Les souliers
C’était un soulier usagé, séparé de sa moitié, jeté dans le fossé et abandonné. Je l’avais récupéré car il me faisait pitié. Quand je suis passé il m’avait semblé lui entendre dire : je peux encore marcher, il suffit de me prendre, mettez moi à votre pied je vous en saurai gré. Quel étrange appel venant d’un soulier ! Il insistait : je ne ferai pas mal à votre pied, je suis brisé vous me raconterez des histoires en marchant, quel que soit votre pas, rapide ou nonchalant.
Surprenant certes mais tentant, tout en me demandant, que dire à un soulier percé, vu son état on pouvait deviner aisément que celui qui l’avait chaussé avait dû marcher longtemps. Je pense même que si son propriétaire avait eu l’idée de le porter à la main comme je le faisais maintenant, il lui aurait fait plus d’usage ! Je sais bien qu’il est aussi de bon ton pour certains de parcourir pieds-nus les chemins de la vie, sans craindre son côté raboteux. Moi j’étais plutôt dans le rang pour courir, chaussé comme on me l’avait appris et puis vous savez bien, les sabots si on les met à l’envers, comme le loup (dans la chanson) on tombe par terre ! Ce qui ne m’a pas empêché, parfois, de tenter (avec mes souliers) d’aller piétiner la lune et même parfois de lui faire un pied de nez !
À mon soulier trouvé, que lui raconter ? Je ne suis pas un ‘’sneakerhead’’ (fan de chaussures) . Que les souliers portent les hommes de l’école à la guerre, qu’ils peuvent être souliers de gueux et souliers de reine, on a connu des sabots qui claquaient comme des drapeaux quand tout un peuple est en marche vers la liberté. Cela rappelle parfois aux grands qu’il faut savoir écouter gronder ce bruit des sabots, il est le bruit de la colère, voire de la révolte. Ce sont les épreuves et même les combats qui forment la vie comme les chaussures forment les pieds !
L’existence de ces chaussures que nous portons ne date pas d’hier, il y a 8000 ans elles étaient, paraît-il, faites d’écorce, on a même trouvé des ‘’reliques’’ aux pieds de Pharaons qui vivaient 3000 ans avant notre ère ! À croire une chanson il y a même un âne qui en portait de couleur lilas ! Il n’empêche que c’est seulement avec des chaussures ferrées que l’on marche sur les épines et qu’il faut avoir marché pieds-nus pour se rendre compte de la souffrance que ressentent ceux qui, justement, marchent sans chaussures.
Au risque de parler un langage déjà connu et déformé comme des souliers trop étroits, je proposais à mon soulier de rencontre un petit tour du monde des chaussures en me gardant bien de ne pas entrer dans son âme avec les miennes ! Parler des souliers du Monde n’est pas aisé, comme il est sûrement plus facile à un caillou d’entrer dans une chaussure que d’en sortir, vous en savez quelque chose. Alors, sur la pointe des pieds j’ai commencé à parler d’espadrilles, de mules si légères, de charentaises si douces en feutre, de ces chaussures si dures dites de sécurité, des cuissardes qui montent au dessus du genou, en caoutchouc pour ceux qui vont à la pêche mais aussi pour les dames très sexy souvent en d’autres lieux et dans d’autres matières. Puis vinrent sur le tapis les poulaines à bouts retournés de la fin du Moyen Age, les heureuses chopines à semelles très hautes qui protégeaient les bas de robe des dames de qualité. Moins romantiques les bottes ‘’rangers’’ pour partir au combat. Avec plaisir j’ai abordé les pointes ou chaussons de danse ‘’deux petits chaussons de satin blanc qui tournaient et dansaient gaiement’’, chaussons tout doux (en apparence) que l’on cherche partout, les ballerines féminines par excellence. L’escarpin si décolleté qu’il laisse apparaître le cou-de-pied. Une autre chaussure (moins portée de nos jours) le cothurne de l’antiquité gréco-romaine qui fit fureur en son temps !
On connaît aussi le ‘’découpé’’ qui laisse voir le talon des dames, les chaussures bateau aux semelles très tendres pour préserver les planchers, l’abarka le soulier souple du Pays Basque, le mocassin né chez les Indiens. Il y a aussi toutes ces chaussures que l’on désigne maintenant sous le nom des marques : Nike, Crocs, Weston, Velaska, Oxfords, Pataugas, Adidas, Derby, Richelieu Rossignol , sans oublier les mythiqes ‘’Moon star shoes’’ etc. et puis toutes les autres, moins nobles peut-être mais aux noms très populaires : les sandales, les nu-pieds, les godillots, les brodequins, les grôles, les bottines, les santiags, les claquettes et bien d’autres encore, tenez voici les tennis, la liste est très longue. Il faut bien dire quelques mots des luxueuses ‘’creepers’’ (mot parfois fictif dans les jeux) que l’on portait il y a déjà presque un demi siècle dans les milieux punk et gothique. En parlant de luxe ce serait péché que ne pas parler aussi des chaussures de grand prix portées par les femmes : elles viennent de chez Rossi, Louboutin, Givenchy, Vuitton, Chanel. Les dames affectionnent particulièrement les chaussures. En France elles détiennent même le record du Monde, même Freud le mentionne en faisant de la chaussure un symbole de puissance chez elles ! Aujourd’hui elles sont surtout fabriquées en Chine, en Inde et au Vietnam. On est bien loin de l’ancienne capitale : Romans.
En Irlande pour danser on chausse les ghilliers, en Inde ce sont les padukas, en Suisse les schlaps. Au Maghreb on enfile la balgha, cousine de la babouche (pas pour danser) au Québec on affectionne les gougounes (savates), ailleurs ce sont les tongs et autres baskets et aux Baléares les avarkas ces espadrilles appelées ménorkinas que tout le monde porte et en Amérique du Nord on chaussait il n’y a pas si longtemps : le pichou.
Dans le Japon traditionnel les chaussures ont une grande importance dans le costume, on trouve les getas, les zoris sortes de sandales, ce sont aussi les okobos portées par les mariées et surtout le tabi, sorte de sac à pied où le gros orteil est séparé de ses congénères (toujours pour le mariage ?)
Ce serait un oubli grave que de ne pas évoquer dans ces lignes les sabots, ils ne sont plus beaucoup portés mais ils le furent tant et tant. Tellement de chansons nous parlent des sabots, entre ceux qui réclament qu’on les leur rende en confessant qu’ils ne sont rien sans eux, ceux d’Hélène qui passant par la Lorraine rencontra qui vous savez, ceux-là un peu mufles puisqu’ils l’appelèrent Vilaine ne sachant pas à qui ils avaient à faire puisque le fils du roi l’aimait avec ses sabots (dondaine) moi, sans prendre la peine de les déchausser (mais je ne suis pas capitaine) Hélène je ne la trouvais pas vilaine. Une belle bergère sabotée rêve toujours des bras d’un berger. Et les sabots du petit Grégoire venus de Bretagne comme la duchesse Anne qui en chaussait aussi, ’’ vivent les sabots de bois ha, ha, ha’’ ! Et cette Marie qui avait cassé le sien et qui allait maintenant à cloche-pied trouver l’amour et des sabots neufs parmi les copeaux de celui qui les fabriquait. Une autre encore, Clap Sabot celle-là ‘’mes sabots de bois je les mets-y ou j’les mets-y pas’’ ? Une autre chansonnette, triste celle-ci. Elle parle des petits sabots de frêne que faisait le sabotier pour son fiston mais il était trop beau il partit au Ciel et pour l’orner emmena les sabots au Paradis. Rassurons-nous, les petits sabots de Bretagne, comme ceux d’Auvergne, chantent surtout des chansons jamais monotones parce qu’ils vont souvent coucher chez les fées.
Sur le chemin on croisa soudain une paire de grôles suspendues aux fils électriques. Lamentablement attachées ensemble au bout d’un lacet elles pendaient. Difficile d’en expliquer la raison même si c’est un phénomène mondial : rituel, par jeu, point de deal dans un quartier, frontière entre bandes rivales, célébration de la fin de l’année, suite à un bizutage militaire, cette pratique mystérieuse aurait (paraît-il pour certains) pour but de rapprocher du ciel l’esprit d’un défunt à son retour sur terre ! Au milieu de tout ça il y a sûrement, (je crois) des coups de pompe (bien placés) qui se perdent ! A ce propos, savons-nous d’où vient ce mot pour désigner des chaussures ? Tout simplement du fait que les souliers percés aspirent l’eau comme une éponge, rien à voir donc avec la pompe funèbre ou le fait de soûler les gens. Quoi qu’il en soit mon compagnon soulier était démoralisé, il avait maintenant le cafard, moi j’en avais marre d’avoir trop parlé, j’ai voulu rentrer pour enfiler mes pantoufles. Sitôt arrivé j’ai quitté mes souliers, j’ai mis mon compagnon dans le placard au fond d’un tiroir, il n’était pas dépaysé au milieu d’autres de son espèce. Autour de lui il n’y a pas de souliers vernis, il paraît que ceux là ne conduisent pas au Paradis alors tous ils étaient éculés et crottés, je me méfiais, (je voudrais être pardonné), on ne sait jamais de quoi demain sera fait ! Un jour, comme mes souliers, je cesserai d’user les planchers ! Peut-être que d’autres attendent pour les récupérer pour marcher alors il leur faudra (peut-être) faire preuve d’encore un peu de patience !
Devant ma porte il y a depuis toujours une paire de sabots, ils servent de temps en temps, sans pour autant donner l’impression de battre la semelle, après tout ils ne sont pas dans un pays de malheureux, ils m’accompagnent en chantant au jardin. Ils brillent un peu sous la lune, je pense qu’ils attendent toute l’année le passage de St. Nicolas qui les comblera de sa bonté.
Cette rubrique, ça n’était peut-être pas le pied mais quand même, moi je l’ai pris ! Là j’arrête car il vaut mieux partir avant de lasser ses lecteurs, chaussures lacées ou non !
Jean-Paul Gouttefangeas
Crédit photo : Jean-Luc Gironde.