Pierre Guérin, peintre thiernois - 2

15 septembre 1978

Dès 1815, Guérin avait été nommé académicien dans la section des beaux-arts. En 1816, on lui offrit la direction de l’Ecole française de Rome ; il ne put ou ne voulut pas accepter, et fut remplacé par Thévenin. En 1819, il obtenait le cordon de l’ordre de Saint-Michel, et enfin en 1822, il succédait à Thévenin. Il occupa pendant six ans le poste de directeur de l’Ecole de Rome, mais pendant ce séjour dans la ville qui fut toujours le foyer des arts il dut abandonner les pinceaux à cause de la délicatesse excessive de sa santé ; c’est à pein s’il traça l’ébauche d’un grand tableau qui devait représenter La dernière nuit de Troie. Il fut même, à plusieurs reprises, assez gravement malade pour faire craidnre à ses élèves la mort prochaine de l’auteur d’Andromaque et de Didon. C’est à cette époque que se place l’anecdote suivante racontée par Charles Blanc :

Guérin fit à Rome una maladie très grave et comme on le croyait perdu, le pape lui envoya d’office un de ses cardinaux pour lui admnistrer les derniers sacrements. Guérin qui ne demandait pas encore à mourir eut la force de résister à l’impression morale d’une cérémonie pareille et quelques jours après on fut très étonné de le voir revenir à la vie. Comme il entrait en convalescence, un prêtre attaché au personnel du Vatican vint savoir de ses nouvelles de la part du Saint-Père et en même temps lui présenter la note des frais qu’il avait à payer pour l’extrême onction et le viatique. Guérin un peu surpris fit remercier le Souverain Pontife de sa sollicitude, mais il exprima en souriant le regret que l’arrêt précipité des médecins eût veillé avant l’heure un zèle qui se faisait payer aussi cher.

Revenu en 1829 à Paris, où il fut nommé baron par le roi, Guérin entreprit mais en vain d’achever La dernière nuit de Troie qui devait rester une ébauche. Désirant revoir Rome une dernière fois, il profita du voyage d’Horace Vernet, qui venait d’être nommé directeur de l’Ecole de Rome, pour l’accompagner au-delà des Alpes ; mais craignant de se voir retenu par ses amis, il cacha soigneusement son départ, de telle sorte que le public apprit presque en même temps son arrivée à Rome et sa mort. Il mourut en effet peu de temps après et son corps ramené en France fut déposé à la Trinité-du-Mont, à côté de Claude Lorrain.

Outre ses grandes toiles historiques, Guérin a peint quelques portraits et dessiné quelques gravures. Les plus célèbres de ses portraits sont ceux de Henri et de Louis de la Rochejacquelin, qu’il peignit en chapeau rond et sous l’habit bourgeois, c’est-à-dire en costume de Vendéen. Il leur donna une tournure pittoresque et un air martial en les représentant dans tout le feu et le désordre du combat, la cravate au vent, l’habit chiffonné et le chapeau de travers sur une chevelure agitée. On dirait que ces portraits ont été détachés d’une grande composition historique représentant un épisode de cette guerre que Napoléon a appelé une guerre de géants. La plus originale des gravures est le Ropos du Monde. L’enfant terrible de Vénus, Cupidon est étendu à plat ventre sur le gazon et crache lentement sur la nappe unie d’une fontaine ; tandis qu’il s’amuse à suivre du regard les circonférences qu’il trace ainsi sur la surface de leau, ses flèches reposent dans le carquois et le monde est en paix.

Pour résumer en un mot cette étude, je dirai que Guérin est le Racine de la peinture française, qu’il a les grandeurs et les faiblesses du grand tragique. Chez le peintre comme chez le poète même perfection dans la forme, même souci des détails, même inspiration virgilienne. Comme à l’auteur de Britannicus et d’Athalie, on peut reprocher à Guérin de n’avoir pas manié un pinceau assez vigoureux, à l’exemple de Nicolas Poussin, ce Corneille de la peinture.

Georges Therre

Feuilleton de l’Album de Thiers, ’Avenue Guérin & Avenue Marilhat’, septembre 1878. Documents confiés par Georges Therre.