La peste de Thiers
Sous l’influence des idées philosophiques, il fut tenté sous le règne de Louis XV un essai de ravitaillement de la population destiné à encourager le développement des cultures étrangères exotiques. Un essai de culture du riz fut tenté en 1740 dans le Forez, le Bourbonnais, le Dauphiné et l’Auvergne.
La culture du riz exige des conditions d’humidité et de chaleur assez exceptionnelle sous nos climats. Une compagnie dite "du riz"ou "des rizières de France", dirigée par le bourgeois parisien Noël Chevillot fut constituée en 1740, Le contrôleur général Orry fit quelques difficultés pour accorder le monopole demandé par cette Compagnie ; mais après avis favorable du Conseil d’Etat, ce monopole fut reconnu le 1er janvier 1741.
L’impôt, de tout temps, manifeste ses droits. La nouvelle culture était-elle assujettie à la dîme ? Le Clergé percevait la dîme et on verra plus tard que ses membres s’opposèrent d’une façon plus que manifeste à l’implantation de cette nouvelle culture. On se référa aux premiers emplois du riz en France, lors des disettes de 1697 et 1698, mais la Procédure refusait, en fait de se prononcer. Il est bien probable que, dans plusieurs cas, les associés de la Compagnie eurent à payer la dîme, mais des raisons décisives et sanitaires allaient bientôt contribuer à l’échec de la tentative de culture du riz dans les secteurs où l’implantation avait été fixée.
Les rizières ou "canaux" furent installés dans des prairies incultes du Moûtier à la plaine située au bas de la ville, sur des terrains appartenant au sieur Maréval et sur des propriétés prélevées au village de Terme, en direction de Tamier. La maladie qui sévit en 1741 fu sérieuse au point que des propriétaires comme Darrot, Audembron, Guillemot et Nourrisson refusèrent, l’épidémie passée, de reprendre possession de leurs biens ; les terrains ayant été par ailleurs bouleversés par les travaux entrepris et rendus inutilisables. Il se trouvait là également des "chenevrières" marais vite pestilentiels, où la contagion par l’eau et les "porteurs de germes" ne pouvait qu’être accélérée par suite d’une hygiène déplorable. Dès le début de l’exploitation, des négligences se produisirent dans les rizières, les canaux imparfaitement vidés, étant rapidement devenus des marécages aux miasmes putrides.
La maladie éclata au mois de Mars 1741, mais ce fut en plein été, lorsque l’eau diminua dans les rizières, que la situation devint préoccupante. Les registres d’état civil montrent le progrès de l’épidémie et la mortalité qui atteignit le chiffre de 1214 décès en 1741, Les rizières avaient été installés sur 53 arpents de champs, prés et prairies, dans les faubourgs du Moûtier et près de la Durolle. L’endroit semblait bien choisi. Le torrent après être descendu dans les gorges, abordait une plaine unie et sablonneuse jsuqu’aux rives de la Dore, là où s’installait, au XVIII° siècle, un vaste marécage. Il avait été loué des terrains en friche, il avait été préparé des canalisations de la Durolle et on avait même fait venir des Piémontais spécialisés dans les méthodes utilisées dans les exploitations italiennes.
On avait pensé à tout sauf à la stagnation de l’eau au bas de la ville où elle croupissait en exhalant des vapeurs. Les magistrats de Thiers intervirent auprès de l’Intendant d’Auvergne demandant qu’on installât les rizières qu’au moins à cinq ou six lieux des villes murées, comme cela se faisait au Piémont. Rien n’y fit et le mois d’Août 1741 accusa pour les trois paroisses de Thiers 258 décès. Chaque famille comptait cinq à six malades dans les quartiers les plus atteints : ceux-ci furent le Pavé (rue Rouget de l’Isle), la rue de la Vaure (rue de la Coutellerie), les faubourgs du Moûtier et de la Porte-Neuve (rue Conchette et antenne OTSI). Très peu de malades guérirent. Après quelques jours de convalescence apparente, ils mourraient. On les soignait au bouillon de viande, mais la misère gagna rapidement une grande partie de la population laborieuse. Les habitants n’hésitèrent pas à attribuer à cette maladie, qui n’était peut-être en fait qu’une crise de paludisme, le nom de "peste". La maladie accentuait ses ravages par temps beau et doux et diminuait d’intensité avec le froid.
Aussi, dès que le fléau commença à cesser, en décembre 1741, les habitants s’opposèrent-ils farouchement àla continuation de l’entreprise qui bientôt allait être abandonnée, grâce à l’intervention des plus hauts personnages, dont Monseigneur Massillon, évêque de Clermont. A la fin de l’année 1743, tous les récalcitrants étaient déboutés et dès lors la culture du riz à Thiers fut terminée. Les rizières, abandonnées, redevinrent des prés. La culture du riz avait disparu à Thiers dès 1742,
La Compagnie des rizères s’était bien défendue. La maladie, disait-elle, règne dans le petit peuple et si elle provenait de l’infection de l’air, elle n’épargnerait ni les riches, ni les aisés. Les hameaux limitrophes des rizières, qui "respirent l’eau" bien plus que les habitants de Thiers, ne sont pas infestés. La ville a beaucoup de petit peuple travaillant sur les os, sur les boyaux (utilisés pour la fabrication des courroies), les peaux, le tannage, les "chenevières", où macère le chanvre pour le rouissage, et tous ces gens sont plus ou moins affligés de fièvres...
Certes, et si cet essai de culture exotique disparut de Thiers, il fut continué dans d’autres régions où il avait été entrepris mais où il détermina souvent des crises de fièvre paludéenne analogues à celles sûbies à Thiers et aux conséquences non moins mortelles (Livron, en Dauphiné, où il fallut épurer les eaux, Loriol près de Valence, où l’air "empesté" traversa le Rhône et exerça ses ravages jusque dans le Vivarais). Là où la culture fut implantée force est de reconnaître que la mortalité crût dans de notables proportions.
Par contre, près de Thiers, à Puy-Guillaume, où la récolte avait été abondante, on n’eut pas à déplorer d’épidémie, bien qu’un mauvais état sanitaire ait été signalé dans cette paroisse en 1741,
En dépit de l’échec dans la tentative d’introduction d’une culture exotique dans notre région, il faut reconnaître qu’elle a attiré l’attention des autorités sur l’utilisation d’un légume utile. A l’époque, les Intendants préconisèrent le riz au gras pour combattre les disettes. On initia le peuple aux effets bénéfiques de la soupe au riz et à la bouille de riz pour les petits enfants.
Bientôt allait apparaître la pomme de terre, ou "Parmentière", du nom de celui qui en divulgua l’utilisation. Paradoxalement, ce fait est un acquit de Louis XVI ; ce dernier Roi du bon plaisir, et apparaît comme une revanche aux disettes et famines, fléaux sans cesse combattus par ses prédécesseurs sous l’Ancien Régime Français.
Il y a 266 ans, une épidémie, dite ’Peste des rizières’ allait ravager la population thiernoise - 1741. Texte de Jacques Ytournel publié en 2007.