Et pendant ce temps-là

Les saisons se succèdent, le chaud, le froid, les bonheurs et tout le reste, l’attente, l’oubli, les rencontres, les passions, les trouvailles, on espère. Et pendant ce temps, on brûle des forêts, on fait exploser les Bouddhas, on construit, on démolit, on bâtit, on embellit, parfois on sauve ce qui peut encore l’être, on découvre des vestiges : ça donne le vertige. Dans tout excès se cache le vice.

On pense, ceux qui pensent parviendront peut-être à faire penser, on réfléchit (parfois), on fait des plans, on écrit des thèses. On s’enrichit, on se drogue, on meurt de faim (parfois d’ennui). Et pendant ce temps, on fait des campagnes militaires, d’autres contre la misère, contre la faim et même des sanitaires ! On se lève de bonne heure, on crie au génie, on a de la chance. On perd de l’argent, on gagne à être connu, on rit, on pleure, on perd le sommeil. On cherche (vaguement) à se connaître soi-même, on fait la sourde oreille, parfois on la prête, dans le meilleur des cas on se réconforte, on se prête main forte. On est avare de mots, mais il est vrai que si l’on ne sait où l’on va, on ne trouve pas les plus favorables, on dépense sans compter, on fait des trous dans son budget, on les bouche comme on peut. Ce qui est heureux, c’est que l’on peut être à découvert et ne pas souffrir du froid.

Et pendant ce temps, certains font bombance, d’autres percent de nouveaux trous à leur ceinture. Certains voient la fin, c’est moins bien, d’autres sont des boute-en-train. L’élite marche sur l’eau (c’est rare), d’autres boivent le bouillon (c’est fréquent), ils tirent le diable par la queue, ils sont montés en queue du train, ils crient au secours mais ils s’adressent à des sourds. Ils ont besoin d’argent, ils croient encore au Père Noël, pourtant dès que l’on parle argent nous sommes tous dans le même wagon, c’est la même religion.

On fait son beurre, on voit la vie en rose, on est à dos d’éléphant (rose), c’est une petite folie, la même fantaisie et puis on file en douce, on se vide la tête, on veut aller de l’avant. On pêche le gros, même si on est gagne-petit et pour faire court, on commande un café allongé. On porte ses yeux où il ne faut pas, on s’occupe de ses affaires, on s’intéresse à sa voisine, mais pas pour sa zibeline. On fait ses courses, on rêve des chariots de feu mais on ne sait pas où est Zanzibar, alors on veut redécouvrir l’Amérique. On voudrait tous les jours danser sous la pluie parce que c’est ça la vie, ce n’est pas attendre que l’orage passe, l’attente est le pire obstacle, c’est espérer demain en négligeant aujourd’hui. On voudrait être heureux tout le temps, parce que c’est sûrement le meilleur remède pour garder la santé.

Et pendant ce temps, quelques uns tapent encore à la machine, d’autres sur leur femme (nombreux), ils fument des gitanes, ils se lancent sur des pistes, pistent le gibier, ils le veulent saignant. Ils perdent à la belote, ils ont beau jeu de signer aux partis mais ils perdent la partie. Ils ont pris le train en marche, abîmé leur soulier et raté le coche et traînent maintenant la semelle. Pourtant il ne faut pas désespérer, de partout on peut s’élever.

On marche la tête dans les étoiles, on se prend pour une star, on est réveillé en sursaut, on a mis le pied sur un râteau. On chante comme une casserole, autour, on en fait toute une histoire, on s’en moque on en a plusieurs sur le feu, après celle-là une autre. On reste baba, on trouve même que c’est beau. Il arrive qu’on ait cédé aux passions qui sont les pires guides, qu’on ait fauté. On pense à Rousseau quand on a le nez dans le ruisseau, on oublie la toque de fourrure. On en prend pour dix ans, au mieux on est en conditionnelle. On plaide non coupable on broie du noir, on en prend plein la tête, c’est la faillite, il n’y a plus de vin dans le tonneau, on est au bout du rouleau. Le chemin semblait commencer, le voyage est fini. Derrière les barreaux, ça n’est pas si beau. On rêve comme jamais de gravir les montagnes, de revoir la Bretagne, on bénit les plaines, on voudrait faire des bonhommes de neige et acheter des carottes.

Et pendant ce temps, d’autres veulent aller de l’avant, ils boivent du petit lait, et pensent à la crémière, ils espèrent toujours le bonheur, ils veulent jouer dans la cour des grands, ils louent Louis XIV. Ils rêvent de prendre leur voiture pour aller courir sur un tapis roulant ou volant pour rejoindre l’Orient. Ils racontent des histoires auxquelles personne ne croit, tout ça ne tient pas la route mais permet de dormir debout, comme d’autres aiment Mitterrand mais malgré tout préfèrent les ortolans.

On s’exprime par éclats et on casse des carreaux. On recolle les morceaux, on assemble des mots. On entend même dire que Dieu n’existe pas alors que d’autres affirment (aussi dans d’autres langues) qu’il est grand. Il y a des accrochages, on fait des constats parfois amiables, parfois d’échec. On est même capable de quitter les bons chemins sans s’en rendre compte, comme on peut gravir des échelons sans pour autant écraser les doigts des autres. Vouloir se surpasser comporte des risques (comme de fumer), voire tomber dans le fossé. On peut collectionner les diplômes ou se contenter de ramasser ses pommes, c’est tout aussi honorable et tout est pardonnable. Avoir le compas dans l’oeil ne dispense pas de mesurer ses capacités pour être toujours à l’équerre et veiller au grain fraternel. Etendre son propre linge sur le fil c’est étaler son blanc et sa couleur aux yeux de tous.

Et pendant ce temps-là, il y en a qui se mettent à manger sans sel, et des gouttes dans les yeux, ils montent des mayonnaises tout en cassant des noix en évitant leurs doigts (ce qui est un exploit). Ils font des étincelles en soulevant des enclumes (sans marteau), autrement dit, ils se forgent le caractère sans bailler aux corneilles, proclamant sans bâillon ‘’que la montagne est belle’’ et en évitant si possible ‘’le poulet aux hormones’’. Ils voudraient aussi rajeunir sans avoir à jeûner et parfois maigrir sans avoir à souffrir, seulement en tondant le gazon sans hausser le ton, en ignorant le son (de la machine).

La tentation est grande, passé un certain âge, de faire un baroud d’honneur, plein de reconnaissance pour les plus beaux moments vécus, pour remercier les abat- jour qui, parfois, ont fait de l’ombre au malheur qui nous accablait et tant pis pour les rabat-joie qui pensent que la noirceur est indispensable à la condition humaine. Tant que l’on est encore aux marches du ‘’pas laid’’, sans avoir vraiment descendu les degrés, il faut tenter de vivre au mieux chaque jour qui passe, parce que chacun d’entre eux est une vie. Prenons le temps de crier au génie de la vie, ce n’est en aucun cas hurler à la mort !

Et pendant ce temps-là, ils croient qu’on s’amuse ! (mais le plus fort c’est qu’ils ont raison).

Jean Paul Gouttefangeas

Photo de Vincent Treussier, extraite de l’album 500 jours à vélo.