Evocations d’automne

Nostalgie ? Oui, un peu quand même, le cycle des saisons se déroule, les jours diminuent, le soleil est plus bas, la température descend donc la fraîcheur arrive, les déclarations d’impôts aussi, sans parler des taxes et autres quittances. Il va falloir songer à sortir les vêtements chauds, mettre les pulls, les chaussures d’hiver vont émerger des placards, les couettes rangées dans les coffres ou les fonds d’armoire seront bientôt de la partie (et les chéquiers aussi). Inconsciemment ou par nécessité, nous suivons le cycle des saisons en nous y adaptant pour les vivre comme il se doit.

Bien sûr, la beauté de l’automne existe et nous y sommes sensibles : les couleurs de la nature et de la lumière sont parfois un chef d’oeuvre. Les nuits sont plus longues, on dort mieux quand le noir s’installe et qu’il fait moins chaud, même si c’est le temps de la dernière chance pour des rayons chauds du soleil.

L’automne sait être convivial malgré tout, propice aux derniers repas en plein air (ou déjà au coin du feu) en famille ou avec les amis, sous le regard des feuilles qui bientôt vont jaunir, passant parfois par le rouge annonciateur de leur fin prochaine mais ne désespérons pas, même les feuilles mortes sont ‘’dans le vent’’ ! Et puis il y aura les trésors des récoltes, les belles couleurs des potirons qui ne serviront pas seulement de décoration ! La perspective des cèpes et des girolles et de leurs senteurs, sans parler des fruits typiques de la saison, les mûres, les raisins, les figues car c’est le temps béni des récoltes, dont celui des légumes à racines. C’est certain, c’est quand même la saison douce car ce que nous perdons en fleurs, nous le gagnons en fruits dans le rouge, l’orange et le brun des feuilles en fin de vie, ce qui sent le repos hivernal pour les arbres. C’est bientôt la sève qui redescendra, limitant leur croissance. Nous mêmes nous ralentirons notre rythme de vie.

C’est le temps où l’on arrache les pommes de terre dans les champs. Il me revient un souvenir de mon enfance où mon père nous emmenait (les jeudis) pour les ramasser derrière les ‘’arracheurs’’ et parfois le tracteur. Nous remplissions les paniers et les ’’grands’’ allaient les vider dans les caisses alignées le long du chemin. C’était sur une terre située dans le quartier de Lagat, à Courpière, qui appartenait au collège St Pierre, pas très loin du terrain de foot où quinze ans plus tard j’emmenais moi-même les élèves, en tant que prof de gym. Souvent, c’était l’économe lui-même qui conduisait le tracteur. Comme mes deux frères, nous étions élèves de l’institution et mon père, sûrement pour diminuer les frais de scolarité, avait passé un accord avec le père Bastide, une amitié régnait entre eux en tant qu’anciens prisonniers de guerre.

Je me souviens aussi de l’épisode de la tuerie du cochon à la maison dans cette même période (octobre). Ça n’est pas un souvenir qui m’enchante. Je n’aimais pas beaucoup cette journée. Tout débutait par l’arrivée du ‘’tueur’’ dès le matin, un certain Toinou. Déjà ma mère s’activait de mille façons : préparant de nombreux récipients, bassines, plats creux, soupières, un plancher pour enrouler à plat les boudins etc. La veille, elle avait réuni les bouquets garnis, les plantes aromatiques, les noix, la crème fraîche. Le saloir du grenier avait déjà été nettoyé et le sac de sel était prêt. À proximité, la huche pleine de cendres attendait mais servirait plus tard pour les jambons et les saucissons, quand tout cela serait sec. Dehors, la paille était prête pour le feu ‘’purificateur’’.

Ce qui me déplaisait le plus dans cette journée était d’entendre les cris de la bête lors du coup de couteau fatal. Cela durait longtemps (trop longtemps), je me revois me bouchant les oreilles, bien qu’éloigné de la scène de crime. Le sang de la plaie du cou qui giclait par saccades était récupéré dans une grande poêle à frire puis versé dans une biche de grès (car le cochon, entravé, était tué couché sur le côté). Avant le brûlage à l’aide d’un grand coutelas, le Toinou raclait la peau pour récupérer les soies. Puis venait le brûlage, je revois les traces que le feu avait provoquées sur la peau, on insistait sur les sabots pour faire éclater la carapace des onglons qui ne devait pas apparaître sur les futurs jambons.

Couché sur le dos c’était ‘’l’ouverture’’ de l’animal. Les entrailles sorties, l’homme de l’art faisait plusieurs lots : outre les intestins, tout (ou presque) était récupéré. Les femmes emmenaient toute la tripaille à la rivière toute proche pour laver les boyaux. Ils étaient vidés et l’on faisait entrer l’eau à l’intérieur pour les rendre prêts pour la suite des opérations. À Lagat, il est arrivé plusieurs fois que la Dore déborde à cette époque, l’eau coupait le chemin d’accès et envahissait les prés alentour. C’est alors au milieu du pré que se faisait cette sorte de ‘’bugeade’’ de chairs. Pendant ce temps, le ‘’pouore’’ était découpé. C’était tout un art : la tête sectionnée, les jambons étaient découpés avec adresse. J’ai souvenir du tracé impeccable de la lame parfaitement affûtée décrivant des cercles très sûrs. Puis venaient, à la feuille, le tour de la colonne (on enlevait les filets mignons),la découpe des côtes etc. À force de prélever, il ne restait que le lard.

Dans la cuisine, la manivelle de la machine à hacher, fixée au débord de la table, allait bon train en vue des saucisses et saucissons. Dans l’eau fumante, on plongeait les boudins remplis de sang. La journée bien remplie (elle aussi) se terminait dans des odeurs qui avaient accompagné toutes ces opérations et qui ne me plaisaient pas non plus.

C’est le lendemain que je trouvais les moments intéressants de toutes ces ‘’cochonneries’’. En effet, il était d’usage de porter la ‘’fricassée’’ aux voisins, aux amis, à la cure etc. Cette assiette plus ou moins garnie se composait de quelques saucisses, de boudin, d’une tranche de filet, d’un peu de gras, le tout couvert de crépinette. J’accompagnais volontiers (avec mes frères) ma mère dans ces visites, sachant que les bénéficiaires allaient se montrer généreux à notre égard (c’était la moindre des choses !).

Une fois encore je me suis éloigné du sujet du jour mais après tout, cette histoire est bien une évocation d’automne ! Il n’y a pas que le vol (et le cri) des oies sauvages, en partance pour le sud, ni le brame du cerf (chez nous c’est plus rare), ni les écureuils en pleine période d’engrangement, ni les cris de la chouette effraie qui se réveille, sans parler de la pluie, des bruines et du vent maraud qui engendrera l’abscission (la chute des feuilles).

Malgré tout, nous souhaitons tous les couleurs de cet été indien qui pourrait venir nous donner des journées encore douces, c’est lui qui prolongera un peu plus les plaisirs de la saison qui se meurt (et pas seulement dans le nord de l’Amérique !) un automne beau participe à nous rendre heureux, même si l’annonce du changement de saison a sonné car même s’il est mélancolique, il sait aussi être gracieux, et puis la couleur des chrysanthèmes se profile et leurs
couleurs sont si belles.

Il faut reconnaître que c’est vraiment une saison de contrastes mais nous l’aimerons encore, elle est si généreuse.

Jean-Paul Gouttefangeas

Merci à François-Noël Masson pour la superbe photo qui illustre cet article.