Le souterrain du Faux-Martel

Pendant l’hiver 1956, les propriétaires de la ferme du faux-Martel décidaient de creuser une cave dans leur propriété. Ils finirent par tomber sur un souterrain ! Prévenu, René Beaujeu-Aiguebonne, alors président de la Société des Etudes Locales se rendait sur place, accompagné de membres du Groupe Spéléologique Thiernois. Voici le compte rendu de leurs visites sur le site, paru en 1957 dans le N°17 du Bulletin de la Société des Etudes Locales et du Musée de Thiers.

Le souterrain du Faux-Martel
Refuge ou ancien habitat provisoire ?

Ceux qui aiment les beaux paysages connaissent bien la côte de Borbes qui offre une vue magnifique sur la Limagne et la chaîne des Puys. En arrivant sur le plateau, on laisse à droite la route de Sainte-Agathe et on continue le circuit des Margerides dans l’embranchement de l’I.C 102.
A 500 m du croisement se trouve, en retrait de la route, la ferme du Faux-Martel, propriété autrefois importante, dominée par une tour, appartenant au début du XIXème siècle à la famille Malmenaide. Une chapelle, des grilles cossues et une fontaine surmontée d’un joli blason du XVIIème siècle, témoignent de l’ancienne richesse de cette communauté paysanne.

Une partie des bâtiments est occupée par la famille Barraud-Mailler, braves gens à l’esprit curieux. Ils connaissaient depuis longtemps l’existence d’un souterrain dans leur propriété. Or, au début de l’hiver 1956, ils décidèrent de creuser une cave dans l’angle Nord-Ouest de leur grange et crevèrent en « Z » sur le plan ci-contre la voûte d’une excavation.

Heureusement, M. Roger Barraud vint me prévenir. Une brève reconnaissance me permit de penser que le Groupe Spéléologique de la société des Etudes Locales avait trouvé là un champ d’action particulièrement intéressant. Les difficultés pourtant ne manquaient pas, car le souterrain était presque entièrement comblé dans ses parties intactes. D’autres tronçons étaient effondrés. Au surplus, il cheminait sous la grange, encombrée de véhicules et de paille, traversait les fondations du bâtiment et se dirigeait sous le chemin d’accès de la ferme. Il fallait donc procéder avec prudence pour ne pas abuser de l’amabilité de M. Barraud et éliminer les risques d’accidents. Formant plusieurs équipes, le Groupe Spéléologique a réussi en deux mois, exactement du 13-1 au 15-3-1957 à explorer complètement le souterrain, en regrettant toutefois d’avoir été dans l’obligation de combler les tronçons qui avaient été précédemment crevés et qui se trouvaient sous un chemin et dans le passage qui traverse la grange.

En effet, la partie de la ferme du Faux-Martel que l’on appelle « Le Château » est située sur un mamelon. Sur le côté Sud de celui-ci existait à l’origine une pente qui fut coupée par le chemin accédant à la ferme proprement dite. La voûte du souterrain « G » et « F » se trouvant de ce fait tout près du sol de ce chemin, s’effondra. La construction d’une grange à proximité immédiate nécessita un aplanissement du terrain : là encore, une partie du souterrain « B » subit le même sort.
Par contre, le tronçon de souterrain « C-D-E-H » qui avait été récemment crevé lors du creusement de la cave, était intact. Son dégagement permit de le mesurer de façon exacte : ses dimensions moyennes étaient de 70 cm de largeur et 130 cm de hauteur. Il était creusé dans un granit en décomposition, assez dur, quoique se délitant facilement : le sol en était soigneusement aplani.
Il ne s’y trouvait aucune trace d’humidité ; le mobilier était réduit à quelques tessons de poterie commune, ce qui n’a rien d’étonnant, puisqu’il avait été visité et remblayé au cours des siècles. Nous n’avons pas trouvé non plus de signes ou dessins quelconques ; il est vrai que la nature de la roche délitée ne favorisait guère ce genre d’observations. Pas de trace également de cheminées d’aération qui ont pu néanmoins exister dans les parties effondrées. Du côté Sud, le souterrain possédait de chaque côté deux cavités permettant vraisemblablement d’y loger une barre soutenant une porte destinée à l’obturer. Il se divisait en deux branches formant à peu près un ovale mesurant 5 m de long sur 3 m de large. La branche « H » possédait une double rangée de cavités de chaque côté, permettant d’en condamner le passage.
Le conduit « B », relié au précédent par un demi-cercle aboutissait à un carrefour qui se prolongeait en montée assez rapide par un boyau « A » dont le fond était parfaitement lisse et dont les parois étaient bordées sur deux mètres de longueur, de dalles plates rétrécissant le passage de 45 à 50 cm en largeur et de 50 à 60 cm en hauteur. Ce boyau débouchait dans la grange et la présence d’une grande quantité de paille ne nous a pas permis pour le moment d’examiner soigneusement ses abords. Il est vrai qu’il n’y a guère d’espoir d’y trouver un indice quelconque en raison du bouleversement apporté au site.
Du côté Nord, le souterrain possédant également des cavités permettant de le condamner, se poursuit dans une partie en forte montée « G » dont la voûte s’abaisse à 90 cm du sol et qui avait tendance à former un cercle parfait rejoignant un deuxième conduit « E » au sol à peu près plat et possédant à son entrée deux petites cavités. Les deux branches se rejoignent bien mais avec une dénivellation de 90 cm ; elles communiquent seulement par un orifice très étroit. Nous n’avons pas pu trouver une explication satisfaisante à cette singularité... Peut-être se trouvait-il là une cheminée d’aération ou une seconde issue en spirale ? La destruction de cette partie du souterrain étant totale dans sa superstructure, rien ne permet de prendre position sur ce point.
Dans le deuxième conduit, on peut voir un autre cheminement « F » débutant à 50cm de largeur pour s’élargir à un mètre puis tournant brusquement à gauche pour se terminer par un cul-de-sac de 60cm de largeur. Dans la partie la plus large, la roche étant pourrie, il est possible que la paroi de gauche se soit effondrée. Notons encore la présence d’un gros bloc de quartz trouvé au carrefour « E » et précisons que la voûte « V » est de forme pratiquement cylindrique et que ses parois latérales se rapprochent par en bas, suivant une courbure qui renforce la solidité des galeries.
On y trouve en plusieurs endroits des traces très nettes de l’outil qui a servi à creuser le souterrain. Ces empreintes ont des dimensions très variables suivant la dureté de la roche rencontrée par le pic, soit de 2 à 12 mm de largeur et de 120 à 150 mm de longueur. Tous les coups d’outils ont été donnés de haut en bas et dans la direction Nord ce qui prouve que le souterrain a bien été creusé en partant du point « A ». Il est donc établi que le souterrain a été construit à partir d’un conduit en descente « A » à contre-pente du terrain de 80cm de largeur qui a été par la suite rétréci et recouvert par des dalles.
Dans la partie « A » le sol descend à 20% environ, la pente continue faiblement dans les parties « B » et « H ». Le sol est à peu près plat dans les parties « C-D-E » puis remonte fortement, 30% environ dans les tronçons « F » et « G ». Nous n’avons pas remarqué de traces nettes de fumée, les parties noirâtres se trouvent en général à l’arête des angles et semblent lissées comme si, au cours des siècles, de nombreux habitants avaient marqué leur passage.

Que conclure de tout ceci ? Quelle était l’utilisation de ce souterrain dont le creusement avec des moyens rudimentaires représente un travail énorme, pouvant être évalué à 30 mètres cubes de roche relativement dure ? Remarquons qu’il se trouvait sur le flanc d’une butte et à proximité d’un ancien chemin, dans un site d’accès assez malaisé mais qui possédait des possibilités de cultures commodes avec sources abondantes à proximité.
La première hypothèse qui vient à l’esprit est celle d’une cachette ou d’un refuge lors des périodes troublées, proches ou lointaines. Tout de même, l’ampleur et la complexité du travail laissent rêveur. D’autre part, la hauteur moyenne de ce souterrain interdisait à des hommes normaux de s’y tenir debout ; il y a également le soin qu’avaient pris les constructeurs à aménager au moins trois clôtures successives pour isoler plusieurs conduits.

Le cheminement « E-F » pouvait être clos en « D ». La partie « D-E-F-G » pouvait être isolée en « Z ». Le conduit « H » pouvait être obstrué en « C » par une double porte ; de l’autre côté de son orifice. Il est préférable qu’il ait pu exister également une possibilité de fermeture mais le mauvais état du carrefour « B » n’a pas permis de trouver de traces adéquates.
Donc, avec un peu d’imagination, on peut supposer que le conduit « H » servait de lieu de repos pour 2 à 4 personnes, le tronçon « B-C-D-E » représentant le dégagement de l’ensemble du souterrain dont les parties « G » et « F » auraient pu être utilisées comme dépôt de vivres ou autres.
En cas de danger, le passage « B-C-D-E » pouvait également servir de lieu de refuge à un assez grand nombre de personnes qui ne pouvaient d’ailleurs y stationner longtemps qu’à la condition d’y ménager des cheminées d’aération ; ces orifices ont pu exister et se situer dans les parties effondrées comme il a été dit plus haut.
A l’entrée du souterrain se trouve cet étroit boyau « A » qui, à l’origine - ou par la suite- a été construit pour rétrécir volontairement l’issue et dont l’exiguïté interdisait le passage d’un mobilier tant soit peu important ou le transport de produits lourds et encombrants.

Nous nous permettons d’émettre une hypothèse qui n’est peut-être pas plus déraisonnable que d’autres : il pourrait s’agir d’un habitat provisoire extrêmement ancien. En effet, nos ancêtres élevaient des huttes faites d’une armature de perches et de branchages recouverts d’une épaisse couche d’argile qu’ils faisaient cuire pour lui conférer une certaine solidité. Mais ces habitations étaient précaires et ne pouvaient résister longtemps aux violentes intempéries. Si nous nous reportons très loin en arrière, nous connaissons des périodes où les êtres humains devaient se défendre d’une part contre un froid intense, d’autre part contre leurs semblables et contre les animaux envers lesquels un orifice de 45 ou 50 cm en atténuait sensiblement les effets ou les dangers.

Comme le boyau d’entrée du souterrain avait été construit en nette descente à 20%, comme cette descente se poursuivait à 5% jusqu‘en « C » et que seule la partie « C-D-E » se trouvait à peu près plate, les conduits « G » et « F » remontant à 30% il était absolument nécessaire de protéger l’entrée « A » des infiltrations d’eau dévalant la pente naturelle du terrain.
Il y a donc eu probablement en « X » un ouvrage édifié à cet effet, tranchées d’écoulement ou plutôt cabane ou hutte, constituant une protection efficace en même temps qu’un habitat permanent, le souterrain proprement dit n’étant qu’un habitat provisoire pour y passer la nuit par exemple, ou s’y cacher lors d’un danger quelconque.
Ajoutons si l’on veut, qu’il était possible que certains principes religieux mal connus, la frayeur engendrée par les orages ou bien des questions de commodités d’habitation ou de défense aient incité ses occupants à ces souterrains une forme que l’on retrouve dans ses grandes lignes en de nombreux exemplaires ; disons encore que, s’il s’agit d’un très ancien habitat, les êtres humains qui l’ont habité pouvaient fort bien être de petite taille ou ayant l’habitude de marcher courbés, et nous aurons fait le tour d’une hypothèse.
Il y en a bien d’autres, sans doute plus pertinentes. Mais le cadre de cet exposé est trop étroit pour les énumérer toutes. Laissons plutôt à nos lecteurs le soin d’en découvrir de nouvelles. Ce sera avec plaisir que nous entendrons leurs communications.

Roger Beaujeu-Aiguebonne

Depuis l’exploration du souterrain du Faux-Martel, le Groupe Spéléologique a examiné plusieurs autres cavités. Des constatations qui ont pu être faites, il semble que ces « habitats provisoires » ont tout d’abord été construits sur les hauteurs, dans des terrains relativement durs, en adoptant des dimensions plutôt modestes. Par contre, dans des terrains d’alluvions qui bordent la plaine, ces habitats revêtent une plus grande importance et la nature du sol, plus facile à creuser, a obligé leurs constructeurs à modifier la forme de la voûte, lui donnant dans certains cas une allure presque ogivale ; la hauteur des conduits s’est améliorée mais la technique de mise en œuvre offre de remarquables similitudes avec ceux de la montagne.
Notons encore que ces souterrains se trouvent en général dans des sites découverts et non dans des vallons, dans des champs en pente ou des terres cultivées et jamais à l’intérieur des forêts et rien ne permet d’affirmer que les issues ont été volontairement dissimulées. Il faut aussi noter que pour la plupart des souterrains reconnus récemment, ni la tradition, ni des légendes n’en signalaient l’existence et qu’ils ont été découverts grâce à des cause fortuites : creusement de fondations ou de fossés, éboulement dû à des infiltrations ou à un affaissement de la voûte.
Il semble donc bien que l’hypothèse de l’ancien habitat provisoire reste valable, même en raison de l’inconfort de pareils terriers. Par ailleurs, la lecture d’un ouvrage récent intitulé « Visa pour la préhistoire » nous introduit en Nouvelle-Guinée, parmi les survivants de la préhistoire, une photo nous montre un des êtres humains sortant à quatre pattes par l’orifice surbaissé de sa case. En plein 20ème siècle, il existe donc encore des hommes qui, vraisemblablement par atavisme se plient à des coutumes qui, pour eux, ont sans doute perdu leur sens véritable.