Le mur végétal

Ce mur végétal (immeubles aux parois végétalisées) dont on parle plus fréquemment depuis quelques années et que l’on pourrait qualifier, au premier abord, de phénomène de mode, surtout à Paris, quand on sait qu’on en compte une cinquantaine mais pas seulement, cette pratique séduit aussi des promoteurs en province. Le grand novateur dans notre pays est sûrement Patrick Blanc, avec ses réalisations spectaculaires dans la capitale. Le début de l’aventure d’une végétation verticale débute dans les années 98-2000. Le ‘’mur’’ de la rue d’Alsace fut créé dix ans plus tard, c’est un des plus spectaculaires dans notre pays, ne serait-ce que par sa taille : près de 1500 mètres carrés, il ne comporterait pas moins de 40 000 plantes !

L’Oasis d’Aboukir, superbe.

Un autre, spectaculaire, celui du Quai Branly et les tours de Villiers sur Marne, à structure en partie en bois (Stéphane Boeri architecte) et ce, malgré une opposition farouche de certains riverains (je rappelle que je parle de la France !).

Cet engouement ne se limite pas à la France, d’autres réalisations très étonnantes et souvent splendides sont visibles dans le monde, à Singapour, Sydney, Madrid, Bangkok mais pas seulement. À Bogota, l’immeuble Santalaia, achevé en 2015 est l’un des plus grands jardins ‘’verticalisés’’, d’une hauteur de 11 étages, il est le cœur vert de la ville. À Milan, c’est le ‘’Bosco Verticale’’ dû à l’architecte Stéphano Boeri (et aux 6000 ouvriers qui y travaillèrent !). Il se compose de deux tours dont l’une culmine à 110 mètres. Au total, ce sont 131 appartements ou vivent des centaines de personnes. Cet ensemble en fait (dans ce domaine) l’habitat le plus innovant du monde, à plus d’un titre. On parle de 700 arbres poussant sur les façades : pommiers, chênes-verts, cerisiers (maintenus entre 3 et 6 mètres) où nidifient faucons, tourterelles et autres oiseaux et elles hébergent aussi des chauves- souris, sans parler des insectes en tous genres et même des coccinelles pour manger les pucerons ! Et puis, bien sûr, des plantes par dizaines d’espèces, des fleurs, des champignons et autres lichens.

On peut parler de ‘’murs vivants’’ ou de ‘’peau verte’’ dans ces spectaculaires verdissements verticaux. Mais ne nous y trompons pas, ce défi de notre temps (car c’en est un) initialisé par des architectes d’avant-garde qui ont pour nom : Edouard François, Vito Acconci (entre autres) est beaucoup plus qu’une tendance décorative, même si elle l’est pour la vision, depuis l’intérieur des appartements et l’aspect extérieur. Cette façon de construire ramène le végétal dans nos villes (qui seront de plus en plus peuplées) et par là même, on parle d’isolation naturelle thermique (surtout sur les toits) et phonique, de dépollution de l’air et elle apporte peut- être une des solutions dans la quête de lieux de vie aux fondements essentiels et (un peu) naturels et cela passe par plus de régulation du microclimat, n’oublions pas que les plantes sont cruciales pour la vie et que la surface des forêts continue de diminuer.

Vu le développement que semble prendre l’idée du mur végétal, on est en droit de penser que, dans un avenir pas si lointain, on verra sur les terrasses, toitures et murs urbains de vrais potagers, véritables jardins nourriciers avec légumes variés pour les habitants. Pourrait-on vraiment parler de généralisation d’agriculture urbaine verticale ? De ‘’ferme verticale’’ ? Nous n’en sommes pas encore là mais c’est un pas certain vers la biodiversité dans le bâti, l’écodesign urbain est en marche. Des obstacles et pas des moindres sont à vaincre. En premier lieu l’arrosage. Il est bien évident que cette végétation ne pousse pas directement sur le mur, une isolation s’impose pour éviter les dégradations occasionnées par les racines et le poids des végétaux en suspens. De plus il faut prévoir des supports garnis de substrat sur toute la surface de la façade ainsi qu’un système d’irrigation précis et fiable. À ce sujet, le surplus d’arrosage est récupéré et recyclé, il en est de même pour les eaux usées des résidents, cette eau resservira pour l’arrosage général. Seul le produit de l’évaporation manquera. Le choix des végétaux a une grande importance, on privilégie des espèces aux exigences réduites.

Parler de forêt verticale est sûrement exagéré aujourd’hui, il n’empêche que l’ère des grands immeubles en béton enchâssés de verre a peut-être (dans une
certaine mesure) connu son apogée. On les trouve ‘’déshumanisés’’, on leur reproche d’emmagasiner, voire de diffuser la chaleur dans les villes. Le quartier de la Défense à Paris serait, paraît-il, moins prisé qu’il ne l’était : moins de repaires, pas d’attraits de la nature, trop de gigantisme.

Pour revenir aux jardins ‘’en hauteur’’, je disais au début de ma chronique qu’ils ne sont pas nouveaux. Si l’on se réfère à l’Antiquité, on ne peut faire l’impasse sur les jardins suspendus de Babylone, c’était vers 600 av. JC. Mais peut-être n’est-ce qu’une légende, bien que considérés comme une des merveilles du monde antique. Nabuchodonosor, pour rappeler à son épouse Amytis les beautés de son pays natal fleuri et boisé ( la Médie en Iran), aurait commandé la construction de fabuleux et immenses jardins plantés au dessus du sol, donc cultivés en l’air sous la forme (peut-être) de gigantesques escaliers où chaque marche démesurée aurait été composée de jardinières remplies de terre et plantées d’arbres et de plantes retombant en cascades sur les parois verticales. C’est le prêtre Babylonien Bérose qui en fit le récit écrit plus de deux siècles plus tard.

Malgré les efforts des chercheurs et des archéologues lors de nombreuses fouilles, aucune trace de ces installations de verdure n’a été découverte à ce jour, ce qui peut laisser penser (malgré quelques écrits postérieurs les rappelant) qu’elles étaient peut-être situées à Ninive et pas à Babylone.

On pourrait aussi imaginer que ces jardins fabuleux aient eu la forme d’une tour de Babel avec une rampe d’accès montant jusqu’au sommet remplie de terre et plantée d’arbres et de plantes retombant en cascade le long de la paroi. À moins que ces jardins n’aient été perchés sur des sortes de ziggourats (temples de la Mésopotamie : 2000 ans à 600 ans av. JC.), genre de pyramides en terrasses superposées, en recul les unes par rapport aux autres.

Mais laissons là les possibles et parfois légendaires jardins d’un monde lointain et les Sémiramis de la Babylonie pour revenir à des exemples plus concrets et peut-être plus prosaïques. J’ai fait le tour de Thiers en commençant par la rue Mancel Chabot, j’y ai découvert en son milieu, juste sous le chevet de l’église un beau jardin vertical en partie naturel, à même le rocher, débordant même sur la maison attenante. À proximité, la façade de l’ancien hôpital participe (malgré lui) à cet élan vert, tout comme les murs de la chapelle juxtaposée. Vigne vierge et buddleias s’en donnent à cœur joie !

Sur la place Lafayette en face, c’est un petit jardin carré suspendu (toiture de verdure) à côté de la fontaine dominée par le bâtiment du musée assailli, lui aussi, jusqu’au toit par la vigne vierge. En se dirigeant sur St Jean, face à la maison rappelant Daguerre c’est encore un beau mur recouvert de végétation. En direction du Pirou par la rue de la coutellerie, à l’angle de la rue des sapeurs-pompiers, c’est une des belles façades datant du XVIIIème siècle. qui subit les outrages d’un jardin vertical, bien qu’elle n’en ait vraiment pas besoin !

La belle place du Palais, bien ordonnée, bénéficie elle aussi d’un point vert vertical bien accroché sur le mur gouttereau de l’église : les sempiternels buddleias prolifèrent, il faut dire qu’ils affectionnent particulièrement les murs exposés à l’humidité, voire un peu délaissés, là où l’eau s’infiltre pernicieusement, tout comme les fougères et autres lichens (aussi présents).

Place de l’ancienne halle sous l’espace aménagé côté garages, la végétation d’ampélopsis suspendue est d’un bel effet. Le long de la rue Dr. Lachamp, la tour et le mur attenant couverts de verdure attirent très heureusement l’œil, idem dans l’impasse de Gergovie. Plus bas l’ancienne chapelle de la rue Rouget de l’Isle et la grosse tour toute proche dans de la rue d’Alsace, sa voisine sont submergées d’ampélopsis, transformant ce croisement en un îlot de verdure.

Après avoir traversé la Durolle, en face de l’Orangerie du Moutier, la maison enserrée entre les rues Vaucanson et des usines est quant à elle recouverte de végétation, depuis le sol jusqu’au toit, c’est une belle symphonie en vert faisant écho aux notes plus ou moins musicales de l’eau toute proche qui coule parmi les maisons envahies elles aussi de grimpants, transformant ce quartier Navaron en un ilot des plus romantiques.

En face, une visite s’impose à l’intérieur du bâtiment de l’Orangerie où, sur le mur du fond, est accroché le premier mur végétal de notre ville, pensé par ’’les autorités locales’’ et installé (paraît-il) par Patrick Blanc.

Avant d’emprunter la ‘’cascadeuse’’ route des usines, un regard sur l’ancienne porterie de l’abbaye dont la base jusqu’au premier étage est également tapissée de vert.

La suite n’est qu’une succession de parois vertes à souhait sur les rochers verticaux (supports naturels) bordant la route : sous le cimetière et l’église, derrière le Centre d’Art Contemporain et les usines, comme d’ailleurs sur l’autre versant, le mur végétal des maisons des maîtres de forge n’est pas en reste. Dans ce même quartier, un peu plus haut, c’est la délicieuse maison de brique de l’usine de la Croix Marie, posée là sûrement d’un coup de baguette magique par une fée et habillée elle aussi d’une légère robe verte de la couturière ‘’Dame nature’’ !

Ainsi se termine ce regard en ‘’grimpette’’ sur les murs pour nous rappeler que la nature aura toujours le dernier mot et que d’une manière ou d’une autre elle
reprendra sûrement ses droits, elle ‘’remontera’’ !

Jean-Paul Gouttefangeas

Crédit photos Jean-Luc Gironde : mur végétalisé, maison dans le quartier du Sentier à Paris, angle la rue d’Aboukir et de la rue des Petits Carreaux, et vigne vierge à Thiers.