Promenades dans le vieux Thiers - Maison Ytournel

Septembre 1991

Alléché par les propos d’YTOURNEL, qui me parlait du caveau souterrain sous sa maison, gardé par deux corbeaux de pierre sculptés en forme de monstres du Moyen-Âge, vendredi dernier je suis descendu à sa maison de la rue de la Coutellerie dans le but avoué de la visiter du point de vue touristique. Ça vaut la peine : en tout onze pièces, je crois, sur trois niveaux. La façade est datée de 1787, ce que corroborent les larges fenêtres des étages ; sous le crépi, on voit des colombages, qui ne demandent qu’à réapparaître comme dans le reste de la rue. Trois garages sont alignés au rez-de-chaussée, et donnent bien du souci au propriétaire. C’est là qu’il faut lutter contre cette humidité dont on ne peut saisir l’origine, car il s’agit bien d’infiltrations extérieures, et non de remontées du sol... C’est dans l’un de ces garages que nous entrons. Après quelques mètres nous voyons les traces d’une séparation entre cette maison du XVIIIe siècle et une autre, plus ancienne, du XVIe siècle, contre laquelle elle est adossée. XVIe siècle, comme le montre une porte à linteau courbe ; une fenêtre du second étage se trouve maintenant donner non plus à l’extérieur, mais dans la maison.
Et quand on arrive, quelques mètres plus loin, au fond du garage, on constate qu’elle s’appuie elle-même sur la muraille médiévale. C’est là qu’en plein milieu est percée une porte voûté encadrée de deux corbeaux sculptés en fort bon état, et bien formés. Le forgeron LEBON, le grand-père, avait installé à gauche son soufflet dans un renfoncement creusé ; il avait montré ses corbeaux, en 1918 ou 1919, à Gustave COQUIOT, curieux par formation, lui, le nouvel époux de la belle MAURICIA. Et plus de 70 ans après, il se trouve quelqu’un pour se rappeler ce fait minuscule ! En fait, je me souviens que COQUIOT méprisait la peinture ancienne, et j’imagine que les corbeaux l’ont fait sourire.
L’ouverture donne accès à une sorte de caveau d’environ 6 à 8 mètres de profondeur, sur bien 4 de large. Le caveau est entièrement voûté, et plus personne n’y pénètre par précaution.
C’est bien la 1ère fois que j’entends parler de telles sculptures en pleine ville. En existe-t-il d’autres ? Le caveau s’étend sous la petite rue de Palais. Qui s’en douterait ? Je mitraille de photos à tout hasard et regagne le siècle. Qui sait encore qu’on appelle "terre romaine" un mélange de terre et de chaux qui constitue des sols de garage ?

Du lundi 2 septembre au vendredi 6 septembre 1991 s’est tenue une UNIVERSITE D’ETE consacrée au BASSIN ANCIEN INDUSTRIEL de THIERS organisée par la Chambre de commerce de Thiers, route de Pont-de-Dore, à l’intention d’une vingtaine d’enseignants d’histoire-géogaphie. Bruno TOURNILHAC a été invité à la dernière minute à présenter un exposé sur Thiers et surtout à piloter deux visites de la ville, le jeudi soir et le vendredi soir.
Pour moi, c’était un régal. Alors là, moi qui ai l’outrecuidance de faire faire la même visite assez souvent, j’ai appris à chaque minute. Bruno maîtrise à merveille l’évolution séculaire de notre ville. Dès sous le Rempart, il situe les diverses routes de Clermont à Lyon, ressuscitant la peu comme route des Intendants, au XVIIIe siècle qui suit à peu près le tracé de l’actuelle autoroute, donc passe au nord de l’agglomération avant de rejoindre PEUBRU, ce qui évitait une rude pente. Ça n’a l’air de rien, mais pour moi c’est tout neuf. IMBERDIS, dans le Réseau Routier d’Auvergne au XVIIIe siècle, consacre des pages à cette route, mais c’est fort imprécis. Comme des chemins doivent bien subsister de cette époque, il faudra que j’essaye d’avoir des détails plus précis pour la traversée la plus proche de la ville. Il situe aussi des vignes partout autour de nous vers le Rempart, les "vigne de la Baronne".
Arrivé au Pirou, il développe l’hypothèse que cette belle demeure de type bourbonnais a sans doute servi de modèle à de nombreuses imitations, au lieu d’en être elle-même la copie ! Il parle des BOUVIER du CHARRIOL, qu’il assimile aux BOUILLE de l’armée des Princes à la révolution. Il affirme que les fils venus de Lezoux ou Billom étaient rue de Bartasse, hors les murs.
A l’église Saint-Genès, il rappelle la bévue de la Maison des Couteliers ; les demi-meules surmontent une chapelle, non du XIIIe siècle mais faite en 1610 ! Pour les vitraux, il est catégorique : seuls les six anges de la chapelle nord qui bordent la fenêtre de part et d’autre de l’who (anges habillés de blanc) sont du XVIe siècle. C’est la chapelle des OSSANDON, dite aussi des Morts. La même chapelle lui paraît contenir la 1ère apparition notable du Volvic dans l’architecture thiernoise. Car sa théorie est que tous les beaux hôtels de pierre du XVIe siècle sont en pierre de Ravel, et que c’est aux XVIIe siècle que le Volvic a triomphé à Thiers seulement.
Ça me pose un problème : la porte en gothique fleuri de l’hôtel FAVIER rue du Bourg ne me paraît pas postérieure au XVIe siècle, et c’est bien du Volvic !
Le 1er pilier en haut côté sud est celui qui s’est effondré au XVIIe siècle. Le sculpteur moderne qui l’a remis en état a mis dans ses alentours deux sculptures de pierre : une petite tête humaine et un groupe, fort réussis, mais des années 80 !
Le tombeau de saint Genès était au sommet, vers l’abside, et le sol était en escalier, montant vers le chœur. L’église était fragile, car construite sur du gore, et de plus sous elle se trouve une source ! Voilà enfin des informations précises et cohérentes. Curieusement, Bruno en est resté à la thèse mérovingienne pour les Mosaïques de Saint-Genès.
Ça, c’était le jeudi. Le lendemain après-midi, fin de la visite : rue Conchette et rue du Bourg. Nous montons par la rue de la Bienfaisance, qu’il appelle Hallepic (et à l’origine : " à la pute" ?) alors que Bigay dit une Vieille de Bartasse. De même, il appelle la rue Traversière, rue "Chartière".
Ses exemples sur la pierre de construction des hôtels rue Conchette sont : l’hôtel de PASSAT intact en pierre claire d’origine, sauf une fenêtre refaite au XVIIe siècle. A l’arrière, elle a de très belles fenêtres à meneaux ; en face, au contraire, la maison MOURET-DELOTZ (n° 35) (on saute la suivante XIXe siècle), le Havane et la suivante, toutes ont été recouvertes au XVIIe siècle de bosselages en Volvic, dissimulant la pierre d’origine. La maison à colombages qui voisine avec celle de PASSAT lui sert à montrer que les riches et les pauvres étaient étroitement mélangés.
Plus bas, il fait entrer chez GUILLOT-MARCLAND, pour montrer que la modeste maison à colombages s’appuie sur une belle maison à fenêtres de pierre visibles à l’intérieur, du XVIe siècle. Le jardin surélevé surprend le visiteur.
Juste au-dessous, nous entrons dans "la maison de MANDRIN" au 19. Bruno dédaigne l’anecdote pour concentrer les regards sur la conservation, dans le couloir, d’entrées de caves-entrepôts des marchands bourgeois, situées au-dessous des boutiques qui encadrent la porte d’entrée, qu’il confirme refaite au XVIIIe siècle. La maison ROUSSEL, au fond, est bien celle de Brémond PASCAL, vendue (à quelle date ?) par sa fille Mathie, épouse de GRANDSAIGNE des Champs. La date serait capitale pour savoir si les PASCAL de Clermont sont bien venus là, au moment de l’épidémie de peste. RIBEROLLES habitait plus tard la même maison (datée de 1551 par le cartouche au-dessus de la porte). Nous dédaignons l’escalier de briques fin XIXe ou début XXe siècle.
Dernière étape de la rue, le n°10, de l’autre côté, remarquable selon lui, pour être l’un des seuls édifiées à avoir conservé sa porte encadrée des voûtes des deux boutiques de part et d’autre, typiques, là encore, de l’hôtel des marchands. Dans la cour, Bruno situe au 1er étage, tournant le dos à la rue, l’appartement d’A. BIGAY (qu’il apprécie en déplorant son insouciance de toute référence.)
Rue du Bourg, arrêt devant l’hôtel FAVIER, mais le seul commentaire sur la porte, c’est le fait que l’un des deux blasons a été rapporté postérieurement. Le 4 est pour lui la simple représentation du signe de croix. A l’hôtel PIGNAT, il rit en rappelant que la statuette d’ARCHIMBAUD est classée du XVe siècle avec l’ensemble de la porte, qui tient le blason des PIGNAT, sous la statuette.
Rue de la Coutellerie, il admet sans discussion la date du XVe siècle pour le 14, malgré l’étrangeté des statuettes. Mais on n’a pas de papiers sur cette maison, contrairement à celle de l’homme des Bois. Il affirme que le fronton triangulaire est bien celui de l’hôpital d la charité, mais on a coupé la maison en deux parties distinctes, ce qui explique l’étroitesse et la longueur. L’origine du Pirou : il adopte le "Perron" du Prétoire proposé par BIGAY.
Je tirerai le plus grand profit, dans de futures visites, de précisions et de confirmations. Encore un détail : les nombreuses tours de guet, rue des Barres, mais aussi rue Lasteyras derrière le Pirou, lui semblent être le prétexte, pour leurs propriétaires, à rester chez eux lorsque la garde les réquisitionnait pour veiller au salut de la cité.
La vue de l’Armorial de REVEL conduit aussi à penser que le clocher primitif de l’église Saint-Genès était non pas vers le porche actuel, mais au-dessus de la vaste coupole.
Jeudi 27 mai 1999, "Semaine médiévale" au lycée Montdory. Annie REGOND, professeur d’histoire de l’art à l’Université de Clermont, est venue pour un public restreint : la vingtaine d’élèves qui suivent l’option "arts plastiques au lycée".
L’idée est de descendre à pied à l’église Saint-Genès, en musardant à droite et à gauche. On me laisse le choix de l’itinéraire.
Nous voici rue de Barante, où je montre les premiers vestiges anciens. Situation privilégiée : visiter Thiers avec une spécialise de la Renaissance capable d’affirmer des dates d’après le style de diverses architectures, peintures et sculptures, du Moyen Age à nos jours. C’est péremptoire, mais toujours appuyé sur des exemples, des indices. Et quel sens de l’observation ! Nous sommes encore dans la 1ere descente qu’elle nous arrête, près de ce balcon, à gauche, qui présente de prétentieux moulages de ciments à fleurs de lys. Elle nous fait la distinction entre les adjectifs "moyenâgeux" et "médiéval". Ce balcon est "moyenâgeux" car cherchant à imiter le Moyen Age. "Médiéval", c’est l’authentique. Puis, dans le creux de la rue, elle avise à gauche dans le virage une sorte de wagonnet sur fil qui desservait sans doute une coutellerie, en l’air... et que je n’avais jamais remarquée, moi qui passe là à pied depuis vingt-cinq ans ! Je montre à gauche l’ancienne fabrique de cire avec sa date, 1683, le couvent des capucins à droite. Elle est justement très forte sur les caractéristiques des divers ordres religieux. Nous parvenons à l’intersection de la rue du Champ-de-foire. Elle nous arrête devant la maison d’angle, celle qui appartenait au grand GUELPA, le plâtrier. Nouvelle stupeur : elle détecte un grand cartouche rectangulaire encadré de motifs XVIe siècle, qui entoure peut-être encore un bas-relief ou une peinture, dissimulée derrière l’enduit clair. C’est en face de la cour du collège, et je n’avais jamais remarqué cela !
Je signale l’entrée dans la ville autrefois fortifiée, à la Porte Neuve, et en montre le seul vestige : dans une niche sur la maison à gauche, plus bas que la boulangerie, deux statues : au ras de la vitre, une toute petite vierge blanche, peut-être venue de Lourdes. Et plus en arrière, une Vierge à l’enfant, plus grande, dorée, qu’Annie REGOND dit gothique sans contestation. Nous descendons la rue Conchette, où nous apprenons les termes techniques : ouverture "en anse de panier," du XVe au XVIe siècle, dessus de porte ou de fenêtre "en accolade", même époque.
Nous voici rue du Bourg, à la belle porte de l’hôtel FAVIER. Elle détaille les "pinacles" verticaux, de part et d’autre du haut de la porte, le décor "en choux fleurs" tout ça très gothique. Un coup d’œil aux deux célèbres blasons qui ont tant fait couler d’encre, avec leurs feuilles de chêne "alchimiques", et le quatre de chiffre. Ces blasons, affirme-t-elle, ont été refaits au XIXe siècle, comme le montre la netteté un peu rigide des reliefs. Dans ce cas, toute discussion sur les motifs est superflue !
Rue du Pirou, elle note que le soutien sculpté très visible de l’encorbellement, à droite, est de la fin du XVIe siècle, alors que je l’aurais cru bien plus moderne, avec sa volute. Je l’amène aux Sept Péchés Capitaux, restaurés dernièrement, elle a suivi ce chantier, de Clermont. Le style des sculptures, si énigmatique pour moi, la documentation la datant du XVe au XVIIe, si ce n’est même une fantaisie relativement récente, impose pour elle le XVIe siècle.
Nous arrivons à Saint-Genès, dont le porche est plus ancien que prévu, peut-être XVIIe. Elle fait remarquer que les fenêtres sur la place ne sont pas plein cintre, mais un peu brisées, et n’en sont pas moins romanes. Le beau tombeau dans l’entrée porte le nom d’enfeu, qui désigne un tombeau encastré dans le mur.
Elle connaît très bien Saint-Genès, parce qu’elle en a suivi la restauration avec la commission chargée de la surveiller. Elle va droit à la coupole romane : les bandes peintes et décorées, trouvées lors de la réfection, sont du XVIe siècle. Quant au Christ peint, il n’est pas du tout du XIIe siècle, comme on le dit habituellement, mais sans doute du XIVe siècle. Il est pour elle l’exemple d’une restauration manquée, et qui a été discutée : le restaurateur y aurait fait son autoportrait ! On lui reproche d’avoir déformé le modèle.
Nous sommes remontés plus vite pour arriver à midi, mais pour moi ce n’était pas terminé. D’une part, je l’ai aguichée en lui proposant de voir avec elle les balcons de fer forgé, récupération d’anciennes grilles de chœur de couvent ; d’autre part, elle a repéré que les Sept Péchés Capitaux ont été loués comme succursale de la crêperie le 1513 rue des Chaussetiers à Clermont, où elle va une fois par semaine ; enfin nous étions assez contents l’un de l’autre pour ne pas nous quitter si vite.
Après avoir garé nos véhicules rue de Barante, nous avons donc vu le balcon de la place aux Arbres, fait avec "la table de communion" du chœur des Visitandines, même sur les côtés. La présence du Sacré Cœur confirme la provenance de cet ordre religieux, elle date la grille du XVIIe siècle. Rue des Grammonts, elle admire le balcon du 3e étage, XVIIe siècle, et 2e étage, milieu du XVIIIe siècle. Nous faisons un tour rue de Lyon, à l’entrée du couvent des Grammontins, dont elle admire la lave sculptée avec goût au XIXe siècle. Les copies du XIXe se distinguent généralement par la répétition des motifs, tandis qu’au XVIe siècle, le motif varie à chaque unité, comme c’est aussi le cas pour l’enfeu de Saint-Genès. Je lui fais voir les cours de la rue Conchette, chez GUILLAUMONT, chez BIGAY, chez CHASSAIGNE. Celle de la rue des Barres, à gauche en descendant, et les tours du côté droit, la construction Louis XIII chez Bravard, etc. Elle est insatiable.
Nous déjeunons aux Péchés Capitaux. La cour intérieure de la maison est devenue une partie du restaurant. Nous parlons beaucoup. Elle s’intéresse beaucoup à N. D. des Suffrages, à St -Genès, la peinture de la chapelle, à propos des huguenots. Pour elle, cette peinture de qualité moyenne, mais intéressante, est fin XVIe début XVIIe, faite pour entourer la statue de la vierge, mais peut-être pas la statue actuelle.
Bruno TOURNILHAC, parlant de la maison CHASSAIGNE où vint MANDRIN, dit qu’on a là cinq maisons différentes, imbriquées les unes dans les autres. Annie REGOND nous a fait découvrir le sol de la cour intérieure, fait de sortes de galets serrés et plutôt orangés, sol très ancien et intact selon elle. Je bénis le hasard qui m’a rendu libre pour cette visite ce matin-là.

Georges Therre

À lire précédemment : Promenades dans le vieux Thiers - Un après-midi chez Bruno Tournilhac.

À suivre : Promenades dans le vieux Thiers - Journée du patrimoine.

Crédits : Mauricia de Thiers, Circus Parade Église Saint -Genès : 6 anges chapelle Nord, Vitrail Ndoduc. Hôtel Favier, Wikipédia. L’homme des bois, Wikipédia. Le rempart, carte postale Delcampe. Ancienne maison MOURET-DELOTZ Maison Conchette. Carte postale rue Conchette, Ministère de la Culture. Christ peint, Raymond Faure. Photo Jacques Ytournel, Jean-Luc Gironde.