Les fontaines volages de Thiers
On pourrait penser au premier abord que lorsqu’elles sont installées, (les fontaines) elles le sont pour longtemps, eh bien non, ça n’est pas toujours le cas. Il faut dire que c’est une « histoire d’eau » qui a accéléré leur destruction. Après la guerre, le réseau d’eau courante étant progressivement installé dans les maisons des villes avait tendance à se généraliser, certains propriétaires se faisaient tirer l’oreille pour le raccordement (à leurs frais), estimant qu’aller puiser à la fontaine n’était pas si mal (il y a si longtemps que ça durait !). C’est ce qui est arrivé à l’une d’entre elles et pas des moindres, évoquée ces jours-ci dans la presse locale par notre adjoint au maire en charge du patrimoine. On retrouvera sûrement d’autres débris épars, certes, le bassin ovale taillé dans un bloc monolithe a été brisé sur place, mais il serait étonnant que l’écu des armoiries, qui figurait en bonne place au fronton n’ait pas été récupéré, tout comme les têtes des deux griffons qui l’encadraient. Je connais d’ailleurs l’emplacement actuel de deux pilastres cannelés, provenant toujours de la même fontaine, qui ornent à ce jour le point d’eau d’un beau jardin de la région entre Thiers et Escoutoux. D’ailleurs, pour profiter de l’occasion de l’évocation de cette fontaine de la place de la mairie (Antonin Chastel), il faut rappeler qu’après celle-là, il y en eut une autre, installée exactement à la même place. Il va sans dire que c’était un endroit stratégique de la vie urbaine à plus d’un titre. A l’emplacement de la fontaine bâtie en 1875, c’est-à-dire au tout début de la IIIème République et démolie donc en 1950 (ce qui fut une existence assez courte), du temps du Président Vincent Auriol, (le « repreneur » après la vacance) avaient été creusée, dans le sous-sol de l’ancien édifice, des toilettes publiques, dans les années 1950-55 (à vérifier, je ne suis pas certain de la date). Quoi qu’il en soit, je me souviens d’avoir bénéficié de cet « avantage municipal ». Deux escaliers descendaient en ce lieu d’aisance, deux panneaux entourés de petits carrelages indiquaient le chemin à suivre pour les messieurs et pour les dames. Il y avait même, installée dans une guérite, une « dame pipi » qui collectait les piécettes nécessaires à l’entretien du lieu. Cette dame était l’épouse d’un homme handicapé que l’on voyait très souvent installé dans une grosse chaise roulante mécanisée, dans le centre ville, car son état d’invalide de guerre lui donnait le droit de vendre des billets de la Loterie Nationale.
Pour en revenir à l’importance de cet édicule (même souterrain), il était devenu le point de départ du service des cars Sivet et, à cet endroit, il était alors désigné sous le vocable (peu respectueux) de « Tonin-pisse », c’était un louable service de bus initié par le maire Antonin Chastel qui faisait le lien jusqu’à Pont de Dore (le Tonin-bus) et que de nombreux enfants prenaient pour aller se baigner dans la Dore.
Le temps a passé, les maires de notre ville aussi. A partir de 1977, c’est Maurice Adevah-Poeuf qui est élu. Un nouveau projet voit le jour, une nouvelle fontaine est installée au-dessus des toilettes « troglodytes ». Celle-ci, toujours en pierre de Volvic, est circulaire, faite de plusieurs éléments convexes, avec une colonne centrale faisant déversoir, elle date de l’époque de Louis XIII et provient d’une propriété auvergnate. En rapport avec l’air du temps, c’est une implantation moderne qui est retenue, une passerelle métallique conduit jusqu’à la plate-forme qui la supporte.
Les années se succèdent, c’est au tour de Thierry Déglon de devenir maire dès 2001 : nouveau projet, nouvelle grand place. Nouvelle fontaine, Jacquemart celle-là, elle chasse la précédente qui part à son tour aux oubliettes !
Je vous disais, dans le titre de cette rubrique, les fontaines sont volages, il ne faut pas oublier qu’il y avait de très nombreuses fontaines dans toute la ville jusqu’au milieu du XXème siècle ; la plupart ont disparu, poussées par le progrès. Je ne vais pas tenter de les énumérer car je suis bien incapable de le faire. Je peux tout de même évoquer celle qui se trouvait accolée (avec une vespasienne) au mur de l’ancien théâtre (qui brûla) et qui est devenu maintenant une sorte de jardinet place des martyrs. Le bâtiment qui s’élevait ici fut transformé, le rez-de-chaussée étant devenu un marché couvert, le premier étage servit de salles de spectacle et de réunions. Vétuste, l’étage fut condamné et devint un lieu de jeu clandestin pour les enfants du quartier et finalement démoli, les soubassements ont subsisté et servent de garages. Seule l’enseigne du café d’en face perpétue encore le nom du théâtre.
Dans ce même quartier, il y avait aussi une fontaine en fonte à tourniquet (sur le dessus) rue docteur Lachamp. Une autre fontaine existait au pied du château du Pirou, en pierre du XVIème siècle. Une fois déplacée, les Thiernois s’en souviennent encore, elle fut posée à l’entrée du musée Mondière, rue de Barante. Lors de la démolition de celui-ci, on la retrouva remplie de géraniums, posée sur la pelouse du parc de l’orangerie, au Moutier. Heureusement, elle a finalement été mise en lieu sûr, en attendant une nouvelle affectation digne de sa qualité.
La belle fontaine (ou conche) de la rue Conchette a élu domicile devant la chapelle des Garniers, elle agrémente de façon très heureuse le centre du village.
Rue Mancel Chabot, une niche abritait une fontaine publique même si l’eau n’y coule plus depuis belle lurette, la niche est toujours là (la vasque vient d’être détériorée) et cette « oasis » est bien née à cet endroit, même si les maisons qui l’encadrent sont peut-être un peu plus jeunes.
Alentour on peut voir quelques fontaines « déplacées » de leur lieu d’origine, c’est le cas de celle ornant la cour du château de la Chassaigne qui faisait partie d’un ensemble de neuf bassins de forme et taille différente, disséminés dans le parc dit de L’orangerie, en face de l’église saint Symphorien. Cette ancienne propriété Barge fut vendue à la ville il y a un demi- siècle. La plupart des bassins furent détruits, enterrés ou vendus dans le meilleur des cas. Celui de la Chassaigne est devenu « fontaine » grâce à un heureux mariage de raison. L’arc principal qui le surmonte avec sa niche n’est autre qu’une fontaine publique démolie à Lezoux (toujours à cause de l’arrivée de l’eau courante) . Quant à la statue de déesse mère qui l’orne, elle provient d’une autre fontaine du parc du château d’Opme ! Puisque nous sommes à la Chassaigne, restons-y (encore un peu !) pour signaler que le bassin circulaire qui sert de tourne-bride provient du château de Sarlan (Yronde et Buron), aux abords de l’ancienne abbaye cistercienne du Bouschet, fondée en 1192 par Robert IV Comte (troubadour) d’Auvergne. Ce grand ensemble monastique devint la principale nécropole des Comtes et autres grands personnages, il renfermait une trentaine de tombeaux dont certains somptueux. Ce prestigieux ensemble fut vendu comme Bien National et l’ultime ruine eut lieu en 1825, lorsqu’il devint carrière de pierre. Ultime relique, j’avais cédé, il y a bien des années, une ancienne mesure (dîme) en pierre qui provenait du site au musée du Ranquet à Clermont Fd.
Dans le bas de Thiers, dans une propriété privée, sont conservés quelques éléments de fontaine provenant du château de Ligonnes, ancienne résidence du marquis de Chazerat, dernier Intendant d’Auvergne. Cette fontaine avait d’ailleurs séjourné au château de Fontenille, avant d’arriver à Thiers rejoindre quelques autres réceptacles à eau, en Volvic, venus entre autres du couvent des Grammonts et des châteaux des Champs et de Bon Repos.
Une petite fontaine issue du couvent des Capucins est installée dans un jardin et visible de la rue depuis le rond-point du haut de l’avenue Béranger.
Bien sûr, ce n’est pas complet dans l’évocation des fontaines de notre ville, mais j’espère avoir apporté un peu d’eau à ce qui n’était pas des moulins, certes, mais qui, en leur temps, n’en étaient pas moins vitales à la vie urbaine.
Jean Paul Gouttefangeas
En illustrations : fontaine Les Garniers, merci à Isabelle, et autres images que nous devons à l’auteur de la chronique lui-même, Jean-Paul.