trouvait aussi un bœuf ! Le meilleur était à venir. Voilà que des personnages étaient de la partie, un homme et une femme à genoux, sur le côté, coincés entre des moutons, des bergers et derrière, des dignitaires habillés et couronnés comme des rois, les bras chargés de cadeaux. Le plus extraordinaire, c’est qu’au milieu de cette scène, une espèce de berceau, je devrais dire une mangeoire remplie de paille avait été installée et on avait eu l’outrecuidance d’y coucher un merveilleux petit bébé ! Ce dernier n’avait pas l’air de souffrir de sa condition. Les bras ouverts, il semblait sourire à l’assemblée !
Le chien était abasourdi par la vision de cette scène, l’imagination et les pratiques des humains le laissaient pantois, ils devaient se donner un mal de chien pour arriver à ces résultats ! À ce moment, un homme ayant aperçu le chien s’approcha rapidement de la porte et tapant du pied la referma vivement, flairant le danger, Vector, prenant ses pattes à son cou, avait eu le temps de prendre la poudre d’escampette car il savait bien qu’il serait accueilli dans ce lieu comme un chien dans un jeu de quilles !
La neige était maintenant épaisse, il pensa rejoindre son gite. Les cloches se mirent à sonner à toute volée et les fidèles commençaient à sortir. Ses maîtres, qui étaient là, n’allaient pas tarder à rentrer. Comme il ne tenait pas à se faire remarquer, après cette merveilleuse escapade, il comptait bien se faufiler à nouveau entre les jambes des premiers arrivés à la maison, ce qu’il fit sans peine.
Il n’était pas au bout de ses surprises : sitôt le portail franchi (il était le premier arrivé), il fut à nouveau le témoin d’une nouvelle scène absolument inouïe. Au faîte du toit de la maison, un attelage fait d’un traîneau attelé de quatre grands animaux qu’il identifia comme des rennes à grands ‘’branchages’’ sur la tête, stationnait à côté de la cheminée, nullement gêné par la neige maintenant très épaisse. Un bonhomme à grande barbe et bonnet long un peu cassé, vêtu d’un grand manteau tout rouge, qui s’activait, prenant des jouets dans le traîneau et les enfouissait dans sa hotte, entreprit de se glisser dans la cheminée : le plus fort c’est qu’il y parvint ! Quelques minutes plus tard, aussi prestement qu’il y était entré, il ressortit du conduit et s’installa aux rênes des rennes. Dans un gracieux virage aérien, le convoi, en s’envolant, se dirigea vers les maisons voisines, sûrement pour continuer sa distribution de cadeaux.
C’en était trop, il faillit se mettre à japper mais il se retint, ne sachant pas trop à qui il avait affaire, Vector n’avait qu’une hâte, retrouver sa niche et s’y coucher en chien de fusil pour y ‘’niaquer’’ quelques puces et s’endormir pour conserver en rêve tout le souvenir de cette nuit et de ce merveilleux Noël de chien.
Jean-Paul Gouttefangeas
Merci à François-Noël Masson pour la photographie qui illustre cette chronique.