En traversant Thiers (ça continue)
Souvent c’est par automatisme que nous nous rendons d’un point à un autre, le trajet il est en nous pour l’avoir parcouru cent fois, mille fois, alors nous n’avons plus d’attention sur ce qui nous entoure, nous connaissons tout ça par cœur : pas si sûr !
La semaine dernière, notre périple thiernois s’était terminé à la prise de la rue Prosper Marillhat et lui faisant face à l’ancien hôtel ‘’Belle Vue’’ qui fut aussi, il y a quelques années, le dépôt d’un marchand de vins. Continuons donc. Nous sommes à la hauteur de la splendide maison (sûrement construite par un banquier) qui fut habitée un temps par le docteur Fournet (et son nocif et si utile matériel de radiographie). Ce bel hôtel particulier aux portes dessinées en plein cintre, sommées par une clef en console est en tout point remarquable. Au niveau du premier étage on devine depuis la rue le dernier jardin suspendu (plat) que l’on puisse voir, nous les retrouverons dans les derniers virages de la rue de Lyon. Et là : ‘’que la lumière soit’’ ! La vue est splendide sur la ville basse, la plaine et la chaîne des Dômes. C’est une fenêtre ouverte en grand et ce, sur tout le parcours du ‘’rempart’’ comme on aime désigner cet endroit à Thiers.
Ce jardin arboré est séparé par un escalier (qui conduit à la rue de la Bienfaisance quel joli nom !) d’un immeuble moderne sans grand intérêt qui a malencontreusement remplacé la maison du docteur Tournilhac. Elle datait du XIXème siècle. Je l’ai connue pour l’avoir visitée dans les années 1970. L’immeuble est accolé à une autre belle construction très classique des années 183O, un peu déséquilibrée par le fait que son aile gauche a été surélevée d’un niveau, ce qui en brise un peu l’unité (dans les mêmes matériaux heureusement), ce qui limite le dommage visuel. Le corps central à pignon triangulaire a belle allure avec son balcon en façade. Quant à la vue exceptionnelle dont elle jouit, c’est à couper le souffle, c’est d’ailleurs le privilège de toute l’alignée de maisons jusqu’à la façade ouest de l’immeuble Bravard, en grand projet de transformation, tout au moins sur ce côté qui, avec ses gravillons blancs au sol, ressemble étrangement à un ‘’jardin du souvenir’’. Voilà que de l’autre côté (à l’angle droit de la rue), alors que la balustrade du dit rempart a pris fin, comme pour bien marquer la différence entre la pleine lumière et l’orientation au nord, c’est l’influence des arts décoratifs qui apparaît avec l’immeuble élevé dans les années 30, dont la boutique du rez-de-chaussée fit en son temps le bonheur de tous ceux qui cherchaient crayons, papier, gommes et tout ce qui va avec. Je me souviens encore de la blouse grise du propriétaire qui, lui, avait dû naître à la ‘’Belle époque’’. Un immeuble moderne est venu s’intercaler pour se séparer du plus bel immeuble de la ville, où triomphe la pierre de Volvic, ce qui montre bien, s’il en était besoin, les possibilités que l’on peut tirer de cette pierre volcanique (trachyandésite) omniprésente en Auvergne et utilisée depuis le XIIème siècle, je ne vais pas revenir sur la qualité d’exécution de ce bâtiment (j’en ai déjà parlé par ailleurs) qui a conservé tous ses éléments décoratifs, ses pilastres cannelés surmontés de chapiteaux, jusqu’à sa belle porte d’entrée et toutes les superbes têtes de femmes des claveaux ornant ses fenêtres. À l’angle (traité en arrondi) avec la rue du Bourg la montre-enseigne peinte sur le mur semble toujours marquer un temps révolu depuis bien des années, rappelant un horloger et peut-être bijoutier, les deux étant souvent mêlés, en tout cas quelqu’un qui savait où ‘’l’or loge’’ ! On traverse brièvement le vieux quartier ancien, la route ayant coupé la rue du Bourg qui continue sous le nom de Conchette (petite fontaine) bordées toutes deux de maisons gothiques. À ce carrefour, qui se souvient encore des arcades de la Maison Bravard sacrifiées au nom du modernisme ? L’arrivée du bêton armé qui permit les plus formidables réalisations architecturales a par ailleurs été un facteur important des transformations malheureuses des façades anciennes et ce, dans toutes les régions.
On est aussi dans un quartier d’anciens couvents, à droite, du XVIIIème siècle (l’ancienne mairie), avec sa curieuse triple balustrade au pignon et en face un autre datant du XVIIème siècle, précédant et devenu (entre autres) un bar.
Nouvelle ouverture sur la montagne, c’est le privilège du bel hôtel des postes, très marqué par le style de son époque, avec de nombreux éléments décoratifs en usage en 1900. Au-dessus du beau balcon en fer de forme mouvementée et des cartouches en céramique, l’écusson de la ville : un navire qui est à deux mâts alors que sur l’ancienne mairie c’est un ‘’trois mâts’’ ! D’où vient cette relégation ? Nul ne le sait aujourd’hui. À propos d’armoiries, j’ai oublié de signaler une autre ‘’caravelle ’’, celle-ci est en tôle, au niveau de l’intercession de l’Avenue des États-Unis et de la rue du champ de foire (juste en face de la ‘’dorlote’’ ) c’est l’emplacement de l’ancien couvent des Capucins, installé dans ce quartier en 1607. On peut voir, au-dessus de la fenêtre de l’ancien atelier Bargoin, un autre bateau à deux mâts (ancien blason de la ville) qui se trouvait autrefois fixé sur la hotte du comptoir du bar ‘’Le Central’’, place de la mairie. Le bâtiment occupé par ce bar est un curieux assemblage fait de bric et de broc pour finaliser l’angle mort créé par la rue Traversière.
Sur cette place, on voit bien l’évolution des styles au cours des temps, entre l’agrandissement de la médiathèque, l’ancienne poste, la mairie actuelle qui a remplacé un beau bâtiment du XIXème siècle, à colonnes en Volvic (à l’intérieur), autrefois c’était la sous-préfecture, toute la place elle-même (nouvelle) et la construction de l’Ecole du Centre qui succède à la vieille école du XVIIIème siècle (démolie) en dessous. Un peu plus haut, en reprenant la Nationale, la poste actuelle, elle aussi marquée par les années 30, alors que l’immeuble qui lui succède, séparé par une allée envahie de végétation libre est un immeuble très fin de siècle, aux cinq balcons en fonte. En face, l’ancien magasin Guichard, devenu ‘’barber shop’’, autres temps autres mœurs.
Toujours à côté de la rue de la Paix, on passe outre un ‘’creux’’ dans l’alignement des maisons, où est installée une collection de poubelles (à deux couleurs !) Mitoyens (c’était autrefois), étaient un dentiste et un restaurant, il y a toujours (c’est marqué dessus) la ‘’Petite Auberge’’, il y a belle lurette que le menu n’y est plus affiché et si ça continue, l’affichage suivant sera un arrêté de péril ! Avant le feu tricolore, un regard s’impose sur ce qui est le plus bel immeuble de la rue, là encore : pierre de Volvic, sculptures, ouvertures ouvragées etc. Au carrefour, l’immeuble à l’angle de la rue de la Paix, très amusant avec ses vitrines à colonnes, dans les années 50. En face à droite, c’est un bel immeuble classique du XIXème siècle à toit d’ardoises avec œils de bœuf et chien assis à l’amortissement. Et puis sur la gauche un peu plus haut, la série de splendides arcades néo-classiques, toujours en andésite donnant accès à une cour qui, jusqu’à la Révolution, faisait partie du couvent des Grandmontains. Les belles portes en fonte qui la fermaient sont restées (dégondées) couchées le long du mur, durant des décennies, jusqu’à partir sous d’autres cieux fermer je ne sais quoi. On peut voir sur l’immeuble d’en face (rue Edgard Quinet) le seul immeuble de la ville (peut-être) dont les croisées à l’étage sont ornées de vitraux (vers 1880) derrière lesquels bien des défenses ont dû s’organiser puisque c’était un cabinet d’avocats.
Nous passons devant "L’aigle d’Or" au charme un peu désuet avec son perron toujours accueillant. À la suite, après le grand mur de soutènement de la ‘’ Place aux arbres’’, on a opté pour le moderne des deux côtés de la chaussée. À nouveau très belle vue sur le beau paysage verdoyant de la montagne. À la queue leu leu un long alignement de constructions à trois étages. Quelques ‘’trous’’ ça et là, quelques-uns avec des traces d’incendie, d’autres devenus précieux parkings, souvent par nécessité. À gauche, la grande maison habitée autrefois par le docteur Bayle.
Chemin faisant, en plein dans le virage nous sommes au quartier de l’école Jeanne d’Arc, où monte le chemin des Frères. Au premier plan, la petite maison avec son petit jardin clos (devant le grand immeuble) qu’habitait madame Barnérias. Derrière, perchée, une grande maison avec un toit à quatre pentes dont le mur vante encore une maison de fabricant de rasoirs et probablement d’autres choses mais on ne peut plus lire la suite : le temps efface tant de choses !
Sans faiblir, continuons, encore visible, une publicité sur une façade, cette fois c’était une fabrique de manches en corne, une autre maison apparaît construite de parpaings de Volvic parfaitement bâtis, c’était chez ‘’Ricornet Barge’’. À partir de là, les jardins réapparaissent. C’est maintenant une grosse maison arborant marquise de verre et de fer. Là, en face, les premières villas 1900. Après les grands immeubles collectifs, nous arrivons aux grandes villas sur la droite, véritables hôtels particuliers de la Belle Epoque, dont l’un a conservé son parc et ses grands arbres. La suite est une succession de tristes immeubles.
Plusieurs petites venelles dans ces lieux, la rue des Cros (et la petite rue des Cros !), puis celle de la Fraternité (encore un joli nom !), après le chemin de Tournaire, la roche réapparaît, tant l’espace réservé à la route se resserre entre la montagne et le ravin, d’ailleurs c’est carrément un surplomb du rocher lorsque l’on atteint le petit édicule de l’octroi, toujours en place sur la droite, qui ne peut plus remplir sa mission, qui se résumait en quelques mots : ‘’pour passer, il faut payer’’ !
Devant, fixés sur le muret de la route, comme pour vouloir adoucir la loi de l’impôt, sont toujours en place des arceaux métalliques parfois agrémentés de rosiers qu’un maire, par souci d’esthétique, avait fait poser pour embellir la route à l’entrée de Thiers.
J’en ai terminé pour cette traversée d’ouest en est, j’espère ne pas avoir été trop ‘’guide touristique’’ pour les Thiernois, puisqu’ils seront bien les seuls à lire cette chronique réservée aux indigènes.
Jean-Paul Gouttegangeas
À lire précédemment : En traversant Thiers.