Les mots volés

C’est un petit amusement auquel je me suis livré en prenant des mots, en copiant des phrases d’auteurs par ci par là en parcourant des rues de la cité coutelière. Lecteurs, vous reconnaitrez sûrement d’où ils sont issus.

Ça m’est arrivé au coin des hasards, si vous croisez un vent maraud, prenez garde à votre chapeau, il pourrait dévaler comme un bateau ivre et s’envoler comme un lys dans la vallée où au milieu coule une rivière : la Durolle. Ce n’est pas là qu’à l’heure tranquille les lions vont boire mais Dieu qu’en cette gorge la montagne est belle. Mon chapeau parlait maintenant disant : ‘’ je m’en vais au vent mauvais qui m’emporte de ça de là pareil à la feuille morte, la tempête a béni mes éveils maritimes, plus léger qu’un bouchon j’ai dansé sur les flots ‘’. Plus bas, j’ai heurté, savez vous, un incroyable ‘’enfer’’ fait de murs endiablés, entouré de violentes cascades, qui semble un navire échoué par quelque héroïque aventure, dormeur à l’oubli dévoré de mêmes figures de pierre, tous ceux là dont le vent du nord ronge avec lenteur les images. N’est-ce pas là le berceau rude de la grande et belle cité qui plus tard avec volupté s’assit dans cette solitude. J’ai nagé sous les yeux horribles des pontons et pourtant je le reconnais, c’est un trou de verdure où chante une rivière, où le soleil de la montagne fière luit ’’.

Moi, dés l’aube, à l’heure où blanchit la campagne, j’ai descendu la vallée des usines, je n’ai trouvé personne mais je n’ai pas tourné en rond. Puis l’aurore a dissipé la nuit, j’arrive tout couvert encore de rosée que le vent du matin vient glacer à mon front. J’ai longé d’autres carcasses éventrées par le temps et les flammes, elles naguère si belles demeures du labeur des hommes, elles sont devenues pathétiques dans leur misère, béants parfois leurs yeux sont des feux mal éteints parce que la lumière tombe du zénith par leurs toits échancrés : le temps d’apprendre à vivre il est déjà trop tard. Et le temps a bouché les clairons de la gloire ! Partout la terre avare a repris les pierres des quais et des rues et les demeures disparues gisent sous les tertres fleuris. Vers le nord mais moins avant, escaliers, murs en longs dédales sonnent avec langueur au vent. Toujours, les cascades dansaient là-bas comme de blancs chevaux fougueux, la crinière pleine d’écume et d’arcs en ciel dans la belle avalanche de la vallée.

Jetée par-dessus, une passerelle qu’empruntent les passants, une voie suspendue sur le torrent qui roule se moquant des ans et qui résiste aux éléments. Si ce vieux pont pouvait nous conter les histoires de ce temps où la mousse ne l’avait revêtue, combien de nos parents reverraient leur mémoire se perdre dans les flots bouillonnants ? Quand sonne l’heure, je me souviens des jours anciens et je pleure !

Mené par un désir de découverte, j’ai suivi la route escarpée, mouvante et ardue, j’ai à regret quitté la vallée verte où l’automne, enlumineur silencieux et lent a déjà sur les murs rougi la vigne vierge. J’ai repris ma course vagabonde pressant le pas comme ceux qui vont seuls. Ainsi poussé vers de nouveaux rivages vers l’ouest, loin vers la plaine claire j’ai marché. Atteignant le plat, la rivière s’assagit, engourdie par l’odeur de la menthe dans les draps de son lit se retourne et se coule. Sur la berge les grands voiles bercés mollement par les eaux, les saules frissonnants pleurent sur mon épaule et puis allègrement l’eau continue sa course comme pour s’en aller plus loin. Pentes abruptes, rochers muets, grottes, forêt obscure faites moi garder belle nature au moins le souvenir, laissez nous nous mêler au sommeil de l’immense parure. Une musique emplit ma tête, les sanglots longs des violons de l’automne blessent mon cœur d’une langueur monotone.
.
Soudain dans le lumineux débouché est survenue, muette, la maison du Roi assise comme une veuve qui fut sans doute caressée par le regard d’un siècle impie : l’abbaye, entourée encore de roues et de chutes et d’écluses de moulins aux vannes rouillées. Elle fut en son temps grande et lumineuse habitée de cantiques. Ô temps ! suspends ton vol et vous heures propices suspendez votre cours laissez nous savourer les rapides délices des plus beaux de nos jours.

Les sons à mes oreilles étaient bien réels dans l’essaim frémissant des cloches du dimanche quand la prière en secret nous écarte les lèvres ! Alors en rêvant tout bas, je vis une vie de bout en bout, délivré du creux de l’enfer et j’ai vu quelques fois ce que l’homme a cru voir. Ô course ineffable !

Sur un banc du parc tout proche je me suis reposé. J’ai contemplé la cité grimpant de toutes ses façades, escaladant la colline. Autour de moi, j’aurais pu faire un bouquet de houx et de bruyère en fleur mais mes yeux doucement se sont fermés, je me suis endormi heureux.

Il meurt lentement celui qui ne voyage pas, celui qui ne lit pas, celui qui n’écoute pas de musique, celui qui ne sait pas trouver grâce à ses yeux. Et je veux, en dépit de la mort souveraine affirmer qu’il est beau de vivre et d’être fort et marcher parmi ceux que l’espérance entraîne au-delà des chemins jonchés de feuilles d’or. À nouveau, demain de bon matin je fermerai ma porte au nez des années mortes, j’irai sur les chemins, je n’oublie pas : du beau phénix s’il meurt un soir, le matin voit sa renaissance.

À cette heure, mon beau navire ô ma mémoire, avons-nous assez navigué de la belle aube au triste soir. Vienne la nuit sonne l’heure, les jours s’en vont je demeure.

Tous nous le savons, ni le temps passé, ni les amours reviennent……..

Mots volés par Jean Paul Gouttefangeas

Crédit photo : Jean-Luc Gironde.