La Commune, elle souffla aussi à Thiers - 21 : audition des témoins à décharge

À lire précédemment : Audition des témoins : audition des témoins : audience du 25 août

Suite de l’audience du 25 août.

Les deux premiers témoins qui étaient présents lorsque le témoin Montel a dit avoir entendu de Faye ce grave propos : "Viendras-tu dimanche..." déclarent ne pas l’avoir entendu.
Un témoin dit avoir vu rentrer Faye vers huit heures, et déclare ne pas l’avoir vu ressortir, mais sans pouvoir attester qu’il n’eût pu sortir sans être vu.
Trois témoins ont vu Roddier rentrer chez lui vers 8 heures, aller chercher un litre de vin, puis ne plus sortir.
Deux témoins, assignés par Grissolange pour établir son alibi, déposent qu’ils ne l’ont pas vu du tout.
Joseph Guionin , dont le neveu Guionin, dit la hyène, était dans une grande fureur et proférait des menaces de mort contre sa parente, dans la nuit du 30 avril, fut chercher la police pour s’emparer du forcené. Il trouva le bureau de police vide ; mais voyant Bourgade montant la garde, il s’adressa à lui. Celui-ci répondit qu’il était chef de poste, qu’il voulait maintenir le bon ordre, et il donna au témoin 4 hommes et un caporal pour aller arrêter son neveu, qui fut en effet conduit au poste.
Pierre Faure , enfant de 16 ans, qui fut arrêté, et relâché à cause de son âge, a vu Brun entre les gendarmes et le peuple faire ses efforts pour calmer la foule. Il l’a vu aussi chasser des gamins qui cassaient les vitres du bureau de police.
Magnol Roussel a aussi vu Brun donner des gifles à des gamins qui cassaient des carreaux.
Baraduc et sa mère ont vu Mosnat et sa femme appuyés après un mur près de la sous-préfecture. Pendant environ cinq minutes qu’ils restèrent ensemble, ils ne lui virent pas faire de mal.
Un voisin de Suquet le trouva vers 8 heures à 8 heures 1/2 couché ivre, dans la rue. Il le fit entrer dans sa fenière et ne croit pas qu’il ait eu la force de s’en retourner.
Joseph Emonin , gendarme. Je reconnais Brun pour avoir tenté de me désarmer. Il fit tous ses efforts, mais un de mes camarades baissa la baïonnette et lui fit lâcher prise.
D. Brun dit au contraire qu’il était là pour maintenir l’ordre ?
R. J’en doute fort. S’il avait voulu maintenir l’ordre, il n’aurait pas commencé par crier : "Voilà les gendarmes, ces assassins de Versailles" ; puis, ouvrant sa poitrine : "Tas de lâches, faites-moi donc du sang !".

Après cette déposition, un de MM. les jurés se trouvant indisposé par la chaleur, l’audience est suspendue un quart d’heure.

Antoine Astier , directeur de l’usine à gaz. Ordinairement, les jours d’élection, on me transmet l’ordre de maintenir le gaz allumé. N’ayant pas reçu cet ordre le 20 avril, je crus à une erreur et je vins m’en informer. Je ne rencontrai pas M. le maire, et demandai ce qu’il fallait faire à M. le commissaire de police, qui me dit de maintenir le gaz allumé, qu’il le prenait sur lui.
Dans la nuit, un nommé Lacrèche, accompagné d’un autre individu, vient me dire de la part du colonel, de faire éteindre le gaz. Bien entendu je n’en fis rien. Quelques instants après, une bande d’une douzaine d’individus vient également demander qu’on éteignit le gaz, et peu après une troisième bande, composée, je crois, des mêmes individus, revint à la charge. Je la menaçai de mon revolver et elle se retira.
M. le commissaire de police . Ce matin, à propos du dernier envoi des journaux, M. le procureur général a demandé pourquoi je ne l’avais pas saisi. Je n’ai pas saisi parce que M. le sous-préfet m’avait dit de ne plus saisir.
M. Giraud , ex sous-préfet. Quand je reçus la circulaire relative aux journaux, je la transmis de suite au commissaire de police et au lieutenant de gendarmerie, mais je compris que ces saisies ne tarderaient pas à déterminer un mouvement ; j’écrivis et je télégraphiai au préfet pour demander qu’on les saisît à la gare de Clermont plutôt qu’à Thiers. Je ne reçus pas de réponse ; mais voyant M. le commissaire, je lui fis part de ce que j’avais fait et des ennuis que me causaient ces saisies ; je lui dis peut-être que je ne voudrais pas les voir continuer, mais je ne me rappelle pas lui avoir donné l’ordre de les cesser.
M. le procureur général . Tout le monde ici doit avoir la responsabilité de ses actes. Ce matin, j’ai sévèrement blâmé, comme je devais le faire, la police et la gendarmerie de Thiers d’avoir, par leur négligence, laissé arriver, dans les mains de Chauffrias, un paquet de journaux incendiaires ; le commissaire de police proteste et prétend qu’il n’a fait que se conformer aux ordres de son chef. Voyons, oui ou non, dites-nous si vous avez donné cette défense ?
M. Giraud . J’avais donné l’ordre de saisir par écrit ; l’ordre de ne pas saisir devait être donné de même. Si je l’avais donné, je l’aurais transmis en même temps au lieutenant de gendarmerie. Je ne l’ai pas fait, donc je n’ai pas donné de défense formelle de saisir.
M. le commissaire . Je répète que vous me dites de suspendre les saisies, et la preuve c’est qu’en rentrant je m’empressai de communiquer la défense à mes agents.
M. le président . Il résume de vos propres explications, M. Giraud, que le commissaire devait au moins hésiter.

Les témoins qui se succèdent maintenant font pour la plupart des dépositions tellement insignifiantes que nous ne pouvons même pas les mentionner.

Un témoin a vu Rodier jeter une pierre contre la porte d’entrée de la sous-préfecture.

Etienne Saint-Joanis , qui était de garde dans la journée du 30 avril, a vu dans l’émeute Faye, Mosnat, Suquet, Roddier et Saint-Joanis.
Châtelain , épicier, était officier de garde le 30 dans la journée. Il entendit Faye dire : Je veux mes droits ; ma foi, tant pis, il faut que ça éclate ce soir.

Il vit dans la soirée Faye se promener bras-dessus bras-dessous avec Suquet et Mosnat.

Marpon . J’ai vu un jour Saint-Joanis qui roulait une brouette. Ta brouette est bien petite, lui dis-je. La semaine prochaine je n’en aurai pas besoin, me répondit-il.
Saint-Joanis . Eh ! bien, oui ; j’avais trouvé de l’ouvrage de mon état.
Le témoin . Le 30, le même accusé avait bu ; à 8 heures du soir, il courait les rues en criant : "Aux armes ! citoyens ; c’est le coup ; il faut monter à la mairie pour mettre le drapeau rouge".
Saint-Joanis . Je n’ai pas parlé de drapeau rouge.
Chauffrias et sa femme étaient chez un témoin le 30 avril, à 9 heures du soir. Chauffrias entendit dire qu’on avait cassé les carreaux de la sous-préfecture : "N’importe qui a fait cela, dit-il, c’est de la canaille".

Les derniers témoins ont trait à une discussion qui aurait eu lieu à la mairie de Thiers, à propos des listes de candidats pour le conseil municipal et où, paraît-il, M. Guionin, le maire, se plaignait que la liste de Chomette ait des noms sans l’autorisation des candidats.
M. Guionin, contrarié de cela, aurait dit : "Je donnerais bien 20 fr. pour que Canaille et compagnie fissent une liste contenant les noms de Chomette, Vedel et Chauffrias.
Rien de bien précis ne ressort de la discussion que Chomette élève avec les témoins à propos de ces listes, si ce n’est que Chomette paraît vouloir insinuer qu’une liste, contenant des noms tarés, lancée et qui a même réussi aux dernières élections de Thiers, est l’œuvre de quelqu’un qui aurait été soudoyé pour cela. On voit qui il veut désigner ; mais il ne le nomme pas et nous devons conserver la même réserve.

Daniel Pignat a vu Chomette, le 30 avril, au café Faye. Est-il possible, lui demanda-t-il, qu’on se batte de soir ?
Chomette répondit : que l’on fasse ce que l’on voudra. Quant à moi, je ne me bats qu’avec les bulletins.
Gamiche Eloy . C’est ce témoin qui, présent comme employé auxiliaire à la mairie de Thiers, avait discuté avec M. Guionin la théorie du droit de porter des noms sur les listes sans l’autorisation des personnes.
Chomette . Que sait le témoin de la dernière élection de Thiers ?
Le témoin . Je sais que j’ai été porté sur une liste, à mon insu, et que j’ai été élu.
M. le procureur général . Êtes-vous toujours conseiller municipal ?
Le témoin . Je crois.
M. le procureur général . Eh ! bien, moi, je suis mieux renseigné que vous. Votre élection a été annulée parce que vous n’êtes pas éligible, ne payant pas d’impôts.

Ce témoin est le dernier ; la liste est épuisée.
M. le procureur général donne lecture de diverses dépositions. Plusieurs ont trait à la présence de Chomette à Paris. Un des témoins dit que Chomette avait cousu ses papiers dans le dos de son paletot et qu’il avait dit : "Si on trouvait ces papiers, il y aurait de quoi me pendre".

Audience du 26 août.

La parole est donnée à M. le procureur général (vif mouvement d’attention).

Il nous est impossible, on le comprend, non seulement de reproduite, mais même d’analyser d’une façon complète le réquisitoire de l’honorable chef du parquet. Nos ressources de publication ne sauraient nous le permettre. Nous avons dans cette affaire, comme dans toutes du reste, un devoir, celui de la plus complète impartialité, par conséquent d’une égale reproduction des moyens de l’accusation et de ceux de La Défense. Or, en raison du nombre des défenseurs, nous entrerions là dans un travail interminable, et que nous ne pouvons même songer à entreprendre.
Nous sommes donc obligés de nous borner à la désignation du rôle révolu à chacun des défenseurs.
Le réquisitoire, commencé à l’ouverture de l’audience, ne s’est terminé qu’à près de une heure et demie.
L’audience est suspendue jusqu’à trois heures.

À la reprise de l’audience, la parole est donnée à M° Ferdinand Roux, défenseur de Suquet, Faye et Chassaigne.
M° Henri Tallon présente La Défense de Mosnat.
M° Sicart, du barreau de Clermont, prend la parole en faveur de Roddier et Grissolange.
M° Touttée a mission de présenter La Défense de Brun, Saint-Joanis et Bourgade.
M° Welter présente la défense de Elisabeth Guérin et d’Anne Saint-Joanis.
M° Grenier se lève ensuite en faveur d’Antoinette Douris, femme Dascher.
L’accusé Chomette présente lui-même sa défense.
M° d’Aubusson, du barreau de Clermont, présente la défense de Vedel.
M° Sicart se lève de nouveau pour présenter La Défense de Chauffriat.
M° Nony, défenseur de Chomette, en présence de la défense personnelle présentée par son client, prononce en quelque sorte la péroraison de toute la défense et fait valoir des considérations générales sur la cause.
Sa plaidoirie est interrompue à deux reprises par l’état de fatigue de Chomette qu’on est obligé de faire sortir.

Audience du 27 août.

M. le procureur général et M° Non échangent de courtes répliques.
À neuf et demie, M. le président commence son résumé.
Il est midi et demie lorsqu’il le termine.
L’audience est suspendue jusqu’à 3 heures.
Un des messieurs de la Cour donne lecteur des 546 questions qui sont posées au jury.
Après une délibération de plus de trois heures, le jury rentre en audience et prononce un verdict négatif sur toutes les questions.
En conséquence, tous les accusés sont acquittés et mis immédiatement en liberté.

Merci à Georges Therre pour nous avoir confié ces documents.