Tahiti, au soleil, sous la pluie

Un récit de voyages sur l’escale de Claire Bertrand, 4 mois en Polynésie

En 2022, alors que les frontières rouvrent progressivement à la suite de l’épidémie de COVID-19, la narratrice s’envole pour une déambulation lente dans des paysages maintes fois fantasmés mais finalement peu arpentés. Elle part à la découverte de Tahiti et des îles Marquises qu’elle rejoint à bord de l’Aranui, le bateau cargo qui ravitaille l’archipel deux fois par mois, au départ de Papeete.

Claire Bertrand publie aujourd’hui chez L’Harmattan le récit de ce séjour de quatre mois en Polynésie, hors du temps ou presque (et le "presque" est de taille) : vous y ferez la connaissance de figures locales, de visiteurs ancrés et de touristes rencontrés dans les pensions, sur l’Aranui ou des pontons. Vous y croiserez aussi Titouan Lamazou et le fantôme de Joe Dassin qui le premier lui a parlé de ces contrées fantasmatiques.

L’auteure

Originaire du Puy-de-Dôme, Claire Bertrand a passé son enfance entre Bort-l’Étang et Celles-sur-Durolle, puis la plus grande partie de sa vie professionnelle à Paris. Elle a toujours aimé les îles et, fin 2021, a quitté son poste à l’ambassade des Etats-Unis pour ce projet de longue date.

ISBN 978-2-336-47640-7
Auteur : Claire BERTRAND
Format : 13,5 x 21,5 cm - 206 pages - 22 €.

Le livre est disponible à la librairie Trenslivre de Thiers et sur le site Internet des éditions L’Harmattan.

Nous vous proposons ici quelques extraits de son récit, illustrés de photos que Claire nous a confiées, en exclusivité, car elles n’apparaissent pas dans son ouvrage édité.

Papeete

« Je pars à la recherche des fameuses roulottes, une institution locale et régionale, des camions fumants installés face aux paquebots et qui permettent de se restaurer à prix raisonnable. »

Tahiti Iti

« Au loin, les contreforts vert impérial de Tahiti Nui se drapent d’une écharpe nuageuse et vaporeuse. A la première accalmie, quatre enfants tirent des kayaks sur l’eau, ils slaloment telles des ombres chinoises entre les pierres »

Teahupoo

« Tout commence par cinquante nuances de gris rehaussées par les fauteuils ivoire sur gravier noir qui font face à l’océan. »

Papeete

« Ce soir-là, les pirogues avancent dans une nébuleuse orangée hypnotique, j’ose à peine m’avouer que le retour à la ville me rend heureuse, j’ai dépendu toute la semaine des horaires du Bonjouir sans repas du midi, je comptais les heures jusqu’au dîner, incapable d’assurer ma subsistance par la pêche, ma vie si dure. »

Papeete

« À Papeete, j’aime, en sirotant ma citronnade, observer le ballet des ferries qui partent vers Moorea ou en reviennent, passer d’une boutique de perles à l’autre, déplier les étoles, (…) je mets un point d’honneur à assister chaque jour au coucher du soleil, quand il baisse la garde, c’est le moment que je préfère entre tous. En passant devant la gare maritime, je ramasse une fleur de frangipanier, parfois deux, que j’attache à mes cheveux, une habitude prise à Sydney, pendant mes études. Je n’imaginais pas alors qu’il pût se trouver d’arbre au parfum plus séduisant, de fleur à l’aspect plus velouté, une perfection tropicale. »

Tahiti Nui

« Au-dessus de l’immense béance, Teuai souffle dans un gros coquillage triton puis scalpe une feuille de pandanus qu’il débarrasse de sa nervure centrale avant de la transformer en sandale. »

Bateau Moorea

« De nombreux ferries et navettes relient les deux îles du Vent et le temps de la courte traversée, des Tahitiennes fleuries de la tête aux pieds fêtent le début de la journée à coup de cafés et de pains au chocolat. Souvent, il me semble que les femmes se rendent à des cérémonies quand elles partent seulement travailler ou manger au restaurant avec des amies, toute occasion de célébrer la vie bonne à prendre. »

Moorea

« Avant d’entamer la courte marche dans la forêt humide, on découvre l’arrière du mont Rotui qui émerge dans un halo bleuté de nuages hésitants. »

Moorea

« Je me pose chaque soir sur l’un des bancs de pierre puisqu’il n’est pas question de se trouver ailleurs à la nuit tombée, sans voiture et à la merci des chiens en meute. Je contemple le ciel changer de teinte, une fois le soleil disparu derrière les reliefs. Devant moi, des coulées de terre dans la mer, en superposition. Au fond, deux pics posés de part et d’autre de la baie devenue scène de théâtre, ils marquent les extrémités imaginaires d’un M étiré. »

Moorea

« (…) je déambulerai dans une forêt de mape aux troncs si tourmentés qu’on les dirait sortis d’un conte de Grimm ou d’un volume sur l’Art nouveau. »

Huahine

« Poerava raccompagne ses extras dans le sud de l’île et m’embarque pour la virée à l’arrière découvert du 4x4. Au premier arrêt, sur le débarcadère de Fare, Raima montre la ligne de crête du mont Tavaiura qui borde la baie, pareille à une femme enceinte allongée, on distingue même le nombril retourné, elle insiste pour me prendre en photo avec mes fleurs sur la tête, une vraie miss popa’a selon elle. »

BoraBora

« Comme me l’avait conseillé le premier touriste croisé six semaines plus tôt, je me suis assise à gauche de l’appareil et ai survolé l’anneau turquoise qui encercle Raiatea et Tahaa, puis vu se rapprocher le lagon le plus photographié du Pays. Nous avons amorcé la descente dans une photo de magazine, ne sachant plus si les hélices de l’ATR battaient sur une virtualité ou la réalité. »

Bora Bora

« (…) vers l’horizon où se rencontrent un ciel bas et lourd devenu gris et une eau saturée de turquoise rendue hypnotique par le contraste des teintes, c’en est presque choquant, le silence se fait, dans l’attente d’un événement, d’un déchirement. »

Aranui

« Je photographie les transats et leurs ombres allongées, inquiétantes, expressionnistes, devant la piscine de sept mètres de long, je me suis renseignée. »

Kauehi

« C’est donc à Kauehi, cinq cents habitants, que nous jetons l’ancre, au large, et montons dans la barge qui nous conduit vers le ponton (…) Point culminant : la cime du plus haut cocotier. »

Kauehi

« Ben prend un plaisir non dissimulé à entonner toutes les chansons que je suppose de son enfance, je retiens Elle est partie, Rosalie… tant pis, tant pis, tant pis… qui n’est pas née sur les îles mais a subi un lifting tropical sans couture apparente. »

Kauehi

« (…) je me limite au sublime mais il réside dans la moindre barque suspendue à ses poulies sous un ciel que ne renierait pas de Vlaminck, dans les cocotiers bagués à contre-jour qui servent de cadre au bateau sur l’eau, dans la grappe de flotteurs colorés accrochés à une branche. »

Ua Pou

« L’Aranui se reflète sur le sable quand les vagues refluent. Il est maintenu à quai par deux solides cordes doublées auxquelles les enfants du coin viennent se suspendre tous les quinze jours. En vacances cette semaine, ils passent l’après-midi en grappes, certains se jettent à l’eau dans des sauts périlleux bravaches, d’autres me rejoignent quand ils voient que j’ai fini de compter mes longueurs. »

Raiatea

« Tout le long du littoral verdoyant, nous apercevons des motu, ces îles flottantes tellement légères et iconiques sur leur reflet à contre-jour qu’on les dirait dessinées par des enfants qui n’ont jamais vu la mer. »

Tahaa

« La navette jaune canari entre dans la baie alors que les bus colorés vides et surannés attendent les élèves, sur la place, entre les bâtiments administratifs. Ils pointent vers la vallée, dans le sens du départ. Aucune voiture alentour, de la fumée s’échappe d’un jardin, floute le tableau et la végétation touffue, la lumière tamisée par le voile nuageux. »

Titouan Lamazou

« Titouan Lamazou guide la visite avec simplicité, un bandeau de pirate autour de la tête, explique la fresque orangée qui représente les côtes de Fatu Hiva, la recension de la toponymie, la rencontre imaginaire de Paul Gauguin et Robert Louis Stevenson à Ua Pou, où ni l’un ni l’autre ne mit les pieds. »

Fatu Hiva

"Les pick-up qui nous dépassent chargés d’Américains donnent à la piste ferrugineuse gorgée d’eau des airs de savane à la saison des pluies, les branches aériennes des falcatas deviennent des acacias, il ne manque que les girafes, une maison jaune surgie de nulle part complète le tableau.

Fatu Hiva

« Avant même de poser le pied à Fatu Hiva, l’ultime halte marquisienne, je sais que ce sera l’île qui restera. (…) Je le sens déjà, elle coïncide très exactement avec mes visions fantasmatiques, parce que la plus humide, énigmatique dans la brume, la plus enclavée, la plus belle tout simplement. Elle incarne l’archipel aussi parce que les photos que j’ai vues depuis toujours et qui m’ont planté cette attente dans le cœur provenaient de la baie de Hanavave qui défie la description, j’ai hâte d’y parvenir tout en redoutant ce moment que j’envisage comme un apogée, ni plus ni moins. Après, plus rien, sinon une longue descente ».

Fatu Hiva

"Une femme fine et souriante assise derrière une table se lève prestement à notre passage, elle vend un sac de citrons verts à Stéphanie, l’une des marcheuses. Les fleurs jaunes de sa couronne répondent à la robe des papayes posées là pour attirer les touristes de l’Aranui."

Papeete

« Quand les groupes de trois ou quatre musiciens se produisent dans les bars et restaurants à l’heure de l’apéritif, les aînés dans l’assemblée chantent à tue-tête et se balancent au rythme des ukulélés, comme s’ils se rappelaient leur jeunesse. Les chemises à fleurs portées par les hommes et les robes bariolées convoquent Elvis à Honolulu, Brigitte Bardot à Acapulco et pourquoi pas Hemingway à la Havane, un parfum délicieusement rétro, un paradis perdu dont on sait qu’il n’a jamais existé mais je fais mine de l’ignorer. »