En décembre, l’ours dort
En décembre l’ours dort. Il en est de même pour le blaireau - espèce qui est loin d’être en voie de disparition - la chauve-souris, le hérisson, la marmotte, le loir et quelques drôles d’oiseaux. Mais si l’ours dort, seul celui du Livradois-Forez rêve. Et cet état extatique ne l’empêche pas de penser. L’ours du Livradois-Forez est donc un plantigrade pensant et dormeur, denrée rare par les temps qui courent. A cette heure précise son esprit vagabonde. On l’aurait aperçu près du hameau d’Escoutoux, une bouteille de badoulin sous la patte en train de chanter à capella une version grivoise de Nuyanune song, œuvre majeure que l’on doit à un indien iroquois du nom de Nyah-Guaheh, buveur de vin de paille, Casanova des grandes plaines qui apprivoisait les aigles par simple application des mains et qui un jour de grand mysticisme dévora son tipi avant de plonger dans le vide, convaincu que des plumes recouvraient son corps et qu’il pouvait voler aussi bien qu’une gélinotte. On ne l’a jamais revu.
Il n’est pas comme son cousin du Nord - pays où les raquettes se mettent au pied et les balles où l’on veut et qui commence à la sortie de Puy-Guillaume - doctement appelé parisanis ursus, du moins pour l’espèce qui niche dans la capitale. Celui-ci qui reste éveillé en permanence même les jours où il fait nuit, passe le temps en promenades.
Ceci dit l’ours parisien rêve de temps en temps. Ainsi, l’autre jour voyant un flamboyant vaisseau illuminer un ciel bleu azur là-haut, tout là-haut, juste au-dessus de la Tour Montparnasse il s’entendit penser : C’est pas si loin que ça l’Amérique ! Sur cette réflexion puissante il présenta ses papiers à un policier qui se disait brigadier et doté d’un grand bâton de caoutchouc. Puis il reprit son chemin au milieu des autos, des vespas, des bicyclettes, des bus, des mines patibulaires et de multiples crottes de chiens jusqu’au métro le plus proche. Il prit la ligne 4 changea à Barbès, sauta dans la ligne 2 pour descendre à Pigalle. Dans la glauque vitrine d’une échoppe où se pressent des messieurs pour acheter des cassettes vidéo, de luxueux magazines, des poudres de perlimpinpin et toutes sortes de gadgets rigolos il aperçut une silhouette. C’était la sienne.
Il en déduisit que son cousin du Livradois-Forez avait bien raison de dormir.
Jean-Luc Gironde