L’art d’observer

Observer c’est mieux que regarder, c’est mieux que voir, c’est prendre le temps. Mais le temps sur quoi me direz-vous ? Sur un regard normal, plus ou moins indifférent c’est prendre du temps sur le temps qui s’écoule avec tout ce que cela comporte. Dans ce déroulement, il faut reconnaître que bien des choses parmi celles que nous voyons ne sont pas toujours les plus intéressantes, voire les plus belles : nous les voyons, c’est tout. Le tri est fait par notre ‘’moteur central’’ en fonction de notre intérêt pour les sujets. C’est donc sur ce temps imposé par la vue que nous allons par notre seule volonté arrêter un temps le ‘’défilé’’ de ce qui s’offre à nos yeux pour poser notre regard plus intensément sur ce qu’a retenu notre désir : pour observer.

Observer dans bien des domaines peut correspondre à assister à un spectacle. Le temps étant actuellement très clément, assis dans mon jardin j’observais ce qui bougeait autour de moi et en particulier un couple de gros pigeons bleus à col blanc. Leur manège (car c’en était un) était étourdissant et sûrement à inclure dans le cadre des préludes amoureux (des pigeons). Le plus agité des deux jusqu’à en être insupportable était le mâle, (c’est souvent le cas !), s’agitant sans cesse, sautant d’une branche à l’autre voulant se faire remarquer de la belle qui ne semblait pas très impressionnée par ces agitations perpétuelles. Face à elle, gonflant son viril poitrail planté sur ces pattes de volatile prétentieux à outrance il s’égosillait dans des roucoulements à la fois variés mais cependant répétitifs, sa gamme étant assez limitée. Au bout d’un moment, lassée sans doute de ces gesticulations (malgré tout amoureuses), la pigeonne s’envola, laissant là, pantois, le soupirant encore tout ébouriffé de désir. N’en doutons pas, sous peu ils s’aimeront d’amour tendre !

Et les insectes ! Quel spectacle que d’observer les nuées d’abeilles qui butinent les fleurs du vieux houx tout proche, passant et repassant méthodiquement sur chaque fleur déjà visitée des milliers de fois, sans se lasser, en ouvrières infatigables.

Il y a du plaisir à observer la nature (entre autres sujets), comme à observer un temps de silence, ce qui n’a rien à voir avec le fait d’observer la règle ! Observer c’est regarder attentivement, c’est contempler, c’est être un observateur attentif en ’’ ayant l’œil’’ et être en capacité de savoir remarquer les causes et les effets de ce que l’on voit avec une attention suivie.

Pour revenir à la nature, qui n’a pas été fasciné par l’observation du ressac des vagues sur les rochers ? Par une mer de nuages remplissant la vallée, par la vision de la chaîne des volcans d’Auvergne en venant de Thiers, tant de belles choses nous entourent.

Du fauteuil du salon où il m’arrive de m’assoupir (le mot est faible !) j’observe ‘’l’éclatement’’ de l’arbre de Judée du jardin, c’est un véritable enchantement, un amoncellement de fleurs mauves qui ne cesse d’augmenter dans sa profusion et son volume, dans le bourdonnement perpétuel des gros bourdons noirs qui affectionnent particulièrement cet arbre (et sûrement comme nous son exquise odeur), entouré des lilas en fleurs qui sont maintenant de la partie, le jaune des forsythias ayant disparu, il n’y a pas de fautes de goût dans l’assemblage des couleurs ! En dessous, deux merles (peut-être toujours les mêmes), comme l’an dernier sautillent à pieds joints, scrutant le sol, faisant leur sort à quelque ver imprudent, sorti de terre sans doute pour prendre l’air. Il faut voir l’oiseau arc bouté sur ses pattes tirant de toutes ses forces sur la bestiole, le corps en arrière avec une détermination sans pareille. À observer la scène, on y prend un plaisir qui nous invite à la réflexion (enfin dans ce cas précis toutes proportions gardées !). C’est le but de l’observation, et ce, dans tous les domaines : pour connaître et pour comprendre, tout simplement pour voir avec attention et parfois pour s’émerveiller, c’est la réponse à la question : pourquoi observer ? Car observer c’est l’action de considérer, que ce soit la nature ou les êtres humains (prêter attention aux autres), afin de mieux les connaître. Le premier avantage dans tout cela c’est de recueillir ‘’l’info’’ en première main.

Dans le fait d’observer son voisin ou un passant, il n’est pas question bien sûr d’être omniscient, c’est-à-dire de vouloir tout savoir sur tout le monde, mais seulement de mieux le connaître, dans la limite de la convenance. Dans le cas contraire il y aurait un comportement d’intrusion de la part de celui qui observe, phénomène qui peut se produire de différentes manières ; caméra, photo et même interview, ce qui peut d’ailleurs modifier le comportement (du ou des) observés.

On peut aussi être un spectateur doublé d’un observateur attentif d’une rencontre sportive ou d’un spectacle si l’on est mandaté pour en rendre compte (journal, radio, etc.), ou regarder le déroulement de la manifestation en simple observateur lors d’une assemblée ou commission sans droit d’intervenir, l’esprit de l’observateur doit être passif, c’est-à- dire ne pas intervenir : se taire. Rendre une observation objective, c’est décrire le plus fidèlement possible la réalité, en ne tenant compte que des faits observés, sans y ajouter ses propres jugements ou sa perception personnelle. On peut parfois dire d’un observateur qui regarde avec attention et esprit critique et à qui rien n’échappe qu’il a ‘’un regard d’observateur’’.

Le romancier et plus largement en littérature, celui qui écrit et produit donc un ouvrage, suit ce qui lui est prescrit par une double règle : être observateur
scrupuleux et ‘’expérimentateur’’ des événements qu’il va rapporter en les couchant sur le papier, quelle qu’en soit la source (mentale ou réelle).

Vous avez sûrement comme moi ressenti parfois une impression d’être observé alors que vos yeux ne voient pas l’observateur. Sensation étrange qui tend à démontrer que notre cerveau est doué de capacités insoupçonnables.

Il faut bien noter que ‘’l’observateur’’ est coiffé de plusieurs ‘’casquettes’’, ce peut-être un militaire ou un diplomate chargé de mission d’observation ; pour un patient, il peut alors être ‘’admis en observation’’ dans un établissement médical ; on peut-être invité à observer de plus près ou à observer un temps de silence entre chaque paragraphe d’une lecture.
Dans certaines circonstances dramatiques on peut observer une trêve et même un cessez le feu. Un accusé peut observer le silence. Ceux (dans un genre apparenté) qui au nom d’une religion pratiquent fidèlement une règle font preuve de stricte observance. Il fut même créé au XVIIIème siècle un rite maçonnique apparenté à la Chevalerie du nom de Stricte Observance.

Il y a quelques mots pour la fin de cette chronique, je les mentionne pour ceux qui en bénéficient post mortem : ‘’observons une minute de silence ‘’ !

Jean-Paul Gouttefangeas