Les méfaits d’un loup à Saint-Gemain-L’Herm en 1839

Où ? Où ? Où sont passés les loups ? Jadis ils pullulaient dans nos montagnes, dévorant – à ce qu’on raconte - bêtes et enfants. Des siècles durant, le loup maudit et mal aimé a rôdé dans l’ombre de l’homme, tenant ses nuits éveillées par de longs hurlements lugubres. Aujourd’hui, il n’y en plus. Reste la peur alimentée par de terribles histoires. Fables et légendes regorgent des méfaits de ce chien anarchiste, de ce « fléau de dieu » rien moins… Merci à Jacques Ytournel pour ce récit.

Voici une histoire de méchant loup retrouvée dans ses archives par Jacques Ytournel, archiviste honoraire de la ville de Thiers et président de la société Montdory. Cet épisode fut relaté en 1840 par le chevalier de la Chapelle, grand louvetier, célèbre pour ses exploits cynégétiques. Les faits se sont déroulés en 1839.

La désolation et la terreur règnent depuis quelques jours dans les communes limitrophes de Saint-Germain-L’Herm, de Chambon et de Saint-Bonnet-le-Chastel, arrondissement d’Ambert.

Un loup enragé selon toute apparence (quelques personnes disent plusieurs) a fait des ravages épouvantables. Dans la soirée du jeudi et le lendemain (19 et 20 décembre), environ quarante personnes, hommes, femmes et enfants ont été mordues et horriblement mutilées. On compte, seulement dans le petit village de Brement, de la commune de Saint-Germain-L’Herm, sept enfants qui ont été plus ou moins maltraités, mais tous gravement blessés.

Pour vous donner une idée de la rapidité avec laquelle cet animal furieux multipliait ses victimes, il suffira de dire que dans l’après-midi du 19 décembre, vingt-deux personnes ont été atteintes. Le docteur Fournier, maire de Saint-Germain-L’Herm, en a traité à lui seul quinze ou seize, ce jour-là. C’est principalement à la figure que le loup s’élançait : la majeure partie des personnes qui ont été mordues sont blessées au visage.

Dans la journée du vendredi 20 décembre, M. le brigadier de gendarmerie, en résidence à Saint-Germain-L’Herm, me prévint par estafette de ce qui se passait dans la localité, avec invitation de m’y rendre. Je lui répondis qu’on pouvait compter sur mon zèle. Je fis mes préparatifs et je partis pour Saint-Germain-L’Herm le plus tôt qu’il me fut possible .Lorsqu’on sut que je devais arriver, les habitants des villages environnants et des communes voisines en furent prévenus par les soins de M. Fournier, maire et par le ministère de la gendarmerie. Le samedi 21 décembre, M. Le Maire de Saint-Germain-L’Herm, avec lequel je m’étais concerté, fit passer la caisse pour prévenir que j’allais diriger une chasse qui commencerait à la forêt de l’Etat appelée Bois-Grand et inviter les citoyens à me suivre.

Je me rendis en effet de bonne heure au Bois-Grand accompagné de la brigade de gendarmerie, des notables du pays et de quelques personnes du peuple mais en petite quantité. Les habitants de Fournols se rendirent eux aussi de leur côté dans ce bois : là, un loup fut rencontré et tué par le nommé Rocher André, garde-forestier à Fournols.

Vous dire que ce loup est celui qui a fait tant de ravages en un jour et demi, c’est ce que je ne peux vous assurer. Mais ce qu’il y a de certain, c’est que depuis ce moment aucun événement n’a été signalé et aujourd’hui, dimanche 22 décembre, je n’ai quitté Saint-Germain-L’Herm qu’à midi après que les villageois des environs ont été arrivés pour assister à la messe du matin et à la grand-messe. Personne ne s’est plaint. J’ai remarqué par exemple, que la terreur existait toujours parmi les habitants de la campagne qui sont presque tous arrivés, le plus grand nombre avec des fourches de fer.

D’un autre côté, Rocher prétend que le loup courait sur lui. Lorsqu’il le tira, un premier coup de fusil qui le terrassa d’abord, ne l’empêcha pas de se relever et de s’élancer avec fureur vers le garde qui, du second coup, l’abattit à ses pieds. Je n’ai pu juger ce fait, n’étant pas sur ce point à ce moment mais l’émotion de cet homme en me racontant ce qui s’était passé était si forte qu’elle ne pouvait être que le résultat d’une grande frayeur. Aussi me répéta-t-il plusieurs fois : " Ah ! Monsieur, sans mon arme, j’étais un homme perdu ! " Le loup avait reçu des coups au front et à la poitrine, ce qui annonce qu’il avait été tiré en face.

Bien que ce loup eût été tué le matin, dans l’incertitude que j’étais où fût celui que nous cherchions, je fis continuer la chasse jusqu’à la fin de la journée. Nous en trouvâmes un autre, mais je reconnus, à la manière dont il fuyait qu’il n’était pas malade ni furieux.

J’ai parcouru du matin au soir les énormes bois de sapins qui avoisinent Saint-Germain-L’Herm. J’ai rencontré un grand nombre d’ateliers de scieurs de long, mais tous abandonnés ; personne ne sortait, à peine osait-on franchir le seuil de la porte. Point de communication de village à village ; les bestiaux étaient enfermés quoique le temps fut très beau. Je n’ai vu qu’un petit troupeau de chèvres gardé par deux enfants et quoiqu’ils fussent très près du village, des hommes armés de fourches faisaient sentinelle près d’eux.

Il est à remarquer que cet animal dangereux assouvissait sa rage de préférence sur l’espèce humaine : on ne parle que de deux ou trois vaches qui ont été mordues, et là où il y avait bestiaux et gardiens, c’est sur ces derniers qu’il se jetait.

Si la relation que j’ai l’honneur de vous transmettre n’était pas déjà si longue, je ferais mention de quelques autres faits intéressants, mais, je m’arrête en vous priant de bien vouloir ouvrir une souscription au bureau de votre journal en faveur des malheureuses victimes qui presque toutes seront pour longtemps privées de travail, s’il ne leur arrive rien de plus fâcheux. On m’a assuré que, déjà, une femme qui avait été mordue à la tête d’une manière si cruelle qu’un de ses yeux était sorti de l’orbite, avait succombé ainsi qu’un enfant mais je ne vous garantis pas ce fait.

Si vous jugez à propos, Monsieur, d’ouvrir une souscription, ce dont je vous prie, veuillez m’inscrire pour la somme de 15 francs.

Je ne veux pas terminer ma lettre sans signaler le zèle qu’ont montré en cette circonstance la brigade de gendarmerie de Saint-Germain-L’Herm, les notables de cette ville, le sieur Gaudias, garde-forestier et ses deux frères. Pendant deux jours, du matin au soir, ils ont traqué les bois avec une ardeur digne des plus grands éloges. J’ai déjà nommé le garde-forestier Rocher André. Monsieur Fournier comme maire et comme médecin a fait tout ce qu’on pouvait attendre de son zèle et de sa philanthropie bien connue.

Une thiernoise nous raconte que sa mère-grand, née en 1888 et décédée en 1990, lui parlait des méfaits du loup, terrifiée depuis sa petite enfance
elle disait qu’on en avait tué un au col st Thomas, en 1905 !