L’ours du livradois
L’ours du Livradois n’existe plus. Enfin, c’est ce que disent les esprits chagrins ou les imbéciles de tout poil, autrement dit pas mal de monde. Car à en croire de savants docteurs que le manque de crédits publics n’a pas découragés, il resterait quelques spécimens oubliés, non génétiquement modifiés que les premiers frimas ont bien sûr rendus invisibles. En effet, dès les premiers jours de novembre, l’ours du Livradois –que l’on ne peut confondre avec celui des Pyrénées puisqu’on le reconnaît à sa seule paire de tongs et à son slip à pois qu’il lui arrive de jeter à la tête du quidam lorsque l’envie lui en prend- se niche dans un trou douillet pour y piquer un roupillon dont il n’émergera qu’au printemps.
Pendant cette période, sa température intérieure descend pour atteindre un niveau de rêverie irréversible qui confine au divin. Il ronfle du sommeil du bienheureux.
C’est pour ça que, dans les milieux autorisés, la rêverie de l’ours du Livradois est la seule preuve palpable de l ‘existence de Dieu. D’ailleurs, du temps où les curés portaient soutane, ce qui remonte à loin mais permettait de les identifier facilement, ceux-ci n’hésitaient pas –dérogation papale à l’appui – à vénérer ce seigneur au poil dru et à la harangue facile. Et de lui caresser le groin – d’où l’origine du mot Grün de Chignore, contraction abrupte de l ‘expression groin de Signore du nom d’un ours du Livradois aux origines transalpines qui vécut au 13ème siècle, selon des érudits locaux qui l’avaient confondu avec un cochon et dont, par pudeur, nous tairons les noms.
Car l’ours du Livradois parle – il lui arrive aussi de peindre, de piloter une conduite intérieure rutilante ou de nager sans ses tongs ce dont nous reparlerons à la fonte des neiges- mais il ne parle pas pour ne rien dire.
Et c’est bien là le problème : le dernier ours du Livradois rencontré a grogné, grogné… avant de s’endormir.
Pire qu’un ours !
Des spécialistes auvergnats de l’hibernation -bien qu’ils prétendent ne l’avoir jamais vu- ont diagnostiqué un état de béatitude parfaite. Pour preuve son haleine parfumée de saucisses au couteau, de pintades aux choux…. L’ours du Livradois est un rêveur qui préfère s’endormir plutôt que de rester bêtement debout sous le vent, le froid et les moqueries des ignorants qui le prennent pour un panda. Comme si l’on pouvait faire la confusion avec les Hautes chaumes et les bambous chinois. L’ours du Livradois est la dernière créature à croire au Père Noël. C’est pour ça qu’il préfère dormir plutôt que de retrouver sa paire de tongs vides.
Sinon, c’est bien triste mais il lui faudrait changer de chaussures !
Une chronique de Jean-Luc Gironde