Retiens la nuit...
A force de se promener à la marge des choses, l’ours a fini par s’asseoir, ses pattes fatiguées aspirant au repos. Bien que sachant que nul n’est prophète en son pays, c’est au cœur du Livradois-Forez qu’il a enfilé sa paire de tongs estivales pour une semaine réparatrice dans un petit village peuplé d’authentiques Gaulois, de quelques animaux, de fleurs, de fraises et de groseilles et de légumes aussi, si tant est que l’on veuille bien accepter que les fruits, les légumes et les bêtes puissent être des habitants. C’est à chacun de voir.
L’endroit s’appelle La Groisne - patronyme célèbre dans le pays et que portent encore d’illustres contemporains ! - où l’on ne parvient qu’après une longue marche sur un chemin étroit, perdu dans le temps et l’espace, noyé au milieu de verts multiples comme ceux que l’on voit, en relief, dans les livres pour enfants.
Mais l’ours n’est plus un enfant. Et il sait qu’à force de perdre son temps, on finit bien, un jour ou l’autre, par le retrouver.
Ainsi à La Groisne il y a des veaux qui réclament à boire en fin de journée, des poules qui boivent beaucoup mais ne pondent guère, un chien ubuesque qui a tout compris au sens de la vie, des chats chapardeurs prêts à tout avaler, des carpes venues du Japon, un soleil entre les yeux, des potirons, des potimarrons et autres cucurbitacées et même toutes sortes de légumes avec un vrai goût de légume. Un soir, alors que le soleil mangeait la colline pour rentrer chez lui, l’ours arrosait. Il arrosait les plantes, les fleurs et les légumes. L’eau coulait sur ses tongs. Il eut alors l’étrange sensation de voir ses griffes s’enfoncer dans la terre comme attirées par quelque chose d’indicible. Il s’enfonçait. Il prenait racine. Alors, douce lui fut la pensée qu’il pourrait devenir un de ces potirons, planté là au milieu des fleurs, des abeilles, des lézards et des autres potirons…
Vaste sujet de réflexion.
A La Groisne , il y a aussi des gens. Des gens qui s’aiment. Des gens qui s’aident. Des gens qui vous ouvrent leur porte comme, Marinette, pour vous donner des prunes ou des courgettes. Ou des tomates, comme Dominique, qui connaît tous les chemins qui mènent aux écrevisses, aux sangliers et aux champignons. C’est un sage cet homme-là et Marinette une douceur de femme que ses élèves –elle fut maîtresse d’école – ont dû bien regretter lorsqu’elle prit sa retraite.
Mais ainsi va le monde dans ce microcosme sublime où l’on retrouve ce que l’on avait oublié. C’est comme le ciel. La pureté du ciel. L’ours ne savait plus que, le soleil couché, les étoiles pointaient le bout de leur nez pour une sarabande de quelques heures. Plusieurs nuits de suite, il resta couché à même le sol à contempler le dessus. Plus beau qu’au Futuroscope. Plus vrai que les images aperçues dans les magazines spécialisés. La nuit, la grande nuit tombait sur lui. Avant de s’endormir, il aperçut perchée tout là-haut, la Grande Ourse broutant l’infini, taquinée gentiment par le passage intempestif de quelques satellites en goguette.
Il se promit de revenir.
Une chronique de Jean-Luc Gironde.