La chronique de l’ours au mois d’août...

Ah ! l’herbe grasse et douce que l’ours sent à la paume de ses pattes ! Elle est verte comme l’était une vallée du pays de Galles qui inspira un roman étonnant du peu connu Richard Llewellyn. Ceci dit, l’ours – et seulement celui du Livradois-Forez- profite du beau temps, de la chlorophylle, du silence et du bruit des bourdons qui ronronnent près de sa paire de tongs comme une escouade de Zéros japonais piquant sur Pearl Harbor. L’ours- et seulement celui du Livradois-Forez- marche depuis assez longtemps à côté de ses pompes pour avoir droit, en ce mois d’août, à un minimum de tranquillité. Que les bourdons bourdonnent et laissent l’ursidé en paix ! Que sa paire de fumerons parfume la campagne est en fait une défense déguisée -et odorante- des produits du terroir. Jusqu’à preuve du contraire il n’a pas remarqué d’artesons sur ses sandales ou alors peut-être deux ou trois, pauvres créatures perdues à qui Dieu dans sa grande miséricorde -et s’il existe- pardonnera cet égarement pour le moins intempestif. Ce n’est pas parce qu’il n’est pas le gendre de Karl Marx que l’ours n’a pas droit à la paresse ! C’est qu’après la période que l’on vient de connaître où le genre humain ne reconnaissait plus sa droite de sa gauche -en ces moments-là, l’ours jubile de n’être qu’un ours- le pays, des Hautes-chaumes à la Limagne essaie de se refaire une santé. Ça ne sera pas simple mais l’ours qui est un éternel optimiste reste confiant. D’ailleurs tout va bien : le code de la route est encore en vigueur. Il y a toujours deux files, l’une roulant à droite, l’autre à gauche, on tend son bras pour en changer et lorsque l’on fait le malin, voulant passer d’un côté à l’autre, bang ! c’est l’accident. L’ours rigole, ce qui lui est facile vu qu’on lui a retiré son permis de conduire un jour que le Badoulin -aux dires de la marée-chaussée- avait remplacé le sang dans ses artères. Il n’a même pas cherché à discuter. De toute façon, il parlait le langage de l’ours, alors dur, dur, d’être compris. Il était un peu comme étranger dans son propre pays. Il est reparti à pied. C’est ce jour-là qu’il s’est offert une paire de tongs. Depuis, il marche et profite de son temps libre pour se cultiver. Ainsi a-t-il beaucoup apprécié la pièce noire que l’on peut visiter au Moulin de Graveyroux sur le Miodet où est né Léon Boudal peintre talentueux de l’école de Murol et qui, comme certaines dames que l’on exhibait dans les cirques au début du siècle, portait la barbe. Comme personne n’est parfait- ce qui serait bien triste- M. Boudal portait aussi soutane. Ceci dit, le reste du temps, l’ours se promène. Il lui arrive de croiser des biches aux yeux de menthe qu’il embrasse tendrement sur la pointe de leur nez.

C’est le seul moment où il regrette de n’être qu’un ours !

Une chronique de Jean-Luc Gironde.