Réflexions d’allumette

Je fais apparaître la lumière, oui c’est un peu prétentieux et pourtant à y réfléchir un peu, je ne suis pas si loin de la vérité. Au plus profond de la caverne, pourvu que l’on me frotte, que je sois sale ou propre (comme disait Jean Giono) je m’enflamme et tout s’éclaire. Je dirais presque qu’en tant que consoeur des bougies (car nos missions sont souvent indissociables) je participe aux événements tristes et joyeux des gens. Songez, pour les funérailles, depuis la sacristie de l’église j’enflamme le premier cierge dont la flamme sera transmise à tous les autres disposés autour du défunt dans le choeur, j’enflammerai jusqu’au charbon de l’encensoir ! Quant aux joyeux anniversaires, je suis tout aussi indispensable, la première bougie du gâteau est pour moi, pour peu que l’on se soit assuré qu’elle est bien allumée avant que je ne m’efface. J’ai cet insigne honneur, quel que soit le nombre d’années du fêté ‘’d’ouvrir le ban ’’ au milieu du chant traditionnel qui précède l’entrée du gâteau, dans le noir, comme il se doit. Il y a aussi les adeptes de la cigarette qui ont besoin de feu, mais je dois bien reconnaître que, dans ce domaine, je suis battue en brèche par mon grand rival, le briquet.

Une autre occasion, où j’ai l’occasion de briller, c’est à Lyon pour la traditionnelle fête des lumières, dans chaque maison, là encore j’enflamme les lumignons qui seront posés sur les fenêtres des immeubles, c’est certain, je suis à la base de l’enchantement !

Mais ma part d’ombre, je la connais aussi, c’est quand je tombe entre des mains d’enfants, des mains innocentes souvent qui pensent que je suis leur amie, parce qu’ils m’ont vue briller, ils ont tant aimé voir jaillir les flammes d’un papier, parfois contempler l’embrasement dans la cheminée, à partir d’un simple frottement de ma tête, qu’ils veulent reproduire ce résultat. Pourtant ce n’est pas faute de leur avoir dit et répété : ‘’on ne joue pas avec les allumettes’’ ! Il y a plus grave encore, quand des malfrats, glissant ma boîte (qui est mon habitat habituel) dans leur poche, s’en vont dans la forêt commettre leur méfait d’incendiaire. C’est un désastre pour la forêt qui brûle et un malheur pour l’environnement et les gens. Mon pouvoir est immense, ‘’d’un seul arbre on peut fabriquer des milliers d’allumettes, alors que d’une seule allumette on peut faire brûler des milliers d’arbres’’. Je sais aussi allumer la mèche qui fera tonner le canon. Il y a c’est certain un grand nombre de produits dits inflammables auxquels il ne faut pas m’associer : le gaz, la poudre, les hydrocarbures et en particulier l’essence, entre nous, ça a toujours été des rapports explosifs ! D’ailleurs, ces termes ne nous sont pas exclusifs, il existe aussi des personnes explosives, n’appelle t-on pas ‘’allumette’’ une personne qui s’enflamme vite quand on la ‘’frotte’ et qu’elle met le feu aux poudres ! De même, dans un registre approchant, on trouve aussi : ‘’ne frottez pas l’allumette contre l’irascible’’ !

Que voulez-vous, je ne vis que quand je brûle, c’est-à-dire quand je sors de mon habitacle car la vie en boîte n’est pas drôle, serrées les unes contre les autres, têtes contre têtes, phosphore rouge en dessus, ‘’soufrées’’ à souhait en dessous, nous attendons le ‘’crac’’ libérateur contre les parois rugueuses de poudre de verre de notre emballage. Quant à l’odeur caractéristique qui résulte du frottement, elle est très bénéfique pour chasser les mauvaises odeurs d’une pièce. Je peux vous dire aussi que nous n’en sommes pas à notre coup d’essai puisque, en tant qu’allumettes nous allons avoir bientôt un siècle, inventées alors par notre papa anglais : John Walker et nous adorons toujours, sans lassitude aucune, être ‘’grattées’’ ! Nous existions déjà dans les temps anciens, depuis le XVIème siècle : les bûchettes ou chénevottes (chanvre) sous une autre forme, notre composition évoluera encore, après avoir abandonné l’acide puis le chimique, un certain monsieur Fumade (ça ne s’invente pas !) transformera encore notre composition.

Vous n’êtes pas sans savoir que suis aussi capable de ‘’reconstruire’’ l’Arc de Triomphe, le Pont du Gard, le château de Versailles (ou du Pirou) et tant d’autres monuments célèbres parce que je suis un élément indispensable à certains humains passionnés de ‘’modélisme’’ pour réaliser leurs rêves avec passion et patience ! Il existe le jeu des allumettes, efficace, paraît-il , pour développer la mémoire et aussi un jeu de Nim, sans parler des bijoux allumettes. Comme on peut s’en rendre compte, beaucoup sont prêts à ‘’craquer’’ pour l’allumette si l’on passe outre les rêves d’allumettes, ceux, prémonitoires, censés annoncer un mal sur le point d’arriver !

Comme vous pouvez le lire, j’occupe une place importante dans la vie quotidienne des gens, aussi, aurais-je plaisir à voir cesser ces expression offensantes telles que : bâti comme une allumette ou réfléchir comme une allumette ! Un grand poète des mots ; Jacques Prévert parle de moi : ‘’ Trois allumettes une à une allumées dans la nuit – la première pour voir ton visage tout entier – la seconde pour voir tes yeux, la dernière pour voir ta bouche. Et l’obscurité tout entière pour me rappeler de tout cela’’.

Même André Maurois m’a utilisée : ‘’L’homme marié est une allumette qui ne s’allume que sur sa boîte’’.

Oserais-je, arrivée au terme de mes réflexions, en citer une autre, plus méchante celle-là : ‘’ quand un homme a de l’argent à griller, il trouve toujours une femme pour lui tendre une allumette ‘’.

Heureusement, maintenant, pour souhaiter ce qu’il y a de mieux à quelqu’un, sont apparus les petits bonshommes allumettes. Pour ma plus grande satisfaction, l’aventure des allumettes continue.

Jean-Paul Gouttefangeas

Crédit photo : Jean-Luc Gironde.