La caisse priori-Thiers

Mais que vais-je mettre au juste dans cette caisse ou plutôt que vais-je y mettre en priorité ? Une « grosse » de couteaux ? Non, vous connaissez tous ce sujet et pour la plupart mieux que moi, une histoire des monuments ? C’est déjà dit, la Pamparina ? Ça se vit, Coutellia ? Là aussi il y a des gens très spécialisés qui en parlent très bien, la gastronomie locale ? On la garde pour nous, ceux qui veulent y goûter viennent déguster sur place (et ils sont nombreux, à juste titre !). Je pourrais parler de l’antique et inimitable Foire du Pré, nous avons le temps, elle durera encore mille ans, je pourrais même parler encore de cette cité qui s’élève si haut par son savoir-faire, plus haut que bien d’autres, dans le domaine de la coutellerie, de la forge, de l’estampage, mais tout ça, je n’ai pas besoin de le redire, c’est prouvé depuis des siècles.

Par contre, je pourrais peut-être aborder un peu le caractère des Thiernois, leur façon d’être dans leur manière d’accueillir ceux venus d’ailleurs. Ça, ce serait « priori-Thiers » et à mettre dans la caisse. Ce serait effectivement à préserver et à ressortir chaque fois que le besoin s’en fait sentir.

S’est-on mis dans la position de ceux qui arrivent d’autres régions, d’autres villes, d’autres pays ? Ne connaître personne autour de soi est un sérieux handicap à l’épanouissement. Douze mille habitants ça n’est plus un village, c’est une ville, même si l’on peut considérer Thiers comme un cas à part ! Tout le monde se connaît, tout se sait etc. ! Mais peut-être que pour les intéressés il en va tout autrement. Je sais qu’il existe un service au sein de la Mairie, des associations bienveillantes de différentes « chapelles » dont la mission est d’accueillir les nouveaux arrivés et c’est heureux. Il existe dans certains quartiers, des bénévoles qui veillent au grain en matière d’accueil, voire aident au vivre ensemble. Il y a eu, il y a quelques jours, une fête de la Fraternité à laquelle étaient conviés les Thiernois (entre autres) organisée par différents corps où représentants de l’Etat : Sous-Préfecture, Mairie, Député, Communauté de Communes, aidés par un très grand nombre d’associations très engagées pour l’entente et la cohésion de tous les habitants, jusqu’à Monsieur le Préfet de Région en personne, venu souligner l’intérêt de la manifestation. Tous les discours étaient tournés vers la Fraternité, l’accueil dont je parle étant justement inclus dans la devise de la République : Fraternité.

Je pense que les Thiernois ont cet esprit de l’accueil, pour peu que les arrivants veuillent bien répondre favorablement à l’invitation. Le « nouveau » ne peut imposer d’emblée ses idées, ses coutumes et ses façons, il pourra sûrement le faire, (ou tout au moins les présenter et les exposer) mais il faut un temps d’adaptation, là comme ailleurs, il faut faire connaissance !

Il faut voir l’ambiance des terrasses de café pendant les beaux jours : on parle fort, (souvent très fort) on raconte des histoires, on interpelle les passants, on les invite parfois, on entend alors le fameux : « garçon, un autre café ! » Ou bien : « vous remettez ça ? » Et puis il y a les noyaux durs, les habitués qui viennent boire leur « jus » tous les matins, les regroupements se faisant automatiquement autour de la table. Il y a aussi pour certains les « indispensables », je veux parler de ceux qui ont besoin du « starter » matinal, là on a dépassé le « petit noir » pour aborder une autre palette de couleurs : tout commence très « blanc » pour se teinter de « rose » et parfois (plus rarement) atteindre le « rouge ». J’ai même vu de « grands fidèles » dignes d’une totale confiance du patron recevoir sur leur table la bouteille pleine (dans la couleur habituelle), accompagnée de la bouteille de limonade (qui entre dans la composition du fameux limé), se servir eux-mêmes en faisant le mélange des liquides dans les proportions requises. À la fin de la rencontre (midi approchant) le patron vient demander : « combien j’en compte aujourd’hui ? » Un calcul rapide de la part des participants, le compte est juste et honnête, ils règlent ce qu’ils ont prélevé, les bouteilles repartent pour une nouvelle aventure et tout le monde est content. Demain sera un autre jour.

Longtemps, lorsque j’étais jeune (ça n’était pas hier), je ne comprenais pas la démarche d’aller boire son café au bar ! C’était si facile de le prendre chez soi, (vous me direz l’un n’empêche pas l’autre), je n’avais pas saisi l’importance du contact et de la rencontre (même si le mot est fort) que l’on peut faire en commençant la journée. Il y a le « brassage » : les gens du quartier, ceux qui travaillent sur les chantiers alentour, les livreurs, les commerçants du coin (parfois accompagnés de leur chien), les retraités, les touristes, etc. Tous ces hommes et toutes ces femmes sont finalement les forces vives du lieu, ils en sont aussi les animateurs. Les nouvelles circulent, ceux qui, matinaux, ont déjà lu le journal commentent les articles, annonçant parfois les morts de la région. En un mot, les échanges sont variés (toutes proportions gardées), sans aller jusqu’à faire l’apologie d’une certaine philosophie de comptoir que nous appelons familièrement des conversations de « café du commerce ». Pour une plus ample connaissance du sujet, il suffit de demander aux patrons de bar en général, ils connaissent bien le sujet ! Subissant souvent du matin au soir les doléances de clients plus ou moins perturbés, exaltés, voire dépressifs mais sûrement en quête d’un soutien où tout au moins d’un accueil. C’est alors que ledit patron devient tour à tour médecin, confesseur, psychanalyste, et j’en passe !

Et les nouveaux Thiernois dans tout ça, me direz-vous ? Je répondrai qu’ils peuvent être surpris, voire intéressés car ils ont devant les yeux l’expression et le spectacle d‘une vie de quartier. Loin de moi l’idée de penser que l’accueil se résume à ce qui se passe à une terrasse de café mais de toute évidence il peut aussi passer par là.

À ce moment-là, vous avez envie de me dire : « oui, mais ailleurs c’est pareil », je suis bien obligé de concéder que vous avez un peu raison, cependant je persiste à croire qu’ici les indigènes déploient naturellement une vertu supplémentaire, de l’amitié communicative, le bien-être à être ensemble où ceux déjà « installés » aiment à faire une place aux nouveaux. Le fameux « finissez d’entrer » (expression locale s’il en fut) ne se résume pas à faire entrer le visiteur dans la maison, au bout de quelques mots échangés, il est fréquent qu’il soit invité à prendre un verre sur un coin de la table. Ce sens de l’accueil me rappelle ma cousine Marthe qui habitait à Courtesserre près de Courpière, pas très loin de chez ma grand-mère qui, elle, résidait au village du Château , à l’époque ma cousine avait 60 ans et j’en avais 12, chaque fois que nous lui rendions visite, il fallait « manger quelque chose » et ce, quelle que soit l’heure de notre visite. J’ai toujours conservé ce souvenir, tant il m’a frappé : le pain et le morceau de chèvreton ou de jambon à 3 heures de l’après-midi c’est marquant !

Accueillir ce n’est pas seulement ouvrir les bras à l’autre, c’est aussi les refermer, cette image est parlante. Pour nos proches, ce n’est d’ailleurs pas une image, l’accolade physique est de la plus haute importance dans la manifestation de l’amitié et de l’amour. Pour les autres, les refermer c’est donner une suite au sourire, c’est avoir de l’attention, de la bienveillance, mais c’est peut-être ça la fraternité ?

Cet élan bénéfique nous aide tous à vivre mieux, celui qui accueille trouve une reconnaissance immédiate dans le regard de l’autre. Ce dernier n’est plus un passant quelconque, un inconnu, il bénéficie d’une attention qui peut changer sa vie en lui offrant la possibilité d’être initié aux us et coutumes du lieu et, petit à petit, de faire connaître sa propre culture. Il y a de la richesse dans l’accueil et cette richesse développe une certaine joie de vivre.

À n’en point douter, l’accueil est à conserver dans la « caisse priori-Thiers », voire à mettre sur le dessus, facilement accessible et toujours prêt à l’emploi !

Jean Paul Gouttefangeas