Sur le chemin des souvenirs

Ah ! Qu’il serait doux de se souvenir seulement des bons moments de la vie. C’est comme une rivière qui s’écoule, apportant son flot ininterrompu de souvenirs, charriant pêle-mêle les bons et fréquemment les mauvais. C’est certain, pour chacun d’entre nous le débit a été inégal. Il y eut des orages et trop souvent des tempêtes qui en grossirent le cours, des périodes de sécheresse aussi (parfois du cœur) qui ont mis notre moral à sec, des turbulences, voire des remous qui nous ont fait souvent tourner en rond. L’écume des jours mousse en surface, comme une eau agitée, bouillonnante et trop chaude. Ce sont les tourbillons qui se creusent, roulant les galets que sont les ennuis de la vie, les rabotant un peu parfois mais jamais assez.

À suivre ce cours auquel on ne peut échapper, son courant érode parfois notre enthousiasme, alors on aspire à une eau plus calme, à un débit plus serein capable d’apporter en nous la douceur d’une eau plate comparable à celle des bassins et des étangs, un calme salutaire. On cherche à éviter les pierres de l’adversité qui, en plongeant, pourraient faire des ronds à la surface de l’eau. Plus graves encore seraient des vagues emportant nos sentiments et nos désirs et parfois nos pensées, qu’elles soient puissantes ou évanescentes, sans parler de l’image des êtres chers, arrachés aux berges fleuries de l’amitié et de l’amour.

L’eau dont je parle est l’eau de la vie. Celle qui nous fait vivre. Sans elle ce serait le désert à moins que l’on garde l’espoir, parce que même au cœur de l’impitoyable désert peut apparaître une oasis qui n’est que réconfort. Le souvenir alors nous rapproche de ‘’contrées’’ fanées par le roulis du temps et seulement entretenues par la mémoire. Tout en sachant que nous garderons au fond de nous les clefs de nos abîmes, nous sommes éveillés par des pensées pour porter plus loin les promesses de la vie, y pénétrer, même si elles sont furtives, et même réinventées, nous savons que pour un temps, elles seront remises en lumière. Des moments et des êtres que l’on redécouvre magnifiés, sans pour autant aller jusqu’aux illusions trompeuses (quoique !). Se rappeler que dans un temps plus ou moins lointain, des moments nous ont procuré du bonheur. C’est aussi revoir d’un œil embué de reconnaissance (et parfois de nostalgie) des recoins de l’enfance que l’on a encore en soi, tout en fraîcheur et en sensibilité. Tout ce qui sommeille en nous n’attend qu’un prétexte pour refaire surface : un mot, un paysage, un visage etc. Qui n’a pas gardé, enfoui dans sa mémoire, tel ou tel fait ou événement qui ne demande qu’à resurgir d’une eau endormie ? Images parfois si belles et si nettes qu’elles nous mettent pour un moment en grande joie. C’est par une évasion de l’esprit que s’échafaudent des visions ou des sentiments passés. Dans ces périodes là on peut vivre des instants hors du temps, comme suspendus entre rêve et (presque) réalité. Sentiments éphémères, bien sûr, mais d’une grande importance. Revivre ce qui a contribué à nous faire avancer, ce qui a ajouté des jours aux jours dans un cycle immuable comme chemine l’eau des fleuves. Il y a des méandres, ils sont des ralentisseurs, comme des regrets dans la vitesse du temps qui s’écoule trop vite, avec cette tentation de revenir en arrière pour retrouver ce qui était avant, de recommencer en faisant mieux, tout au moins différemment. Quand le flux s’écoule au fond d’une vallée (parfois de larmes) trop encaissée, c’est impossible à surmonter, les parois sont trop abruptes. Il faut alors trouver la force de faire face en attendant une cascade qui apportera un air plein de lumière et l’espérance d’un nouveau départ, un fil de l’eau régénérée où tout peut recommencer.

C’est alors que va se manifester l’importance de ce que l’on pourrait appeler les affluents, ces affluents indispensables au cheminement humain. Ils ont pour noms : entraide, solidarité, fraternité, amitié, amour. Ils vont alimenter le cours, parfois défaillant, d’une vie, apportant les riches alluvions qui s’apparentent à un bienfaisant terreau de reprise. Par capillarité, car l’eau comme l’amour trouve toujours un chemin, la vie de l’être pourra repartir. Les moindres petits ruisseaux finissent par faire les grandes rivières. Surtout, la vie est plus douce s’il y a quelqu’un à la rescousse !

On se souvient toujours des aides que l’on a pu recevoir durant sa vie. La moindre goutte d’eau d’amour est ressentie à jamais comme une perle de rosée tombée sur notre joue. Elle est minuscule et pourtant elle peut tout rafraîchir (y compris notre mémoire) des années plus tard.

Il y a parfois des débordements de joie et c’est heureux, des inondations bénéfiques de souvenirs qui nous ont comblés (et qui nous abreuvent toujours) parce que le parcours est fait de tout. La mer des souvenirs, comme une marée qui remonte, est un bienfait, il faut savoir voguer en évitant les embruns toujours à l’affût et se laisser porter par la vague, toutes voiles dehors. Il pleut aujourd’hui mais bientôt il fera beau !

Refoulons les larmes de nos tristes souvenirs d’antan, il nous reste encore du temps pour être heureux !

Amis lecteurs, qu’un déluge de souvenirs agréables vous inonde, qu’il vous ramène à des eaux limpides ! Si les gouttes qui le composent sont trop fortes ou trop lourdes, passez entre elles ! Bâtissez des barrages et des digues contre les souvenirs malheureux, lorsque la pression est trop forte, faites en sorte qu’ils ne cèdent pas. Traversez les torrents tumultueux à tire- d’aile. Les événements qui resurgissent sont des revenants, les derniers en rappelant d’autres, plus vieux encore. On peut alors reconstruire ce que l’on avait oublié, ce qui s’était estompé : les bons moments, en retrouvant la verdeur d’un cresson de fontaine. Ce n’est quand même pas la mer à boire !

Le propre du souvenir, c’est que sorti de l’oubli, il trouble l’oubli et fait de la place à d’autres. N’y aurait-il pas là dans cette émotion l’occasion d’un nouveau départ tout en sachant qu’un grand nombre de nos souvenirs ne peuvent être définitivement oubliés (et heureusement !).

Jean-Paul Gouttefangeas