Le coup de gris

Ça n’est pas une impression, le gris est mis : la saison, le temps, l’ambiance, l’époque, tout ça manque de couleur. Je sais, heureusement, il y a les chrysanthèmes mais c’est comme les hirondelles : ça ne fait pas le printemps, espérons que le gel ne les tuera pas avant le jour des morts, là ce serait le bouquet car la couleur c’est la vie ! Nous leur souhaitons aussi une longue vie (aux chrysanthèmes ! ) Il n’empêche que nous baignons dans une sorte d’ambiance proche de la maussaderie, on parle de temps gris, de grisaille qui de suite nous fait penser peine, tristesse, vague à l’âme, pleine lune, ennui, mélancolie, pauvreté, voire dépression ! Les écrivains comme Jules Renard, parlaient même des ‘’cheveux gris, poussière du temps’’ et Cécile Coulon : ‘’Un gris de terre, un gris de jument, un gris qui ternissait tout’’.

Et puis cette ambiance générale de notre monde : des jours si courts, le gris dès la fin de l’après-midi, des tempêtes, notre planète bleu-gris qui souffre (et trop de gens de même), des conflits, la barbarie à nos portes (et chez nous). C’est certain dans bien des domaines on a dépassé le gris, on est dans le noir ! (on est prêt à le broyer !) Finalement ‘’à la St Tanguy le temps est toujours gris’’ dit le proverbe, on le fête le 19 novembre, pourtant il n’aurait pas dû en être affublé, lui qui n’a rien de gris et qui en son temps fut si discret, si honnête et attentif à ses semblables. Cette éphéméride suit celle de Ste Aude (fêtée la veille), pour autant pas vraiment plus réjouissante : ‘’ journée de Ste Aude ordinairement n’est pas chaude’’. On se demande d’où sortent ces dictons.

Pour continuer dans le gris de la saison c’est Marie Hélène LAFON qui écrit : ‘’ les araignées s’affairent, ça sent la poussière froide, ça sent gris, c’est assez laid’’ ! Et Primo LEVI d’en rajouter : ‘’ l’avenir se dressait devant nous, gris et sans contours, comme une invisible barrière. Pour nous l’histoire s’était arrêtée’’. On est en droit de se poser la question, serions-nous entrés dans ‘’une période grise du monde ?’’

Mais, chers lecteurs, je vais maintenant vous parler dans un gris qui sourit, je ne peux pas continuer cette chronique dans ce brouillard gris et pessimiste, je ne vais pas vous faire le coup de grisou si redoutable. Je vais même tenter de le réhabiliter ce gris sans aller quand même jusqu’à vous griser. Pourtant je vous préviens d’avance, je ne dispose pas de patte de lapin ni d’un grigri miraculeux capable de grignoter la mélancolie d’un gris souris envahissant au point de rendre votre soirée grisante. Dans le cas où vous feriez la grimace parce que grippés ou simplement un peu gribouillés et d’humeur grisâtre et que mon texte ne parvienne pas à vous dégriser, tentez des toasts grillés à grignoter ou mieux mettez-vous en cuisine pour le lendemain en préparant une sauce gribiche qui contentera plus d’une tête ! Ou pourquoi pas des grives en sarcophage, à moins que vous soyez vraiment grippe-sous, dans ce cas optez pour des grillons grillés (c’est tendance) arrosez ça avec un petit vin gris et le tour est joué, essayez, après ça, vous n’aurez plus envie de chanter la triste chanson de Berthe Sylva (que les moins de 60 ans ne peuvent pas connaître) : ‘’du gris que dans mes pauvres doigts je roule, c’est bon c’est fort ça monte en moi, ça me saoûle, je sens que mon âme s’en ira moins farouche dans la fumée qui sortira de ma bouche’’. (La prochaine fois je vous la chanterai en entier).

Ce gris dont on parle, il est à mi-chemin entre le strict noir et le blanc qui sait être immaculé, certes, c’est une couleur neutre mais il dégage aussi un semblant d’intensité lumineuse apaisante et douce. Donc maintenant j’aborde le ‘’positif’’ concernant le gris. Je vais essayer de faire fonctionner ma matière grise pour vous enlever le noir, après ça il ne vous restera que le blanc ! Mais au fait, on peut faire du gris autrement, mélangez du bleu et de l’orange, du rouge et du vert, du jaune et du violet et vous retrouvez du gris. Bien sûr il y a plusieurs nuances de gris : le gris souris, acier, perle et argenté, sans parler du taupe et autre tourterelle.

De plus le gris est souvent synonyme de sérénité, de calme, de douceur et d’élégance. Sans attirer le regard il sait se fondre dans la masse, en un mot il passe partout et inaperçu. Il fut un temps (lointain) il était considéré comme le symbole de la sagesse et de la connaissance (heureux temps !). En Inde certaines religions (l’Hindouisme) considèrent la couleur grise comme sacrée rappelant la teinte de l’encens qui est censé emmener les prières des fidèles jusqu’au ciel. Sans aborder le ‘’spirituel’’ dans cette chronique (ne nous égarons pas) je me contenterai du gris bassement matériel. La plupart des appareils dont nous nous servons journellement sont souvent gris, tout comme nos voitures dans des nuances de gris acier, couleur dite moderne. Nos vêtements gris sont parfois très chics et parfois solennels, je me souviens de mon costume de premier communiant rehaussé du brassard blanc, quelle allure ! Et ces beaux mariés au bras de leur épouse toute de blanc vêtue passant le porche de l’église sous une pluie de gris confettis lancés par des garçons d’honneur pas encore grisés par les effets de l’apéro……. Ah que de souvenirs grisants ! Il paraît que les meilleures associations dont le gris puisse rêver sont l’argent et le cognac et éventuellement le marron glacé (je parle toujours des couleurs), avouez qu’à vos yeux le gris vient de changer de couleur !

Tout ça pour dire et pour finir que tout n’est jamais tout blanc ou tout noir mais souvent les deux en même temps quand ça n’est pas gris.

Jean-Paul Gouttefangeas

Crédit photo Jean-Luc Gironde, Pierre-sur-Haute.