Le Noël du facteur

Rien apparemment ne différenciait ce facteur des autres facteurs : jeune, il était né en 1945, aimable, souriant, ponctuel et détesté de tous les chiens !

À la fin de l’année il croulait sous le poids des paquets et des cartes de vœux et surtout des lettres au Père Noël. On lui avait attribué deux sacoches supplémentaires, lui et son vélo étaient surchargés, il regrettait le temps des ‘’facteurs-poussetiers’’, en ce temps là c’était la carriole qui était chargée de colis. Il faut dire que son métier avait bien changé au cours des âges. Maintenant il ne faisait qu’une distribution par jour contre deux il n’y avait pas si longtemps, même s’il fallait encore faire la relevée des boîtes matin et soir. On à peine à croire qu’à Paris en 1925 il y avait six distributions par jour pour les lettres et une le dimanche, cette dernière fut supprimée en 1941 (à Clermont 4 par jour). Les guerres ont aussi modifié le fonctionnement de la distribution du courrier. À cause de la pénurie de main d’œuvre dés 1915 ce sont les épouses des sous-agents morts ou handicapés au combat qui, revêtues de leur pèlerine réglementaire, prirent leur place. À ce sujet il fallut attendre 1974 pour que les femmes puissent se présenter au concours de préposé. Autre détail, les facteurs étaient payés (jusqu’à l’extrême fin du XIXème siècle ) au kilomètre parcouru ! En ce temps là c’était le ‘’Service Public’’ !

Mais je m’égare, je reviens à notre facteur et à ses tournées de 1967.C’était un facteur indélicat ! Nostalgique sûrement d’une enfance qu’il n’avait pas connue très heureuse, (c’était un enfant de la DAS). Chacune de ces lettres au Père Noël qu’il relevait dans les boîtes collectives pour les remettre au bureau de poste étaient expédiées ‘’dans les nuages’’, résidence du Père Noël, ce que tous les enfants connaissent dés leur très jeune âge !

Lui, le facteur, il n’avait jamais écrit au Père Noël ses parents nourriciers lui avait dit d’entrée de jeux qu’il n’existait pas, que c’était des histoires pour faire rêver les enfants et que les rêves ça n’est pas bon ! Il se souvenait très bien de cette enfance peu joyeuse et de sa petite ‘’sœur’’ car ils étaient venus de la même institution, deux réunis dans cette famille. Elle, la petite, elle s’obstinait, elle disait toujours : Il existe j’y crois et il est très gentil, il apporte des cadeaux quand les enfants sont sages !

Devant cette invasion de lettres destinées au Père Noël, il ne se tenait plus de jalousie. Il avait élaboré un plan (pas catholique du tout). Il avait décidé, ne pouvant les soustraire toutes, d’en prélever trois sur dix en les sortant des sacs avant leur remise à la poste et de les rapporter chez lui pour les lire. Ah ! ces soirées avant Noël, des moments inoubliables qui le rendaient heureux, joyeux, nostalgique et parfois triste à pleurer selon ce qu’il lisait, selon ce que les enfants demandaient au Père Noël. Elles commençaient presque toutes par cher, par Père où petit Papa Noël. C’était comme une conversation intime écrite entre gens qui se comprennent, qui s’apprécient, capables de se donner du bonheur, les enfants étant sûrs et confiants demandaient, passaient commande par les demandes les plus variées, celles de recevoir des jouets étaient les plus nombreuses mais pas seulement. On trouvait des demandes et des souhaits très différents. Certaines de ces lettres provenaient d’enfants habitant très loin comme ce petit Strasbourgeois qui se plaignait de St Nicolas qui n’avait pas exaucé sa demande de l’année dernière, à savoir : une clef magique pour ouvrir la cage et faire s’échapper de leur enclos au zoo local les perroquets pour qu’ils retournent dans leur pays d’origine. Une autre lettre demandait au Père Noël un élixir pour grandir plus vite car le petit garçon se disait amoureux de sa petite voisine qui le trouvait trop petit ! Là c’était une fillette qui demandait au Père Noël qu’il apporte à sa grand-mère un fauteuil roulant plus étroit que celui qu’elle avait car il était trop large et ne passait pas par la porte de la chambre de la petite, or, elle avait l’habitude que sa mamie vienne tous les soirs lui raconter une histoire avant de s’endormir. La lettre de Jules par quelques mots trahissait son malheur il avait écrit : Père Noël je voudrais un papa le mien est mort il n’y a pas longtemps, il était très gentil et je l’aimais beaucoup. Si tu en trouves un, même moins gentil, je le prendrai quand même !

C’est peut-être ce message qui l’avait le plus touché, rapport sûrement à sa propre enfance qui n’avait peut-être pas été comme devrait l’être celle de tous les enfants, c’est-à-dire faite d’attention et d’amour.

Une autre lettre curieuse, un certain petit Louis demandait que la maison qu’il habitait, située dans un quartier de la vieille ville ne s’effondre pas comme c’était déjà arrivé pas très loin, il ne voulait pas partir ailleurs. Ce dernier avait mis son adresse au dos de l’enveloppe. Le facteur connaissait cette famille, il eut envie un instant d’aller sonner à la porte (trois fois comme il en avait l’habitude) pour le rassurer mais il se retint, c’eût été se trahir. Il trouvait que les enfants dans leur naïveté étaient souvent pleins de bon sens et de logique, la vérité sortait de leur bouche.

Celui-ci commandait un char attelé à des bœufs en bois car il avait vu dans un champ un laboureur, il avait trouvé la scène très belle, il voulait la reproduire sur le carrelage de la cuisine, même si, comme il le précisait, il n’était pas encore laboureur lui-même !

Ainsi, tous les soirs de ce temps de Noël, assis devant le feu de sa cheminée, le facteur vivait cette magie qui fait briller les yeux des enfants, se souvenant des siens et de son enfance qui, même s’ils étaient loin d’être fastueux, étaient quand même un peu hors du temps, bien que sans jouets et sans lettres au fameux Père Noël. C’était quand même la fête, par tradition tous les ans le jour de Noël, ses parents (et les enfants) allaient prendre le repas de midi chez des amis dont le monsieur était receveur de la poste. La perspective de cette sortie et de ce repas était une joie qui, bien avant la date, le remplissait de plaisir. La table décorée de branchettes de sapin où brillaient deux bougies sur leurs bougeoirs, la nappe blanche, les assiettes de porcelaine bleue à filet doré où était disposée pour chaque convive, une petite boîte enrubannée, était, pour l’enfant de milieu modeste où il vivait quotidiennement un rêve auquel il accédait enfin grâce à la fête de Noël.

Pour conclure, certes ce n’était pas un bon facteur mais il voulut tout de même se rattraper et corriger cette faute professionnelle. Ne voulant pas trahir les nombreux enfants dont les lettres n’arriveraient jamais à destination à cause de son méfait, il décida de les mettre toutes dans un gros colis et de les expédier lui-même par la poste au Père Noël !

Après tout, il leur devait bien ça, grâce à leurs lettres, il allait passer un Noël de souvenirs, un bon Noël.

Jean-Paul Gouttefangeas