Jean-Jacques Meunier... forge et cultive son jardin

Chez lui, les volets de la maison sont bleus et le vent caresse d’un revers de souffle des petites bannières colorées tendues depuis le mur. Il dit : " Ce sont les chevaux du vent. Sur chaque morceau est inscrit un souhait, une prière, comme ça le vent qui passe au travers emporte une partie de ce message et ceux qui sont touchés par ce vent, reçoivent une partie du message, inconsciemment. S’ils y croient bien entendu..."

Au hameau des Signes, tout près de Cunlhat, Jean-Jacques Meunier a posé ses outils, sa forge. Il y a aussi posé son âme qu’il cultive tranquillement comme il cultive son potager, en prenant le temps. Le temps de vivre. Avec femme et enfants, des chats, des poules celui qui a vécu tant de vies, fabrique aujourd’hui des couteaux comme on en voit peu. L’homme est à part dans la profession et l’originalité de son être se retrouve bien évidemment dans son travail. Sa vie est simple et épurée, ses couteaux le sont aussi. Et c’est pure merveille !
Drôle de parcours que celui de ce natif de la région parisienne. La capitale bien sûr mais aussi l’Algérie où il ’accompagne son père, ingénieur, parti en coopération, puis Paris à nouveau, vendeur dans un relais H de la gare de l’Est, bûcheron, cuisinier, imprimeur...

Puis enfin, une vraie pause : l’entrée en apprentissage chez les Compagnons du Tour de France comme tailleur de pierre où il reste trois ans avant de devoir renoncer après un accident du travail. Il en gardera le goût de la forge : c’est lui qui entretenait et fabriquait les outils de taille. "Pour le côté transmission, passage de savoir, un peu comme chez Heri Vincent dans son roman Le Pape des Escargots !"
Jean-Jacques Meunier aime les livres et il cherche sa voie. Par hasard - le hasard tient une grande place dans sa vie - il tombe sur un bouquin relatant la vie de Milarepa, un yogi tibétain. Captivé par cet itinéraire, il fait tout pour pénétrer les lieux d’enseignement du bouddhisme. Il finit par découvrir La Pagode à Vincennes où on l’oriente vers un centre en Savoie. Il écrit... n’attend pas la réponse et se présente. On l’accueille.
Il passe trois années à préparer une retraite spirituelle qui durera quatre ans avant de rester quatre années supplémentaires. "Je cherchais comme tout le monde - explique-t-il - des réponses à des questions que nous sommes tous amenés à nous poser : Qui suis-je ? Où vais-je ? Etc. J’y ai trouvé un cheminement valide qui balise ma vie (...). Le choix de mes priorités a différé. Je sais qu’un être humain, sans projet, s’arrête."
Pendant cette période riche, Jean-Jacques Meunier est devenu lama, il enseigne à son tour. Toujours la transmission... Et puis il reprend le chemin de ravie. Il travaille comme conseiller en insertion en mission locale : 3 ans à Marseille, 2 ans en Savoie. Un beau jour, il lâche tout. Rupture négociée, passage d’un salaire correct au RSA ! Le choix d’un homme ! Son choix.
Pour des raisons familiales il décide de se rapprocher de l’Auvergne. Et du bassin thiernois plus particulièrement, car il a toujours été un passionné de couteaux, sa madeleine à lui : "quand j’étais gosse, j’avais toujours un couteau dans la poche, et à la maison, c’est moi qui les affûtais !"
Mais il sait ce qu’il veut : son "truc", c’est le couteau droit, de style japonais ou nordique. "Le couteau fermant, la mécanique... ce c’est pas ce qui me plaît. J’aime la pureté de la ligne". En bon compagnon, il lui faut un maître, un vrai. Et le hasard est là, une nouvelle fois ! Il surfe sur Internet et trouve l’adresse d’Henri Viallon - sans savoir qui il était - il débarque un beau jour aux Belins à Thiers. Le courant passe entre celui qui a déjà été sacré meilleur ouvrier de France en coutellerie et ce personnage hors normes, d’une douceur désarmante qui eut apprendre le métier de coutelier ! Il décroche un stage de formation de sept semaines. Pépite de vie : "Chez Henri, j’avais une lame d Tanto, un poignard japonais, un couteau fixe. Cette lame m’avait beaucoup plu par sa ligne, très simple". Henri lui apprendra plein de choses notamment l’art du damas. Toujours la transmission. Et l’apprentissage est saisissant : dans les vagues de son damas, on dirait que le Bernin est venu écraser ses drapés dans le métal de la lame. Jean-Jacques partira ensuite deux mois à Sauveterre chez le coutelier Guy VIalis, et finira par s’installer dans le bourg de Cunlhat.
Et le hasard le poursuit : à la recherche d’une ferme, il en trouve une dans un petit guide qu’on lui a offert. Il cherche et cherche encore pour finir par trouver, au hameau de Sagnes, un habitat conforme à ses aspirations, une ferme en long, typique du Livradois-Forez. Et pour cause : sa maison était celle qui illustrait le fameux guide sur l’Auvergne ! "J’avais rêvé de cette maison avant de l’habiter, c’est étrange". Etrange effectivement. Etrange comme cette confession sur son grand-père, chef de l’armée secrète en 1940 dans la région, qui sera arrêté, torturé et fusillé avec les otages de Billom et dont on n’a jamais retrouvé le corps ! "Il y a une vibration avec cette terre, on est sensible à ce dont est pétri...". Peut-être que les chevaux ont du vent...
En 2005, Jean-Jacques s’installe donc à Sagnes. Il transporte tout l’outillage nécessaire : forge, enclume, frotte, perceuse, marteaux.. et même un pilon de 75 kg que lui a donné un stagiaire venu s’initier (toujours la transmission). Il commence alors à produire. A son rythme, en fonction des besoins. Il expose dans les salons (Nontron, Paris, et bien sûr Coutellia à Thiers), commence à se faire un nom dans ce microcosme des artisans couteliers d’art. Il travailler avec Serge Raoux, un sculpteur passionné comme lui d’art japonais et spécialisé dans les nutsuké - à l’organe, des petites miniatures attaches à une ceinture - qui deviennent des éléments essentiels à la réalisation d’un couteau. Entre eux, l’accord est parfait. Les passionnés viennent à lui. Mais l’homme reste serein.
Bien sûr il ferait bien quelques salons de plus mais... mais... l’argent n’est pas son moteur.
Sa quête est ailleurs, il attrape des parcelles de temps qu’il goûte avec plaisir. Il sait bien que tourner le sablier est une illusion, que le bonheur est là, caché peut-être sous les sabots de cette mule qu’il a ramenée après deux jours de voyage de la Chaise-Dieu à Salles, à travers routes et chemins de terre. "Ce fut une belle expérience. De la charrette, on voyait tout. On a ramassé plein de champignon parce qu’on avait le temps de les voir sur les talus. J’ai même vu un escargot mâcher une feuille !". Un escargot ? Mais c’était leur pape ! Ou alors... le hasard !

Jean-Jacques Meunier
Sagnes
63590 Cunlhat
Tel 04 73 72 24 42

Chronique de Jean-Luc Gironde parue dans CentralParc mai/juin 2015. Photos Sophie Pavlic.