Miettes d’histoires en Thiers
À vivre longtemps au même endroit, je veux dire dans la même région et pour peu que l’on soit un peu à l’écoute des gens, on finit par accumuler un tas de récits et d’histoires locales plus ou moins intéressantes et souvent anecdotiques voire drôles. En sélectionnant celles qui font sourire et parfois rire, on peut faire un petit recueil qui aura l’avantage de les conserver, mais surtout de donner la possibilité de continuer à les raconter et peut être de procurer du plaisir à ceux qui viendront après nous, mais n’est-ce pas là le but des écrits ?
Où trouvons-nous ces historiettes, où les entendons-nous ? Partout me direz-vous. Les témoins, les « parleurs », les conteurs sont nombreux, il suffit de les écouter, d’ailleurs tous ceux-là n’ont pas le privilège de « l’invention », ils se contentent de relater des histoires, même si elles sont souvent « vécues » par un grand nombre d’entre eux et parfois bien malgré eux. Des situations cocasses, vous le savez, nous arrivent inopinément à tout bout de champ. Souvent, lors des rencontres autour d’une table, d’un apéritif, d’un dîner, elles sont relatées avec bonheur par ceux qui les racontent et, il faut le dire, parfois appréciées par ceux qui les écoutent. Bien sûr, « la blague » qui circule à grande échelle (surtout avec les moyens actuels de diffusion) peut être agréable, mais je voudrais plutôt vous narrer des histoires de mon entourage, celles qui, justement, ne connaîtront pas la gloire extra régionale diffusée par l’internet.
J’aime à parler des « mots d’enfants », souvent d’une logique implacable parce que ce sont souvent des « mots parlants », peut être pas savants mais une traduction d’idée très significative et spontanée. Je me souviens d’un mot entendu, il y a quelques années, dans notre entourage par Jules, un petit garçon de six ans, fils de nos amis. Nous étions alors en vacances dans le Var et souvent, les après-midis nous allions prendre le traditionnel bain de mer à Saint- Raphaël. Pour une raison que j’ai oubliée, mon épouse n’avait pas voulu nous suivre. Le petit, intrigué par cette décision, tournait autour du pot pour en connaître la raison. Finalement devant son insistance mon épouse, pour couper court à ses interrogations, finit par trouver un prétexte qui lui semblait convaincant, lui disant qu’elle n’avait pas de maillot de bain. C’était en effet une raison valable ! Et Jules dans la foulée de lui répondre : « mais tu n’as qu’à te baigner en fesses ! »
Quelques autres « mots d’enfants », ceux-là rapportés par notre amie Madame de la Roche, ancienne Présidente de la Société des Etudes Locales, elle les tenait de ses propres parents. Un dîner devait avoir lieu avec un cercle d’amis dans les années faisant suite à la Grande Guerre. Ce soir-là, figurait, parmi les invités, un ancien soldat amputé d’une jambe et équipé d’une « jambe de bois », comme l’on disait à l’époque. La maîtresse de maison, organisatrice de la soirée, avait pris la précaution d’instruire son petit garçon sur ce qu’il allait voir comme une « anomalie » chez cet homme. Elle lui demanda expressément de ne pas faire cas du fait et de ne parler sous aucun prétexte de cette jambe si particulière. Le moment venu, le repas battait son plein, assis sagement, le petit garçon n’en demeurait pas moins fort intrigué par la fameuse jambe. Obéissant, il ne pouvait déroger à sa parole donnée. Néanmoins, en « tirbouchonant » tant et plus sur sa chaise et n’y tenant plus, il finit par demander à sa mère, comme pour amorcer de manière détournée une explication sur le sujet tabou : « est-ce que je pourrais parler de l’autre jambe ? ». Avouez, que c’est là faire preuve d’une certaine diplomatie pour ne pas affronter le sujet de face.
Toujours pour rester dans le registre des enfants à table. Il faut se souvenir qu’il n’y a pas si longtemps, les enfants étaient seulement tolérés parmi les invités et encore, sous certaines conditions. En remontant un peu plus dans le temps, ils devaient manger à part, voire à la cuisine. On trouve encore quelques réminiscences de cette pratique, de nos jours, lors des grands repas de famille, mariages, cousinades etc. il est fréquent de placer les enfants autour de tables qui leur sont exclusivement réservées (d’ailleurs, entre nous soit dit, tout le monde s’y retrouve). J’ai même lu quelque part qu’au Moyen-Âge, dans notre pays, il était assez fréquent d’installer les enfants, pour les faire manger, près des chiens ! Pas si bête finalement, ce qui débordait des assiettes était récupéré par les chiens, qui nettoyaient parfaitement le sol et les enfants étaient sous leur protection ! Nous n’irons peut-être pas jusque-là aujourd’hui !
Une autre fois donc, la maman d’un petit garçon, qui prévoyait un repas chez elle avait, là encore, sermonné le petit, lui demandant explicitement de ne pas parler à table, de ne jamais prendre la parole (les temps ont bien changé !) et surtout de ne rien réclamer, quoi qu’il arrive. Le repas s’était bien déroulé, on n’avait pas entendu l’enfant qui était resté sage comme une image. Arrive le moment du dessert, que l’on sert à l’assiette, à table. Malencontreusement, on oublie de servir le petit. En effet, rien ne vient dans son assiette. Prisonnier par la recommandation de sa mère il sent la situation grave voire désespérée. C’est alors que dans une réaction de génie et sans rien demander, il saisit son assiette des deux mains et crie à la cantonade : « si quelqu’un a besoin d’une assiette, j’en ai une propre ! ».
La « fabrication » des enfants leur est de nos jours très tôt expliquée, les cigognes et les choux, dans ce domaine, sont relégués depuis longtemps au rayon des antiquités anecdotiques. À Thiers toujours, il y a quelques années, une fillette en bas âge, très intriguée par le ventre de sa maman dont la grossesse était très avancée, la questionnait journellement sur l’arrivée du petit frère ou de la petite soeur. Est-ce que le bébé va sortir par les yeux ? Non bien sûr – par le nez ? Non pas par le nez, - par la bouche ? Non, c’est très bien étudié, les enfants naissent par une voie naturelle depuis toujours ! La petite, perplexe réfléchit et dit : « ne me dis pas qu’il va sortir par le derrière parce que ça, ça me ferait regret ! »
Une petite historiette familiale maintenant, (même si ça n’est pas un mot) mon épouse peut dire aujourd’hui qu’elle a été prise dans les bras d’un officier Allemand. C’était en 1944, elle était assise au milieu de la rue dans son petit fauteuil en rotin, devant le café du théâtre (place des martyrs) que tenaient ses grands-parents, au moment du passage d’une colonne de soldats. L’officier, stoppant la marche des militaires, délicatement prit le fauteuil et l’enfant et les déposa sur le trottoir. C’est dans ce même café et à la même époque qu’un soldat allemand ayant sans doute forcé sur la bouteille s’endormit, les coudes sur la table. Se réveillant en sursaut, il se vit dans le miroir du mur situé en face de lui, ne se reconnaissant pas (c’est dire son état !), il dégaina son arme de poing et tira dans le miroir ! Le trou de balle, témoin indéniable de l’Occupation existe toujours !
Dans le jardin aussi, j’ai des souvenirs : lors d’une visite des enfants de l’école du Fau, je faisais le guide, passant d’un jardin à l’autre en essayant d’être le plus pédagogue possible. Arrivé sous un gros noyer, je demande : « quels fruits donne le noyer ? » un petit garçon le doigt levé, demande la permission de parler, elle lui est accordée et lui de répondre : « les noyaux ! ». Une autre fois, la table était dressée au bord de la piscine, l’invité venait de Beyrouth (ce n’était pas un enfant) accompagné d’une paire de jolis chiens, (entre bichon javanais et shih tzu !), parlant très bien notre langue (le monsieur), avec tout de même quelques failles par-ci par-là. Il résidait, durant son séjour, au deuxième étage de la maison, avec ses chiens. Après s’être changé, il redescendit à l’heure du dîner, sans les chiens. Mon épouse, surprise de ne pas les voir, de lui demander innocemment : « vous les avez remontés ? Et lui de répondre : « mais si vous voulez je peux les démonter ! ».
Vous l’avez compris, toutes ces miettes d’histoire n’ont qu’un but, celui de vous distraire, j’espère voir réussi cette entreprise, somme toute pas si difficile !
Jean Paul Gouttefangeas