Proclamation de la République : à Thiers, la nouvelle est arrivée par la malle-poste

Laïcisation de l’état-civil désormais confié aux municipalités, institution de la faculté de divorce car "celle-ci résulte de la liberté individuelle dont un engagement indissoluble serait la perte", abolition de la royauté : l’An I de la République ne fut pas, comme on le croit trop souvent, qu’un épisode de la Révolution Française. Au-delà d’un calendrier qui eut bien du mal à s’imposer, le 22 septembre 1792 concrétisa dans les textes, l’émergence d’un homme à part entière.
Le sujet, enfin, devenait citoyen.
Dans la France des Provinces, la proclamation de cette ère nouvelle, se fit connaître au gré des malles-poste qui reliaient la capitale aux chefs lieux des 83 départements. Le temps allait lentement à cette époque. Et l’application des textes nouveaux comme d’ailleurs la propagation des « idées » venues de Paris résonnait en échos. Mais c’est bien la France moderne qui s’est esquissée en cet An I où l’on commença à bâtir un état laïque en lieu et place d’un état de droit divin.
La proclamation de la République « Une et Indivisible » bouleversa à jamais l’ordre établi. A Thiers, on accueillit d’abord avec circonspection cette "nouvelle". Mais dans cette ville laborieuse, la graine républicaine allait trouver un terreau des plus fertiles.
Pour revenir plus deux siècles en arrière, nous allons suivre une tranche de vie du jeune Thomas Poutre, personnage, purement fictif. Mais le reste, tout le reste, provenant des textes glanés toute une vie par Jacques Ytournel, archiviste honoraire est authentique. Allez en voiture …

Jean-Luc Gironde

Ainsi donc, le Roi n’était plus le maître. Pour une nouvelle, c’était une nouvelle ! Et le cocher de la malle-poste qui allait à Clermont –avec une bonne journée de retard- n’en finissait pas de donner mout détails. « Citoyens - hurlait-il- la royauté n’est plus. Capet en a fini avec ses méchancetés ; la République a été proclamée ». Et de reprendre : « Savez-vous comment elle est notre République ? » L’assistance de badauds venue saluer le courrier roulait des yeux étonnés.
« Oh ignares invétérés – gronda le porteur de nouvelles- sachez que grâce à Couthon, votre député, la république Française est Une et Indivisible. Sachez encore, indoctes, que sera puni de mort quiconque tentera d’en rompre son unité ou d’en détacher des parties intégrantes pour les unir à un territoire étranger. Sachez enfin, aliborons sans cervelle, que désormais tous les actes publics seront datés de l’An I de la République. »

Comme beaucoup de gamins de la ville basse, Thomas Poutre aimait aller à la rencontre de la diligence venue de Paris. Pour rien au monde, il n’aurait manqué ce rendez-vous.
On y apprenait tant de choses. Le mois dernier par exemple - c’était en août – le courrier avait informé les thiernois que Danton, par décret, avait suspendu le Roi Louis. Pas moins ! Et il ne s’était pas trompé puisque quelques jours après, le tambour de ville avait confirmé ses dires. Cette fois, le cocher avait du forcer sur la bouteille. Thomas Poutre éclata de rire. Le postillon posa ses yeux lourds de fatigue sur ce railleur inattendu. "Comment t’appelles-tu, arrogante créature ?
- Thomas. Thomas Poutre, grommela le gamin apeuré par l’extrémité du fouet qui se balançait tel un hameçon à la pointe de son nez.
- Et bien Thomas, tu as de la chance car si tu t’étais nommé Royal ou Leroy, il aurait fallu te trouver un autre patronyme. Dommage car à ta face, Potiron, Salsifis ou Topinambour aurait convenu".
Dans un claquement sec, la voiture tirée par deux robustes chevaux pris la route de l’ouest.
Ce dernier dimanche de septembre, toutes les haleines fumaient : il faisait frisquet. La nouvelle était officielle : la République avait bien été proclamée. Le cocher n’avait pas menti. Comme toujours d’ailleurs. En mai, l’homme avait prétendu que tous les symboles de la royauté devaient être détruits. Un mois plus tard, les armoiries situées à l’intérieur de l’église Saint-Genès avaient été barbouillées. Puis ce fut au tour de celle sur la porte de la maison abbatiale du Moutier dans le bas de la ville. On vit même l’ancien député du Tiers Etat, Gauthier de Biauzat signer ses lettres JF Gauthier pour que n’apparaissent plus dans son patronyme, le moindre lien avec l’ancien régime.
Idem pour les baptêmes républicains. Personne n’y croyait. Pourtant, le 14 juillet dernier, le maire, M. Rudel et l’abbé Martin, prêtre assermenté, avaient procédé au baptême de deux nouveau-nés.

La cérémonie avait débuté la veille par des salves d’artillerie. Puis le maire avait prononcé un discours très applaudi avant de passer les enfants sous le drapeau de la Patrie et de les engager ainsi envers la Nation, la Loi et le Roi. Désormais ces baptêmes seraient célébrés au nom de la République. Mais cette fois, les choses semblaient être extrêmement importantes. A l’auberge du Grand Tournant, les couteliers commentaient les dernières nouvelles colportées par Carcadet, le tambour de ville. Désormais, l’état-civil était placé sous la responsabilité de la mairie. On pouvait enfin exister sans l’aval de la religion. De même, un couple légitimement marié pouvait se séparer, les liens du mariage n’étant plus sacrés.
- "Voilà qui est justement pensé" se plaisaient à souligner quelques joyeux lurons pour qui le divorce offrait des perspectives nouvelles ! Et puis, il y avait aussi l’instruction publique que le mathématicien et philosophe Condorcet se proposait de généraliser dans tout le pays. Décidément, cette malle-poste était une bénédiction !

Mais Thomas dut attendre quelques années pour voir se concrétiser toutes ces idées nouvelles. L’évolution la plus rapide fut sans conteste, celle de l’état-civil. Dès l’An I, on vit des parents venir déclarer leur progéniture. Et comme depuis le 24 septembre 1793, le calendrier grégorien avait fait place nette au calendrier républicain, l’officier d’état-civil Jacqueton-Brunel enregistra en un mois : deux Brumaire, une Vendémiaire et un Nivôse. Des noms charmants au regard des Dindon, Citrouille, Pioche ou bien encore Laitue que la fougue de patriotes zélés avait voulu substituer aux saints devenus tout à fait inutiles Quant au divorce, le plus piquant, dès l’An II, fut de voir l’ex-curé de Saint-Genès ; l’abbé Martin, devenu officier d’état-civil, en être le grand ordinateur ! Des couples ayant 10, 20 et même 43 ans de mariage comme le notaire Gonin-Faure et sa femme, Anne-Catherine Besse, firent appel à l’ancien curé qui très solennellement et très légalement les rendaient "libres de leur personne ainsi qu’ils l’étaient avant d’avoir contracté mariage". Thomas entendit bien souvent son père menacé sa mère ! Propos purement velléitaires que ce bourru d’émouleur n’eut jamais le courage de concrétiser !

Mais le grand chambardement qui devait marquer toute la vie de Thomas, fut son entrée à l’école. Fervent admirateur de Condorcet – qu’il ne désespérait pas de rencontrer- le maire, M. Rudel avait décidé d’appliquer au mieux les grandes lignes du discours lu par l’ancien Inspecteur Général des Monnaies à l’Assemblée Nationale les 20 et 21 avril 1792 : tout groupe de 400 maisons devait être doté d’une école primaire et d’un instituteur ; tout groupe de 4000 foyers, disposer d’un établissement secondaire. Ce plan devait développer par l’enseignement, toutes les facultés et les talents et « par là, établir entre les citoyens une égalité de fait qui porterait remède à l’inégalité censitaire ». Vaste et généreux programme mais si difficile à appliquer dans une ville de 17 000 âmes dont l’immense majorité était analphabète. D’autant que depuis décembre 1791, l’éducation publique avait cessé d’être dispensée après le retrait des pères du saint-Sacrement qui l’assuraient jusqu’à lors. Mais la municipalité avait décidé de choisir deux ou trois personnes destinées à l’enseignement. Il avait été prescrit à chacun des professeurs le plan d’institution qu’ils auraient à remplir ainsi que les modalités du salaire qui leur serait alloué chaque mois. Ils furent même autorisés à loger gratuitement dans la maison laissée vacante par les pères du Saint-Sacrement. Ce sont les parents en état de le faire qui devaient payer les instituteurs, autrement dit, bien peu de monde. Aussi fut-il décidé de mettre en place un plan d’organisation d’institut provisoire et gratuit. Le 26 octobre 1793, les citoyens Mignot, Grangeon et Bonnefoy furent chargés de le présenter afin d’enseigner gratuitement à lire à quarante enfants peu fortunés.
Thomas Poutre étaient de ceux-là.
Laborieusement, il apprit les Droits de l’Homme, le calcul, la morale, et le français car comme l’avait recommandé a Convention "du Nord au Midi, sur toute l’étendue du territoire français, il faut que les discours et les cœurs soient à l’unisson". Mais surtout, il apprit à écrire son nom. Poutre avec un P comme Potiron ! Il pensa à son père qui dessinait un grand X quand il allait apposer un paraphe. Lui, Thomas, n’avait pas besoin d’un signe de croix pour savoir qui il était.
Désormais, rien ne serait jamais plus comme avant.

Une chronique de Jean-Luc Gironde, avec les textes glanés par l’archiviste municipal Jacques Ytournel.