Passeurs de mémoire - hommage à André Kristos

Une chronique de Laurent Mosnier – juillet 2022, hommage à André Kristos (1922-2013)

Note de l’auteur

André Kristos a eu un impact important sur la mise en valeur du patrimoine thiernois, notamment le centre ancien médiéval, la vallée des Rouets et les Margerides. Lui rendre hommage était un objectif, depuis sa disparition en 2013, mais il a fallu laisser s’écouler un peu de temps pour prendre du recul.... Il a été une personne importante dans mon parcours et c’est lui qui m’a fait basculer du lecteur passionné de l’histoire locale au rôle plus délicat de celui qui écrit et publie le résultat de ses recherches.

Mais comment lui rendre hommage et sous quelle forme ? La seule chose qui en est ressortie, c’est d’écrire et de raconter nos années de collaboration et d’amitié sous la forme d’un récit autobiographique. Mon approche est donc une vision intimiste et personnelle d’André Kristos, à travers son engagement bénévole dans diverses actions de terrain mais également le travail fastidieux de transcription et d’interprétation des archives et autres anciens documents.

Ce texte n’a pas été revu et corrigé par d’autres personnes. J’ai essayé de le rendre lisible et précis afin de retranscrire au mieux ces moments communs. Merci de votre indulgence envers les quelques coquilles et fautes que peut comporter le récit. Cette histoire a été partagée sous forme de dix publications Facebook de mai à juillet 2022 (groupe FB Thiers et son bassin). Les illustrations, photos, cartes... regroupent tout ce que j’ai pu retrouver sur André durant ces périodes diverses. Certaines m’ont été directement données par lui pour illustrer les publications réalisées avec l’association Escotal. Je regrette aujourd’hui de ne pas avoir plus photographié certains lieux ainsi qu’André Kristos... Il m’a néanmoins laissé des CD-Rom comportant un nombre important de photos de la vallée de usines qu’il voulait que je conserve ainsi que des articles de presse (Gazette et La Montagne) le concernant ou parlant d’un sujet important à ses yeux. Certains de ces coupons de presse sont annotés par lui-même de divers commentaires. Je n’ai reçu aucun autre document à la suite de mon appel sur le groupe Facebook consacré à Thiers et son bassin. Tous les documents SK (Soanen – Kristos) ont été déposés aux archives du musée de la Coutellerie de ses propres mains vers 2010-2012, ils doivent donc être consultables sur demande directement au musée.

Je rappelle également que l’Atlas de Thiers à travers l’Histoire écrit de 2003 à 2012 par André Kristos avec ma collaboration (infographie + cartes) n’a jamais été publié sous format papier par faute de moyen et de personne pour s’en occuper. Ce document de 27 cartes et d’environ 150 pages sur l’histoire de Thiers est néanmoins disponible en version électronique (.pdf) sur demande.

Ce récit est publié à compte d’auteur et sera donné gratuitement à ceux qui le souhaitent. Il pourra également être diffusé sur d’autres sites internet sur simple demande. Je reste également ouvert à tout projet d’édition papier dans le cadre associatif ou autres. Le seul but de ce texte est de rendre hommage à André Kristos et de replacer son nom dans l’histoire locale de Thiers, place qui est la sienne.

Laurent Mosnier

Passeurs de mémoire

La première fois que je vis André Kristos, c’était en 1986 au pied du rocher de Margeride, au-dessus des Millières. Quelques décennies plus tard, ce détail anodin résonne en moi comme un signe de la vie. Un pur hasard peut-être... ou alors la manifestation de ce que certains appellent le destin.

Ce jour-là, alors adolescent, j’étais allé accompagner un copain dans les Margerides pour aider d’autres bénévoles à débroussailler le vieux sentier qui longe les gorges escarpées de la Durolle. La mission du week-end consistait à cimenter deux piquets métalliques pour soutenir un drapeau sur un promontoire du rocher de Margeride selon une ancienne tradition thiernoise des quartiers hauts de Thiers notamment celui de Boulay dont était originaire André Kristos. Mon premier contact avec André m’a marqué car ce retraité de 64 ans avait une forme olympique. Grand, élégant et élancé, « sec comme un coup de trique », petite moustache, les yeux vifs derrière ses lunettes, André grimpait sans effort, pelle et pioche à la main, sur les pentes abruptes de notre rocher. Il nous expliqua le but de cette opération : planter un drapeau blanc tous les 50 ans face au quartier haut de Boulay. Lui-même, âgé de 14 ans, l’avait fait en 1936 selon la tradition qu’on lui avait transmise. Le but précis de cette commémoration ne semblait pas vraiment connu. Mais il fallait la perpétuer... Il comptait même sur nous pour le refaire en 2036 ! Ce fut une agréable journée passée avec lui, accompagné d’autres jeunes notamment d’adolescents en difficulté de par leurs handicaps légers. Ce dernier point n’empêchait pas André de les avoir emmenés ici dans ce coin reculé et difficile de Thiers pour participer à cette mission particulière. Il avait cette qualité de ne pas juger ou catégoriser les gens selon leurs provenances, leurs aspects physiques, leurs cursus, leurs âges... Seules leur envie, motivation voire passion commune suffisaient à ses yeux pour intégrer son équipe de bénévoles.

André Kristos est né à Thiers en 1922 d’un père grec immigré, coutelier de profession, et d’une mère thiernoise. Il grandit dans les quartiers hauts de Thiers puis jeune adulte, devint coiffeur quelques années. Un peu plus tard, il s’installe avec sa famille, rue du Docteur Lachamp où il restera 40 ans pour devenir monteur-émouleur de coupe-volaille. Il finira sa carrière professionnelle comme conducteur de bus scolaire jusqu’à sa retraite en 1981. Depuis 1983, André avait fondé une association qui marquera les années 80-90 à Thiers : le Pays Thiernois et son Histoire. Sous sa présidence, cette association aura deux principaux sujets : ressortir du néant la Vallée des Rouets et rouvrir l’ancestral sentier des Margerides. Le travail de mise en valeur et de défrichement s’est naturellement concentré sur ces deux projets phares. Mais un grand nombre d’autres sujets historiques voire culturels furent étudiés et abordés en parallèle comme la géographie médiévale du centre ancien de la cité coutelière. Je participais par la suite à quelques missions ponctuelles de débroussaillage notamment de la vallée des rouets sans réellement intégrer l’association... puis quelques années passèrent.

Jeune adulte, les études et le travail m’incitant à quitter ma ville natale, je ressentis rapidement, outre le déracinement, l’envie de connaitre mieux l’histoire et le passé de Thiers. J’ai commencé d’abord par lire des ouvrages sur l’histoire locale notamment les incontournables recueils d’Alexandre Bigay, figure illustre des historiens thiernois. Mais ce qui me passionnait par-dessus tout, c’était les brochures du Pays Thiernois et son Histoire. Faites de bric et de broc, ces brochures abordaient beaucoup de sujets passionnants sur l’histoire de la région thiernoise. La grande différence avec les autres érudits locaux, c’est qu’André Kristos était un homme d’action notamment par de nombreuses activités, recherches, prospections et débroussaillages sur le terrain. Cette passion pour l’histoire s’est petit à petit confirmé avec le temps. Pourtant, mon parcours scolaire essentiellement orienté vers les études scientifiques m’avait éloigné de cet enseignement de l’histoire trop académique, où l’on apprend des dates par cœur sans en comprendre le sens... au point de m’en dégouter...Comme quoi, rien n’est perdu ni irréversible.

Ayant quitté la région pour les prémices d’une vie professionnelle dans l’industrie pharmaceutique en Alsace, je ressentis le besoin d’entrer en contact avec l’association du Pays Thiernois. Je me souviens avoir eu rendez-vous un samedi matin au domicile d’André Kristos, au 22 rue du Docteur Lachamp, c’était au milieu des années 90. Une dizaine d’année était passée depuis notre escapade sur le rocher de Margeride mais André n’avait pas changé, toujours en forme, grand, sec et droit ! Je lui ai expliqué que j’admirais son travail avec l’association et que j’étais un féru des brochures du Pays Thiernois. Je lui ai donc proposé mon aide pour quoi que ce soit qui puisse être utile à son association. Il m’a accueilli à bras ouverts, heureux qu’un jeune intègre son équipe. J’en profitai pour lui glisser un article que j’avais écrit au cas où le sujet puisse l’intéresser. Quelques jours plus tard, il me contactait pour m’annoncer que mon article sur les arbres remarquables thiernois paraitrait dans la prochaine brochure n°22. Je me rends compte aujourd’hui à quel point je lui suis reconnaissant de m’avoir fait confiance et de m’avoir permis de publier. Il y a une énorme différence entre lire une publication et écrire une publication, le passage de l’un à l’autre est un ravin effrayant. Il avait également besoin de moi pour la pagination de la nouvelle brochure, étant donné que je maitrisais la partie informatique. Ce fut le début de notre collaboration et de notre amitié, qui durèrent jusqu’à sa mort, en 2013.

Je compris assez vite qu’André était dans une période difficile de sa vie. Il était aux soins pour sa femme Andrée gravement malade qui décédera peu après. De même il y avait des différends entre les membres dirigeants de l’association et André cherchait du sang neuf, notamment une personne plus jeune pour présider le Pays Thiernois. Il m’en parlait souvent, regrettant que je n’habite plus la région thiernoise. Même si elle était séduisante, cette idée me paraissait incongrue tant la tâche me paraissait grande et ce rôle illégitime. Il tenta d’intégrer un jeune homme motivé durant cette période mais cela ne dura qu’une année car cette personne connut des problèmes familiaux la poussant à partir. Ce fut la fin de la présidence d’André Kristos à la tête du Pays Thiernois et son Histoire, la fin d’une période faste pour l’histoire locale de Thiers, la fin du style Kristos... D’ailleurs, quand j’en parlais avec lui, il me disait que son association s’appelait « le Pays Thiernois et son Histoire » avec un H majuscule à « Histoire ». A partir de la brochure n°23, l’association ne s’appellera plus que « le Pays Thiernois », tout un symbole... Aujourd’hui je ne connais pas vraiment la raison de son départ, il restera président d’honneur quelques mois, avant de définitivement partir.

Le rocher des Margerides au sommet des Millières (photo L Mosnier – 2021). C'est ici que j'ai rencontré pour la première fois de ma vie André Kristos en 1986.

Le rocher des Margerides au sommet des Millières (photo L Mosnier – 2021). C’est ici que j’ai rencontré pour la première fois de ma vie André Kristos en 1986.

Les quartiers hauts de Thiers dont Boulay dont était originaire André Kristos. (photo L Mosnier – 2021)

22 rue du Docteur Lachamp, la maison des Kristos jusqu’en 1997, c’est ici que la grande majorité des brochures du Pays Thiernois et son Histoire a été conçue... (photo L Mosnier – 2022)

Andrée, la femme d’André Kristos qui a travaillé dans l’ombre pour la mise en page des brochures du Pays Thiernois et son Histoire. (photo A Kristos – remise en 2003)

André et Andrée Kristos.
Cette photo m’a été remise par André pour illustrer la brochure de l’Eau à Thiers en 2003. (photo A Kristos– remise en 2003)

La suite : Passoire de mémoire - Le Pays Thiernois

Contactez l’auteur, Laurent Mosnier.