Réflexions interrogatives
Le premier quart de ce siècle touchera bientôt à sa fin. Depuis 1945, nous n’avons pas connu de guerre sur le sol de la France métropolitaine mais cet état heureux tiendra-t-il un siècle ? Pouvons-nous espérer encore la paix chez nous alors que dans le monde les guerres continuent, anéantissant les libertés, les pays et les êtres ? La guerre est un mal qui accompagne nos civilisations depuis la nuit des temps. Aucun peuple n’y a échappé. Vivre en harmonie dans le respect des autres, de leur race, de leurs idées, serait-il impossible ? A l’évidence sûrement. Les conflits naissent-ils uniquement dans la tête et le désir de quelques dirigeants plus ou moins belliqueux ? N’y aurait-t-il pas à leur suite une volonté plus générale d’un groupe, voire d’un peuple ? Ce monde qui nous entoure, il est tel que nous le faisons. Il y aurait bien la solution de fermer les yeux, de ne pas se laisser emporter, s’installer dans le ‘’chacun pour soi’’ mais ce serait comme se laisser mourir, or ne sommes-nous pas aussi la source de ce qui doit naître ? Je veux croire que nous souffririons moins si nous pratiquions davantage la bonté, le partage, l’amour.
La guerre saccage les êtres de l’intérieur, elle ne les rend jamais plus nobles, même si l’on compte parmi eux des héros, elle emprisonne leur âme. Elle n’est que malheur, sang et vacarme.
Pourtant il y a de l’amour en nous, d’où vient-il ? Pourquoi n’est-t- il pas dominant dans nos comportements ? C’est lui qui entretient en nous cette étincelle qui s’appelle l’espérance, qui peut nous permettre d’atteindre des rivages flamboyants, de traverser la nuit, en passant de l’ombre à la lumière pour voir la beauté, la splendeur de la nature qui ne s’abreuve en rien de nos violences et de nos exactions, même si nous déclenchons ses colères par nos fautes et provoquons ses dérèglements, je ne veux pas croire qu’elle génère en son sein de la vengeance. C’est avec elle aussi que nous devons apprendre à vivre, chacun dans ses propres croyances, en inventant quelque chose qui nous est propre, en nous créant nous-mêmes jour après jour avec l’espoir non pas de changer le monde, mais de nous changer nous-mêmes sans faire de l’ombre à l’autre qui peut être différent, en passant simplement du conflit à l’amour. Appeler celui qui nous croise ami frère, en lui disant : tu es digne de ma confiance, marche avec moi parce que nous sommes ensemble. Tu es alors un magicien pour moi, tu es capable de me transformer, c’est là que réside l’enchantement de la rencontre. Ce chemin que nous parcourons côte à côte, rendons le moins raboteux dans un seul et même esprit de fraternité. Qu’est-ce qui nous empêche de marcher main dans la main pour tenter d’atteindre la belle lumière, la grâce ? Le monde est vaste, un homme isolé n’est rien, il ne peut rien mais il ne peut vivre que dans celui-ci, aidons-nous les uns les autres à voir des choses que sans aide nous ne verrions peut-être pas : la joie, la paix, le courage, le bien être du cœur.
Pour vivre pleinement, il nous faut croire à un esprit universel dont nous sommes tous les détenteurs d’une minuscule part. Une force solitaire est infime, c’est l’ensemble qui mènera chacun d’entre nous à la recherche de son salut et de celui du monde, loin de la noirceur et du vulgaire.
Il n’est pas trop tard, il n’est jamais trop tard, si nos vies ressemblent parfois à l’automne et même à l’hiver, il faut se souvenir que le printemps revient toujours, le mieux vient à la suite du pire. La nature en est le prodigieux exemple, les saisons rythment la couleur des
feuilles des arbres qui finissent par tomber dans une mortelle chute et pourrir sur le sol mais invariablement la volonté du renouveau, l’appel de la lumière arrachant à la terre la vie nouvelle qui veut plus que jamais voir briller le soleil. L’herbe veut repousser, les fleurs ne se tiennent plus de faire éclater leurs couleurs, les animaux eux-mêmes participent à la fête du renouveau. Allons-nous laisser passer tout ça sans participer ? Ne refusons pas de contempler les splendeurs qui nous entourent, les collines verdoyantes, les douces rivières et les cascades rieuses, la grandeur des montagnes, la couleur du ciel, les enfants qui jouent dans la cour, les mariés rayonnants qui sortent de l’église et tout le reste qui nous enchante, toutes ces choses qui nous font toucher à l’infinie douceur, à la fois si simples et lumineuses comme des âmes, belles comme l’amour !
Est-ce que ne pas voir la beauté ce ne serait pas perdre ce bien que l’on avait reçu à l’origine ? Est-ce que ce ne serait pas souffler sur la flamme qui avait été allumée en nous ?
Allongé sur mon lit, il m’arrive souvent de lever les deux bras à la verticale, les mains grandes ouvertes comme pour attraper, saisir quelque chose, le ciel, la vie au cœur de la nuit, délivré du mal ! C’est là que je me sens libéré, je rêve éveillé d’un âge d’or, je marche sur les plages de contrées douces où l’adversité n’existe pas, heureux comme un prisonnier libéré.
Aucune guerre ne peut m’atteindre et me détruire, aucune loi ne peut me soumettre, je suis léger, comme porté par les ailes d’une incroyable force.
C’est peut-être cela l’autre monde, le Nouveau Monde, prendre une bouffée d’air, en remplir ses poumons comme si c’était la dernière fois !
Jean Paul Gouttefangeas
Photo de Vincent Treussier, extraite de l’album 500 jours à vélo.