Le dernier jour d’école

Le temps ce jour-là en cette mi-juillet était superbe. Lorsque j’ai mis le nez dehors, l’espace était envahi d’enfants qui s’égayaient en tous sens comme des moineaux heureux. Certains assis sur la margelle du grand bassin de la cour, d’autres sur les bancs, criant entre eux à qui mieux mieux, s’invectivant, se chamaillant pour une place à l’ombre ou un crayon de couleur égaré, le tout dans une ambiance d’enfants en liberté. Quel plaisir de commencer la journée par une telle vision ! C’est en effet une joie de surgir au milieu de ces petits braillards pleins de vie et pétillants de gaîté. D’ailleurs, tous ces enfants que nous voyons tout au long de l’année scolaire apportent dans cet antique domaine de la Chassaigne la vie et la vigueur, là où ses résidents habituels n’ont plus vingt ans (depuis longtemps !) Quelle belle idée que ces classes de plein air dites ‘’vertes’’ il faut dire que la configuration des lieux y est pour quelque chose, l’école du Fau est à quatre cents mètres.

Bonjour les enfants ! Les réponses fusent, enthousiastes, les visages sont souriants, des mains se lèvent, un rassemblement se forme autour de moi, certains m’interpellent me disant : - mon papa a travaillé chez vous, ma maman vous connaît ! Je les questionne : que faites-vous aujourd’hui ? Tous ont des feuilles à la main remplies de dessins – il faut que nous fassions des plans du château et des jardins. Effectivement leur travail est avancé, certains des élèves ont même peaufiné leur ouvrage en collant des feuilles et des pétales de couleur sur ce qui est censé représenter les jardins. Tout ça se passe à l’ombre du gigantesque tilleul, joyau de la cour, qui a dû en voir passer du monde, bravant les hivers, résistant à la canicule, il est là depuis le 18ème siècle. Les visiteurs furent nombreux : le marquis de Simiane (qui vécut ici), l’évêque de Langres Gilbert Gaspard de Montmorin de Saint Herem dont la famille fut propriétaire, (un beau blason (mutilé) où est représenté son cordon de Commandeur du St Esprit est inséré dans un mur de la galerie), les révolutionnaires, au moment de la Terreur, qui rendirent visite à Monsieur de Riberolles, lui demandant de décoiffer ses tours (ce qu’il fit) sous peine de perdre sa tête ! Des Thiernois qui, une fois l’an par tradition, venaient cueillir les fleurs de l’arbre. Il y eut aussi des mariages, les derniers il y a une vingtaine d’années sous sa frondaison, une cérémonie civile, une bénédiction religieuse aussi entre la chapelle et les pelouses, célébrée par un pasteur de N. York et puis des touristes ces 25 dernières années et tant d’autres visiteurs qui fréquentèrent ces lieux.
Les enfants de l’école du Fau perpétuent cette tradition autour de leurs maîtres, aujourd’hui c’est Alexandre le si sympathique chevelu à la barbe bouclée à qui je dis : vous n’avez pas trop de mal pour diriger et surveiller tout ce petit monde ? – Non me répondit-il, ils sont sympas ! Ah mon maître à moi était bien différent, en blouse grise, béret sur la tête, très maigre, il faut dire que c’était dans les années 1954, il était revenu des camps de concentration d’Allemagne seulement quelques années plus tôt, je me demande toujours comment un homme aussi doux et aussi gentil avait pu mériter pareille infamie ! De la paix, de la fraternité, en un mot de l’amour, c’est ce qu’il faut à notre monde toujours et partout. Ces enfants qui sont notre avenir, il faut en prendre soin, leur apprendre la vie, la leur faire découvrir, leur montrer les beautés du monde qui se cachent parfois à leurs yeux.

Ce matin j’avais mille choses à faire, mais là, les plans ont changé, il y a mieux à faire. Les enfants, vous voulez visiter les caves du château ? Oui, oui ! Le cri est unanime, je ressens cet esprit de corps enfantin alors que leurs cris semblent s’enrouler autour de l’arbre ! Je prends les clefs, j’ouvre la porte, tous s’engouffrent, le froid tombe sur nous, surprise, - il fait frais, c’est grand, c’est voûté ! Et pour cause, cette propriété était d’abord viticole, il y avait des vignes tout autour, ce qui explique l’immensité des caves. L’Auvergne, sous l’Ancien Régime, nous le savons, produisait beaucoup de vin, de plus il était (paraît-il) bon, plus tard c’est le phylloxéra qui sonnera le glas de ces cultures millénaires avant un renouveau, lent mais certain. Ça résonne sous ces voûtes, le maître intervient :- écoutez ce que l’on vous dit, les enfants. Le calme revient un instant. - C’est quoi ces petites pièces de part et d’autre, derrière ces portes barreaudées ? - Ce sont les caveaux, les réserves de bouteilles de vin. - Ce sont les vôtres ? Et ces deux gros trous dans le plafond ? - c’est pour faire tomber la vendange dans les cuves car la cave est enterrée. Les questions continuent alors que j’emmène les mouflets vers la sortie, c’est dommage, c’est fini. Non. Vous voulez voir la chapelle ? Nouveaux cris d’assentiment, j’entends même : - c’est quoi une chapelle, à quoi ça sert ? Votre maître vous expliquera... (ouf) elle est pas facile celle-là ! Pourtant, ce matin, la lumière s’en échappait. Nous grimpons par le grand escalier jusqu’à la galerie qui fait un effet de surprise par sa grandeur. Je ne sais pas comment les enfants de 9 ans perçoivent les mots : époque gothique ! Tant pis, je l’ai dit, le maître interviendra (encore). Qu’est-ce qu’il y a d’écrit sur les murs ? « si cor non orat, in vanum lingua laborat » : Si ce n’est pas le cœur qui prie, la langue s’agite en vain, voilà une explication de texte facile, votre maître vous expliquera et les questions déferlaient toujours. Et les bannières de confréries accrochées aux murs et les statues et les vitraux et les blasons, il y aurait tant à dire. Dans la foulée nous traversons les pièces au pas de charge, les parquets à la Versailles, les portes en rai- de-cœur, le brasero posé là par hasard au milieu d’une pièce, entouré de chaises bien disposées en cercle, d’emblée toutes prises d’assaut, comme pour se chauffer !

Allez, l’heure tourne nous allons tous reprendre le cours normal de nos occupations, le maître, les élèves et moi. C’était juste un petit aparté dans notre programme, mais à y réfléchir après coup, je trouve qu’il a été important, en tout cas pour moi, le rythme de ce moment, je l’ai reçu comme une caresse, une rare gâterie et j’en ai la tête toute désencombrée de choses futiles que l’on pense ou fait par habitude et même par routine. Transmettre, est-ce qu’il n’y pas de la grandeur à communiquer ce que nous avons appris ou découvert ? Tous ces petits êtres sont demandeurs, voire avides, enthousiastes, entiers dans leurs remarques et leurs questions, s’essayant à construire des phrases pour la clarté de leurs questions.

Le maître reprend la main : - Dites merci les enfants et reprenez vos sacs, nous allons dans le bois, c’est bientôt l’heure du déjeuner.
Ils partirent dans un déboulé de plein galop vers de nouvelles aventures dont la plus importante : celle de la vie en ce dernier jour d’école.

Jean-Paul Gouttefangeas